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11 février 2011

Contre la critique du lepénisme au nom de l'antichristianisme

Henri Peña-Ruiz est une de ces vigies républicaines dont j'apprécie la prise de parole lorsque la laïcité est attaquée (notamment en lui accolant un adjectif: "laïcité positive", "laïcité ouverte", "laïcité raisonnée" … comme si la laïcité était "négative", "fermée" ou "irraisonnée").

Je suis pourtant consterné par sa tribune publiée le 21 janvier dans Le Monde. Que dit-il? Que "la conversion républicaine et laïque du Front national n'est qu'un leurre" parce que Marine Le Pen affirme que les principes de liberté, d'égalité et de fraternité sont issus du christianisme.

La lecture de ce texte me donne l'impression que son auteur avait en stock une tribune anti-catholique, et qu'il en a juste changé le titre et l'accroche afin de la soumettre à publication dans le contexte de l'actualité autour de Marine Le Pen.

 

Ce texte possède en effet deux grilles de lecture, dont l'amalgame est tendancieux – si ce n'est insultant – et contre-productif. 

 

La première grille de lecture pose la question suivante: la conversion républicaine et laïque du FN est-elle sincère?

Or, il me semble un peu court d'affirmer que Marine Le Pen n'est pas authentiquement républicaine parce que et uniquement parce qu'elle confère une source chrétienne aux principes républicains.

Dès lors, qu'est-ce qui permettrait de démontrer que "la conversion républicaine et laïque du Front national n'est qu'un leurre"? Il suffit tout simplement de lire et d'écouter ses dirigeants.

1) République indivisible? La présidente du FN assume et utilise l'expression discriminatoire "Français de souche", aux antipodes du principe républicain d'égalité entre tous les citoyens car opérant une distinction entre eux en fonction de leur origine (rappel: pour les démographes de l'Ined, le Français de souche est celui qui n'a pas au moins un de ses grands-parents immigré).

2) République laïque? La question est de savoir si Marine Le Pen défend sincèrement la laïcité ou si elle l'instrumentalise dans une logique du "choc des civilisations". Or, elle a elle-même répondu à cette question: "Il n'y a pas cinquante moyens de lutter contre l'islamisation de notre pays. Il y a soit la laïcité, soit la croisade. Comme je ne crois pas beaucoup à la croisade, je pense qu'il faut user de la laïcité qui n'est pas le laïcisme" (Présent, décembre 2010).

3) République sociale? Les précédents programmes du FN étant d'inspiration ultralibérale, la question est de savoir si la nouvelle orientation sociale-étatiste de Marine Le Pen est sincère ou non. Le nerf de la guerre de toute politique sociale, c'est la fiscalité: il conviendra donc d'analyser à la loupe la "révolution fiscale" que va présenter avant l'été Marine Le Pen. En attendant, que peut-on d'ores et déjà constater? Nouveau vice-président en charge du projet (et compagnon de Marine Le Pen), Louis Aliot a créé en mai 2010 Idées Nation, "club de réflexions, d'analyses et de propositions au service du projet et de l'action politique de Marine Le Pen". Or, parmi ses rares productions figure une critique de la "convention égalité réelle" du PS, critique sans ambigüité libérale et non sociale ("toujours plus d'État!", "dirigisme", "contre les locataires non pauvres", "toujours plus de dépenses!", "toujours plus d'impôts!", "la chasse aux riches"), ce qui, pour le moins, ne présage pas d'une future orientation sociale du programme de Marine Le Pen.

 

La seconde grille de lecture pose la question suivante: les trois principes de liberté, d'égalité et de fraternité dérivent-ils du transfert aux autorités séculières de valeurs religieuses?

Je trouve ce débat passionnant. Henri Peña-Ruiz y apporte sa pierre en répondant par la négative. Pourquoi pas, même si l'honnêteté intellectuelle commanderait sans doute davantage de rigueur et de nuance. D'une part, en ne confondant pas le christianisme (son apport philosophique) et l'Église catholique (le christianisme institutionnalisé en Occident). D'autre part, en ne plaidant pas uniquement à charge (l'inverse serait d'ailleurs tout aussi malhonnête).

Personnellement, je pense que le christianisme est bien une des sources, certes pas unique, des Droits de l'Homme et des principes émancipateurs consignés dans le triptyque républicain. Cela fait-il de moi un lepéniste? Cela disqualifie-t-il mon républicanisme? Oui, à en croire Peña-Ruiz…

 

Addenda
En 2004 avait été publié dans Le Monde Diplomatique un texte aussi que clair que brillant, dont voici la première phrase: "À propos des lois politiques, le curé Lacordaire a dit l'essentiel: ‘Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit’". Mais quel auteur a osé commencer un texte intitulé "Laïcité et égalité, leviers de l'émancipation" en citant un homme d'église? Réponse: Henri Peña-Ruiz! …

09 février 2011

Manifeste pour une écologie antirépublicaine

Le 27 janvier dernier a été publié dans Libération un "Manifeste pour une écologie de la diversité", cosigné par Esther Benbassa (directrice d'études à l'EPHE-Sorbonne), Noël Mamère (député) et Eva Joly (parlementaire européen).

La lecture m'avait immédiatement suscité cette réaction sur Twitter: "Eva Joly - Les Identitaires: même anti-républicanisme, même confusion nature/culture".

 

Que dit cette tribune? Qu'il faut "sauver et la laïcité et la République, à condition qu'elles soient revisitées":

  • "Une laïcité raisonnée qui reconnaisse la part de l'appartenance ethnique, culturelle, religieuse, linguistique".
  • "Une République équilibrée en harmonie avec la mixité réelle", la société devant être "le creuset naturel d'une diversité positive, à savoir d'une véritable mixité sociale et culturelle".

 

En fait, à force de revisiter la République, il n'en reste plus rien. Les auteurs cachent d'ailleurs à peine leur dessein antirépublicain lorsqu'ils dénoncent le "piège où la laïcité et les valeurs de la République se confondent avec ces dérives que sont le laïcisme et le républicanisme". Concrètement, il s'agit pour eux de remplacer la définition individualiste et universaliste de la citoyenneté (sans distinction d'origine, de race ou de religion) par une approche holiste et communautariste (selon les appartenances ethnique, culturelle, religieuse, linguistique). "Intégration, assimilation sont des mouvements venus d'en haut, autoritaires, ne prenant pas en considération les réalités humaines, et les dénigrant sous l'étiquette commode de ‘communautarisme’", écrivent ainsi les membres d'Europe écologie – Les Verts (sans oublier, au passage, d'agiter à trois reprises l'épouvantail du nationalisme).

À l'appartenance considérée comme artificielle à la communauté politique nationale est donc substituée une appartenance naturelle (conforme à sa nature essentielle) à des communautés. Parmi les communautés reconnues au sein de cette société multiculturelle figure la communauté religieuse. D'où une rupture avec la loi de 1905, qui dispose que "la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte", c'est-à-dire avec la laïcité (comme du reste à chaque fois qu'on lui accole un adjectif: "laïcité positive", "laïcité ouverte", etc.).

Un tel essentialisme anti-républicain est également présent dans un courant d'extrême droite, la Nouvelle Droite. Théorisé par Alain de Benoist, ce courant affirme le droit à la différence à travers le concept d'"ethno-différentialisme" ou d'"ethno-pluralisme". Ce qui se traduit par "une réflexion critique sur les défauts d'un modèle français d'inspiration jacobine qui ne sait ‘intégrer’ que les individus et leur propose immanquablement de renoncer à leurs racines pour s'assimiler" (Alain de Benoist, "Citoyenneté, nationalité, intégration", Éléments, numéro 77, avril 1993). La Nouvelle Droite a directement inspiré sur ce point le corpus idéologique de la mouvance "identitaire".

En ce qui concerne l'écologie, voici ce qu'écrivait Alain de Benoist: "Quant à la biodiversité, dont il est beaucoup question aujourd'hui (le terme n'est apparu qu'en 1986), il est important de bien faire comprendre qu'elle doit s'exercer à tous les niveaux: écosystèmes, espèces, cultures, gènes (…) L'existence de cultures et de peuples différenciés est elle-même indissociable de l'avenir de l'humanité, tout simplement parce qu'il n'y a pas d'appartenance ‘immédiate' à l'humanité: tout être humain, parce qu'il est un animal social, n'appartient à l'humanité que de façon médiate, au travers de son appartenance première à une culture ou une société donnée. Le maintien de la biodiversité implique donc une pensée de la différence et de l'altérité" (Fare Verde, mars-avril 2002).

Or, la tribune d'Esther Benbassa, Noël Mamère et Eva Joly est jalonnée d'un naturalisme anti-humaniste (application des lois de la nature aux sociétés humaines) qui rappelle de façon troublante la Nouvelle Droite:

  • "Lorsque le nombre d’espèces diminue dans la nature, les maladies infectieuses, elles, se multiplient. Et pour les endiguer, des efforts doivent être déployés afin de préserver les écosystèmes naturels et leur variété. Qu'on nous pardonne le rapprochement, mais une société monoethnique (il n'en existe heureusement pas beaucoup) est une société condamnée".
  • "Si les monocultures appauvrissent les sols, elles assèchent aussi les nations".
  • "Le refus de l'altérité et l'aspiration à l'‘authenticité nationale’ asphyxient la nation elle-même, comme certains produits toxiques notre atmosphère et nos sols".

Eva Joly, Alain de Benoist: même combat?

17 décembre 2010

C'est Noël avant l'heure pour les adversaires de la laïcité

Des "Assises internationales sur/contre l'islamisation de nos pays" sont organisées demain, à Paris, principalement par Riposte Laïque et le Bloc Identitaire.


Cette collaboration est contre-nature:

  • le Bloc Identitaire représente l'extrême droite régionaliste, qui, au gré des vents, défend soit une Europe des ethnies (proche de l'Europe des régions d'Europe Écologie - Les Verts) soit une France des régions de nature fédérale (vents actuels).

  • Riposte Laïque défend le républicanisme français jacobin.


L'un et l'autre se situent donc aux antipodes. D'autant plus que les racines de Riposte Laïque plongent précisément dans le combat contre la déconstruction régionaliste de la France.

Petit historique:

En décembre 1992 fut organisé à la Mutu, à Paris, un grand banquet républicain pour défendre la République contre la signature, un mois plus tôt, de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Fut alors décidée la création de l'association Initiative Républicaine (IR), transformée en parti politique en octobre 1996.

En octobre-décembre 1999, IR a impulsé une liste de diffusion Internet, ReSPUBLICA, vite devenue le "Journal de la Gauche laïque et républicaine" (puis de la "Gauche républicaine, laïque et sociale" puis de la "Gauche républicaine, laïque, écologique et sociale"), édité depuis 2001 par l'association Les Amis de ReSPUBLICA.

Enfin, Riposte Laïque est issue en septembre 2007 d'une scission de ReSPUBLICA.

 

Bref, il faudra m'expliquer en quoi le combat pour la laïcité, composante du combat républicain, justifie de s'allier avec des antirépublicains notoires. C'est même le plus beau cadeau à offrir, en cette fin d'année, aux adversaires de la République en général et de la laïcité en particulier...

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10 décembre 2010

Jean-Louis Borloo recoiffe Marianne

Mon petit bilan du "dîner de la République" de Jean-Louis Borloo:

 

Sur la forme:

  • ambiguïté sur la nature de l'évènement: réunion politique ou colloque sur la loi de 1905? Certains étaient venus pour le premier aspect, d'autres exclusivement pour le second.
  • il s'agissait donc davantage pour Jean-Louis Borloo d'un test (réussi) de notoriété personnelle que de capacité de mobilisation politique.

 

Sur le fond:

  • discours très ferme et courageux contre "le communautarisme et l'intégrisme", pour le modèle républicain français d'intégration et de citoyenneté, c'est-à-dire contre le multiculturalisme et pour l'assimilation ("la République demande à chacun d'entre nous de mettre de côté nos origines, nos appartenances").
  • pour le reste: proclamation par Jean-Louis Borloo de valeurs consensuelles (la République, le progrès, la justice, l'égalité, la fraternité) sans en donner sa propre définition, c'est-à-dire sans prendre le risque de cliver.
  • mais peut-on parler de laïcité "parfois menacée" sans évoquer la "laïcité positive" (antilaïque) de Nicolas Sarkozy? Peut-on parler de fiscalité républicaine en s'interrogeant sur le concept même de niche fiscale ("n'est-il pas, pour l'essentiel, étranger à la conception républicaine de la fiscalité?") sans dénoncer la tendance, depuis 1993, à la remise en cause de la progressivité de l'impôt (remise en cause dont Jean-Louis Borloo fut solidaire en tant que membre de gouvernements qui y ont participée)?

 

La petite phrase:

  • "Oui, les conservateurs ont l'air raisonnable, sérieux, bien coiffés. Mais en réalité, ce sont eux qui ne sont pas raisonnables. Ce sont eux qui ne sont pas professionnels. Car un professionnel s'adapte toujours au progrès et au mouvement".
  • cette petite phrase visait implicitement François Fillon, que Jean-Louis Borloo ambitionnait de remplacer à Matignon; il s'agit en quelques sortes de la réponse de Jean-Louis Borloo aux attaques implicites de François Fillon, le 4 novembre dernier, en plein débat sur le choix du Premier ministre.

 

P.S.: me recevant auparavant, avec une quinzaine de confrères, au siège du Parti radical, Jean-Louis Borloo s'est refusé de répondre non seulement à nos questions stratégiques et partisanes mais également de positionnement idéologique: centriste? républicain? démocrate? "J'ai déjà du mal à combiner Jean-Louis et Borloo...", nous a-t-il lâché!

09 décembre 2010

Les trois piliers de Jean-Louis Borloo pour fédérer le centre droit

C'est ce jeudi que Jean-Louis Borloo rompra le silence dans lequel il était entré depuis sa sortie du gouvernement, le 14 novembre, afin de "retrouver [sa] liberté de proposition et de parole". Officiellement, il s'agit pour le président du Parti radical "valoisien" de fêter, à l'occasion d'un "dîner de la République", l'anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État.
D'où la diversité des quelque 800 invités attendus, qui déborde la majorité de droite puisque devraient y participer le jacobin Jean-Pierre Chevènement, le socialiste Arnaud Montebourg ou encore le président du Parti radical de gauche, Jean-Michel Baylet.

Au-delà de la thématique des valeurs républicaines, c'est bien entendu sur la double question de la réunification du centre droit et de l'élection présidentielle de 2012 que Jean-Louis Borloo, qui retrouvera mardi les bancs de l'Assemblée nationale, est le plus attendu.
Même s'il est bien entendu beaucoup trop tôt pour la trancher, voire même pour l'aborder publiquement, la perspective d'une éventuelle candidature à la présidentielle sous-tend déjà la stratégie de l'ancien ministre d'État. "Regardez les sondages, plaide un de ses proches. Une candidature d'Hervé Morin pique essentiellement des voix à Nicolas Sarkozy. Une candidature de Jean-Louis pique, elle, aussi des voix à François Bayrou, Eva Joly et Dominique de Villepin, qui tombe alors en dessous de 5%."

Bref, la présence de Jean-Louis Borloo au premier tour profiterait à la majorité sortante, "sous réserve que le FN ne monte pas trop haut afin d'éviter un 21 avril à l'envers". Reste à convaincre Nicolas Sarkozy, que ce proche va justement prochainement rencontrer en tête à tête.

En attendant, Jean-Louis Borloo veut jouer un rôle de fédérateur du centre droit en s'appuyant sur trois piliers.

  • Le premier est la sensibilité "humaniste" de l'UMP, qui entend dorénavant gagner en lisibilité et visibilité.
    D'une part, en relançant le Mouvement démocrate et populaire, animé par Marc-Philippe Daubresse (secrétaire général adjoint de l'UMP), Pierre Méhaignerie, Christian Kert et Fabienne Keller, auxquels pourrait s'agréger le libéral Jean-Pierre Raffarin.
    D'autre part, en créant un "sous-groupe" au sein du groupe UMP à l'Assemblée nationale, susceptible, face à l'aile sécuritaire et à l'aile libérale, de marquer sa différence sur certains votes.
  • Le deuxième pilier est le Parti radical "valoisien". Associée à l'UMP, la structure présidée par Jean-Louis Borloo a décidé de réaffirmer son autonomie : lui-même devrait ainsi confirmer jeudi 9 décembre au soir qu'il n'entend pas rester vice-président du conseil national de l'UMP, dont le bureau sera renouvelé samedi. Ce degré d'autonomie, voire d'indépendance (ce qui ouvrirait la voie à la création d'une "confédération" du centre droit), sera à l'ordre du jour du prochain congrès du Parti radical, en janvier.
  • Le troisième pilier de la stratégie de Jean-Louis Borloo est la "coordination politique" du centre droit, qu'il anime depuis le 16 novembre. Il s'agit en effet d'une initiative transpartisane à laquelle adhèrent notamment Jean-Marie Bockel (président de La Gauche moderne) et une partie du Nouveau Centre (Valérie Létard, Jean-Christophe Lagarde, Maurice Leroy). Une pierre dans le jardin de son président, Hervé Morin, qui ne cache pas son ambition de représenter lui aussi le centre droit à la présidentielle.

 

Laurent de Boissieu
La Croix, 9 décembre 2010