24 juillet 2008
Carte militaire et aménagement du territoire
Le gouvernement présente aujourd'hui la nouvelle carte militaire. Si l'État doit les accompagner localement, il est tout à fait normal et sain qu'un découpage administratif soit actualisé. Révisée en février dernier, la carte judiciaire était ainsi restée inchangée depuis ...1958 !
Il n'en reste pas moins que ces réformes peuvent relever de motivations bien différentes. Soit il s'agit de préoccupations consensuelles, comme la prise en compte des évolutions démographiques ou technologiques (dématérialisation de l'administration avec Internet). Soit il s'agit de choix politiques (baisse des dépenses publiques, libéralisation des services publics, gestion comptable de la santé publique, etc.). Or ces derniers choix sont souvent dissimulées sous les premières préoccupations. La réforme militaire n'échappe pas à cette constante : au prétexte d'un redéploiement sans doute nécessaire, on pratique des coupes claires dans les effectifs et le budget des armées.
Autant est-il vrai que l'implantation des casernes et des bases militaires ne doit pas relever de la politique d'aménagement du territoire (mais des impératifs de défense et de sécurité nationale), autant d'autres évolutions constituent une véritable remise en cause de l'égalité des citoyens sur tout le territoire de la République, à commencer par les fermetures de services publics en milieu rural (classes voire écoles, gares ferroviaires, bureaux de poste, tribunaux de proximité, etc.).
Comme je l'avais souligné à l'époque, rendons hommage à François Fillon qui, pour une fois, avait assumé l'orientation libérale de ses réformes. En octobre 2007, le premier ministre avait en effet mis de côté toute langue de bois en s'exprimant devant la sensibilité la plus anti-étatique de l'UMP, Les Réformateurs. "Je dois le dire devant tous les élus qui sont présents ici : la réforme de l'État, ça supposera que nous soyons courageux; la réforme de l'État, ça supposera que chacun d'entre nous accepte qu'il y ait moins de services, moins de personnel, moins d'État sur son territoire, avait-il expliqué. Parce que la réforme de l'État qui satisfait tout le monde mais qui ne se traduit par aucune suppression d'aucun établissement sur le territoire, ça n'existe pas." On ne s'en lasse pas.
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16 juin 2008
Déclaration de l'Académie française sur les langues régionales
Pour information, voici une déclaration votée à l'unanimité par les membres de l'Académie française dans sa séance du 12 juin 2008, non sans lien avec ma note du 23 mai :
« Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : "La langue de la République est le français".
Or, le 22 mai dernier, les députés ont voté un texte dont les conséquences portent atteinte à l'identité nationale. Ils ont souhaité que soit ajoutée dans la Constitution, à l'article 1er, dont la première phrase commence par les mots : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale", une phrase terminale : "Les langues régionales appartiennent à son patrimoine".
Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. Qui en doute ? Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre Nation. Mais pourquoi cette apparition soudaine dans la Constitution ?
Le droit ne décrit pas, il engage. Surtout lorsqu'il s’agit du droit des droits, la Constitution.
Au surplus, il nous paraît que placer les langues régionales de France avant la langue de la République est un défi à la simple logique, un déni de la République, une confusion du principe constitutif de la Nation et de l'objet d'une politique.
Les conséquences du texte voté par l'Assemblée sont graves. Elles mettent en cause, notamment, l'accès égal de tous à l'Administration et à la Justice. L'Académie française, qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement, en appelle à la Représentation nationale. Elle demande le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s'exprimer ailleurs, mais qui n'a pas sa place dans la Constitution. »
Ajout du 18/06/2008 : les sénateurs viennent de supprimer, en première lecture, l'amendement des députés sur les langues régionales
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03 juin 2008
La démocratie en question
C'est aujourd'hui que l'Assemblée nationale va se prononcer, en première lecture, sur le projet de loi constitutionnelle. L'occasion pour moi de dire ma consternation devant deux autres points du projet de révision.
D'une part le fait que nul ne puisse être élu plus de deux fois consécutivement président de la République. Au nom de quoi corseter ainsi la démocratie, la liberté de candidature à l'élection présidentielle et le libre-choix des citoyens ?
Mesure démagogique et faussement moderne...
D'autre part le fait que les parlementaires nommés au gouvernement ne soient que remplacés temporairement par leur suppléant; en clair, que les ministres qui démissionnent (individuellement ou collectivement en cas de démission du gouvernement présentée par le Premier ministre) retrouvent automatiquement leur siège à l'Assemblée nationale ou au Sénat.
Imaginons qu'un ministre démissionne pour des raisons politiques de fond (cf. Jean-Pierre Chevènement en 1983, 1991 et 2000). Au nom de quoi devrait-il retrouver automatiquement son siège sans repasser devant les électeurs, alors même qu'il se trouve en situation de rupture (partielle ou totale) avec la majorité sous les couleurs de laquelle il a été élu aux élections législatives ?
Il s'agit simplement d'un petit arrangement entre amis sur le dos de la démocratie, des citoyens. Ce qu'il aurait fallu décider, en revanche, c'est la démission automatique du suppléant si le ministre démissionnaire déclare sa candidature dans le but de retrouver son siège à une élection législative partielle. Tout en autorisant, du coup, ce suppléant à se présenter, s'il le souhaite, contre lui.
Quant au parallèle avec la IIIe République et la IVe République, il est inexact. Les ministres démissionnaires ne retrouvaient en effet pas leur siège de parlementaire, pour la simple et bonne raison qu'ils continuaient à siéger et à voter dans leur assemblée tout en participant au gouvernement.
C'est en effet la Ve République qui a instauré l'incompatibilité entre fonction ministérielle et mandat parlementaire, afin de renforcer le caractère collégial et solidaire du gouvernement et de lutter contre l'instabilité ministérielle.
Récapitulatif de mes précédentes notes sur la révision constitutionnelle :
"Règle d'or" ou "plaquée or" ?
Les langues régionales s'invitent dans la Constitution
Vers l'abrogation de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ?
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02 juin 2008
De la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature
Actuellement, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) comprend deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats du parquet. Examinons leur composition actuelle.
Formation compétente à l'égard des magistrats du siège :
- président : président de la République
- vice-président : ministre de la Justice (peut suppléer le président de la République)
- cinq magistrats du siège
- un magistrat du parquet
- un conseiller d'État, désigné par le Conseil d'État
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le Président de la République
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le président de l'Assemblée nationale
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le président du Sénat
Formation compétente à l'égard des magistrats du parquet :
- président : président de la République
- vice-président : ministre de la Justice (peut suppléer le président de la République)
- cinq magistrats du parquet
- un magistrat du siège
- un conseiller d'État, désigné par le Conseil d'État
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le Président de la République
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le président de l'Assemblée nationale
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le président du Sénat
Examinons, maintenant, ce que prévoit le projet de loi constitutionnelle (telle qu'amendé en première lecture par les députés) :
Formation compétente à l'égard des magistrats du siège :
- président : premier président de la Cour de cassation
- cinq magistrats du siège
- un magistrat du parquet
- un conseiller d'État, désigné par le Conseil d'État
- un avocat
- un professeur des universités
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président de la République
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président de l'Assemblée nationale
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président du Sénat
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le Défenseur des droits des citoyens
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président du Conseil économique, social et environnemental
Formation compétente à l'égard des magistrats du parquet :
- président : procureur général près la Cour de cassation
- cinq magistrats du parquet
- un magistrat du siège
- un conseiller d'État, désigné par le Conseil d'État
- un avocat
- un professeur des universités
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président de la République
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président de l'Assemblée nationale
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président du Sénat
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le Défenseur des droits des citoyens
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président du Conseil économique, social et environnemental
Que penser de ces changements ?
La plupart des commentaires sur cette réforme concerne le nombre de magistrats et de non-magistrats qui siègent au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) : il me semble ainsi tout à fait anormal que les magistrats soient minoritaires au sein du CSM. Un autre point me semble toutefois plus important.
Le problème de fond vient de la non-séparation des magistrats du siège et du parquet, qui, historiquement, appartiennent en France à un corps unique. Le rôle des uns et des autres est pourtant fondamentalement différent : les magistrats du siège jugent; les magistrats du parquet représentent le ministère public, c'est-à-dire l'État. Quelle conséquence ?
Tout d'abord, les magistrats du siège doivent - indépendance des pouvoirs oblige - être indépendants des pouvoirs politiques, exécutif et législatif. Or, tout pouvoir procédant en démocratie du peuple, les magistrats du siège (= les juges) doivent en outre être élus. Sinon, nous ne sommes plus dans une logique démocratique mais dans une logique corporatiste. Nous pouvons faire ce dernier choix, mais alors assumons-le. Notons d'ailleurs que la Constitution de 1958 botte en touche en ne parlant pas de "pouvoir judiciaire" mais seulement d'"autorité judiciaire".
Ensuite, les magistrats du parquet, porte-parole de la politique judiciaire du gouvernement (= les accusateurs), doivent, à l'inverse, être logiquement placés sous l'autorité hiérarchique du ministre de la Justice.
Reste à savoir qui doit être le garant de l'indépendance des magistrats du siège. L'article 64 de la Constitution dispose que "le président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire (...) assisté par le Conseil Supérieur de la Magistrature". Tant que cette mention n'est pas supprimée (ce que ne prévoit pas - contre toute logique - la révision constitutionnelle), c'est donc bien au président de la République de présider le CSM (en revanche, le ministre de la Justice n'a en effet surtout pas à le suppléer dans la formation compétente à l'égard des magistrats du siège)*.
En résumé, pour instituer en France un véritable pouvoir judiciaire (mais le faut-il vraiment ?), il faudrait :
- élire les magistrats du siège c'est-à-dire les juges (démocratie oblige)
- rayer la mention faisant du président de la République le garant de l'indépendance de la justice (séparation des pouvoirs oblige)
- bouter hors du "CSM-siège" - qui pourrait prendre le nom de Conseil Supérieur de la Justice - le président de la République et le ministre de la Justice** (indépendance du pouvoir judiciaire oblige)
* le président de la République "garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire" s'inscrit dans la vision (fiction ?) gaullienne de l'Homme de la Nation au-dessus des partis (contrairement aux membres du gouvernement) et ne cadre pas avec celle de Nicolas Sarkozy, d'un président partisan qui conduit de fait la politique de la Nation
** alors que le projet de loi constitutionnelle indique que "sauf en matière disciplinaire, le ministre de la Justice peut assister aux séances des formations du Conseil Supérieur de la Magistrature"
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31 mai 2008
Autour d'une décision de justice
[Note rédigée samedi mais publiée mardi, n'ayant pas pu dans l'immédiat vérifier un élément de droit : il se trouve finalement que les "qualités essentielles de la personnes" sont évaluées subjectivement et non objectivement. Les débats ultérieurs n'ont donc fait que renforcer ce que j'écrivais dans cette note]
L'affaire du mariage annulé par le tribunal de grande instance de Lille suscite une émotion légitime.
Mais la justice c'est le droit, pas l'émotion.
Or que dit le droit (article 180 du Code civil) ?
Le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l'un d'eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n'a pas été libre, ou par le ministère public. L'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage.
S'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage.
Que recouvre la notion de "qualités essentielles de la personne", fondement de l'annulation du mariage par le juge de Lille ?
De deux choses l'une.
Soit ces qualités essentielles sont objectives, c'est-à-dire définies par la justice républicaine. Dans ce cas, il est absolument scandaleux que la non-virginité ait été considérée par un juge comme une qualité essentielle.
Soit ces qualités essentielles sont, à l'inverse, subjectives, c'est-à-dire définies par les futurs ex-époux eux-mêmes. Dans ce cas, le juge de Lille n'a fait qu'appliquer la loi, les intéressés ayant affirmé devant la justice que la virginité constituait pour eux une qualité essentielle et l'un des deux ayant reconnu avoir menti sur cette qualité à leurs yeux essentielle (peu importe la nature de cette qualité et qu'il s'agisse de la femme ou de l'homme).
Il n'en reste pas moins que dans ce cas, en marge de la décision de justice, se poserait une série de questions non pas juridiques mais sociologiques (sur l'adaptation des religions en général et de l'islam en particulier à la laïcité et à la modernité, sur le respect des droits des femmes, sur les jeunes et le sexe aujourd'hui, sur l'exploitation émotionnelle et erronée - ce n'est pas la virginité qui serait en cause dans cette hypothèse mais le mensonge reconnu sur une qualité considérée par les deux futurs ex-époux comme essentielle - d'une décision de justice dans le débat public, etc).
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