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08 janvier 2010

Avec Philippe Séguin, une certaine idée du gaullisme s'en est allée

seguin.jpgLe monde politique lui a rendu un vibrant hommage, y compris ses anciens opposants. Aussi bien ceux à l'extérieur qu'à l'intérieur de sa famille politique, puisque Philippe Séguin y a incarné une certaine idée du gaullisme, progressivement de plus en plus minoritaire. Jusqu'à la marginalité.

Le séguinisme est d'abord un patriotisme, exacerbé par son histoire personnelle. Né le 21 avril 1943 à Tunis, Philippe Séguin ne connaîtra jamais son père. Combattant de l'armée d'Afrique, Robert Séguin est en effet tué par les Allemands dans le Doubs le 7 septembre 1943. Dans un cahier relié vert consacré à la mémoire de son mari, sa mère Denyse a laissé quelques mots à son "petit Philippe" : "Voilà, mon fils, la fin de ton papa. Suis son exemple de bravoure. Sois à son exemple brave, courageux, bon, honnête. Je te laisse ses notes et toutes nos lettres. Voilà ton héritage." Le 11 novembre 1949, à Tunis, le jeune Philippe Séguin a six ans lorsqu'il reçoit, au nom de son père, la croix de guerre et la médaille militaire. Toute sa vie, il semblera logique à Philippe Séguin de refuser la Légion d'honneur, qui n'avait pas été accordée à celui qui était mort pour la libération de la France. Il conservera par ailleurs une relation "charnelle" avec la Tunisie, sa terre natale, indépendante en 1956.

Le patriotisme de Philippe Séguin trouvera un prolongement dans la défense de la souveraineté de la France face à une construction européenne de nature supranationale. C'est lui qui portera, vainement, en septembre 1992, la contradiction à François Mitterrand lors du débat télévisé organisé dans le cadre de la campagne référendaire sur le traité de Maastricht. Quelques mois auparavant, le 5 mai, il avait prononcé un discours mémorable à l'Assemblée nationale et rassemblé autour de son exception d'irrecevabilité l'ensemble des "souverainistes" : 58 RPR sur 126, les communistes, les socialistes chevènementistes, une poignée d'UDF. En 1998-1999, Philippe Séguin ne participera toutefois pas à la dissidence souverainiste menée par Charles Pasqua. Dès 1996, certains de ses anciens amis l'avaient accusé de trahir ses idées en se ralliant à la monnaie unique européenne. L'intéressé expliquera qu'il n'a en réalité fait qu'en prendre "tout simplement acte, puisque tel avait été le verdict populaire".

L'opposition de Philippe Séguin au traité de Maastricht était non seulement souverainiste mais aussi sociale. Celui qui a flirté dans sa jeunesse avec le PSU et la SFIO, avant de devenir définitivement gaulliste dans le contexte de l'élection présidentielle de 1965, était l'un des derniers à défendre un gaullisme irréductible à une droite libérale et conservatrice. En juin 1993, il dénonce en la qualifiant de "Munich social" la politique monétaire des gouvernements européens qui renoncent à lutter contre le chômage de masse. Président de l'Assemblée nationale sous la deuxième cohabitation, il appartient pourtant à la majorité issue des élections législatives de mars 1993. Symbole de ce positionnement ambigu, les jeunes séguinistes se réunissent au sein du Rassemblement pour une autre politique (RAP), alors qu'Édouard Balladur, également RPR, est à Matignon ! Lors de la présidentielle de 1995, c'est logiquement sa voix de Stentor qui incarna, face à la candidature du premier ministre sortant, la campagne de Jacques Chirac sur le thème de la "fracture sociale" et du "pacte républicain".

Son combat pour contrecarrer la "libéralomania" et la "dérive droitière du RPR", dénoncées dès 1984, sera toutefois ponctué d'échecs. En 1988, il est battu d'une voix par le chiraquien Bernard Pons pour le présidence du groupe néogaulliste à l'Assemblée nationale. En 1990, aux assises du Bourget du RPR, sa motion commune avec Charles Pasqua n'obtient que 31,4% face à celle des chiraquiens. En mai 1995, après l'élection de Jacques Chirac à la l'Élysée, c'est Alain Juppé, et non lui, qui est nommé à Matignon : dès le 26 octobre 1995, le premier ministre chiraquien tourne définitivement le dos à l'"autre politique"...

La victoire de la gauche après la dissolution de l'Assemblée nationale semble marquer en 1997 sa revanche, puisque Philippe Séguin devient président du RPR. Son alliance contre-nature avec les balladuriens (Nicolas Sarkozy sera nommé secrétaire général du parti) ne lui permettra toutefois pas de réorienter idéologiquement sa famille politique. Il démissionnera finalement de la présidence du RPR le 16 avril 1999, dans le contexte des élections européennes où il refusait de cautionner l'adhésion au groupe PPE du Parlement européen. Les séguinistes se divisent alors. Certains partent avec Charles Pasqua. D'autres soutiennent la candidature de l'un des leurs, François Fillon, à la présidence du RPR (24,6% au premier tour, derrière Jean-Paul Delevoye et Michèle Alliot-Marie).

La candidature de Philippe Séguin à la mairie de Paris, en 2001, marquera son dernier combat politique. Et, surtout, le dernier échec de celui qui avait été élu maire d'Épinal, dans les Vosges, en 1983, puis réélu en 1989 et 1995. Aux élections législatives de 2002, cet intransigeant aux colères homériques renonce à l'Assemblée nationale, où il avait été élu pour la première fois en 1978. Il démissionnera de son dernier mandat, celui de conseiller de Paris, en octobre 2002, et sera le seul poids lourd du RPR à refuser de rallier l'UMP, aboutissement de l'alignement du gaullisme à droite.

Le bilan de la carrière politique de cet énarque, fruit de la méritocratie républicaine, est paradoxal. Ministre des Affaires sociales et de l'Emploi durant la première cohabitation (1986-1988), c'est lui qui fera voter au Parlement une des mesures les plus libérales : l'abrogation de l'autorisation administrative de licenciement. Président du RPR, c'est sous sa responsabilité que, pour la première fois, sur une affiche inspirée d'Astérix et Obélix, un parti gaulliste s'est revendiqué de la droite. Aujourd'hui, si François Fillon a idéologiquement tourné le dos au séguinisme, ce dernier se prolonge dans la majorité à travers Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, et dans l'opposition à travers Nicolas Dupont-Aignan, fondateur du parti Debout la République.

Après son retrait de la politique, ce "passionné raisonnable" de football, par ailleurs grand fumeur de cigarettes sans filtre, sera successivement nommé délégué du gouvernement français au Bureau international du travail (2002) puis premier président de la Cour des comptes (2004), à laquelle il redonna voix et autorité. Profondément attaché à ses quatre enfants et à ses nombreux petits-enfants, Philippe Séguin, qui a perdu sa mère en octobre dernier, confiait en février 2007 à La Croix, au sujet de sa mort : "Je me dis qu'elle arrivera à un moment où la lassitude et le besoin de repos l'emporteront. Il faut que cela s'arrête à un moment. J'aimerais mourir dans mon lit, entouré des miens, par un temps ensoleillé. Surtout pas d'obscurité..."

 

Laurent de Boissieu

© La Croix, 08/01/2009 (version un peu plus longue que celle publiée sur papier)

30 novembre 2009

Quand la démocratie dérange...

Après Authueil (sur l'élection du président de la République au suffrage universel direct), c'est au tour de mon confrère Jean Quatremer (sur le référendum) d'attaquer la démocratie :

"Une nouvelle fois la démocratie directe fait la preuve de son extrême dangerosité. En laissant s’exprimer la peur de l'autre, le refus de la rationalité, l'intérêt immédiat, le référendum est décidément un instrument dangereux aux mains des démagogues de tous poils. On comprend mieux pourquoi plusieurs pays démocratiques l'ont tout simplement interdit."

 

Je ne peux que répéter ce que j'ai déjà écrit ici : le principe de la démocratie c'est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. En démocratie, une décision légitime ne peut donc qu'émaner du peuple, directement (référendum) ou indirectement (via l'élection de représentants, au suffrage universel direct ou indirect).

Or, par définition, plus on s'éloigne du suffrage universel direct, plus on s'éloigne de l'idéal de la démocratie. Car en quoi le référendum serait-il davantage "un instrument dangereux aux mains des démagogues de tous poils" que l'élection ? Encore une fois, je vois poindre, depuis Bruxelles, la tentation du despotisme "éclairé"...

 

***

 

Quatremer réagissait au référendum positif, d'initiative populaire, interdisant dans la constitution suisse la construction de minarets.

Plusieurs remarques, en vrac :

- je suis, paradoxalement en apparence, contre le droit d'initiative législative populaire, qui opère pour le coup un glissement entre la démocratie et la dictature de l'opinion/de l'émotion.

- il est halluciant de stigmatiser dans une constitution une religion en posant un interdit architectural : "La construction de minarets est interdite" (nouvel ajout à l'article 72 de la constitution suisse).

- il est tout aussi hallucinant de construire des mosquées (avec ou sans minaret, ce n'est pas le probème) dans un style étranger à un environnement architectural : la question n'est en effet pas de construire des lieux de culte pour l'Islam en France mais de construire des lieux de culte pour les Français de confession musulmane. Idem pour les bouddhistes ou tout autre culte.

 

biollet.jpg
Centre bouddhiste Dhagpo Kundreul Ling Le Bost (Puy-de-Dôme)

24 novembre 2009

Au vote, citoyens !

Via FrédéricLN, je tombe sur un billet d'Authueil (que je découvre à cette occasion avec intérêt). Pour résumer, tout présidentiable relèverait par nature de la "psychiatrie lourde". Et vlan pour De Gaulle, Mitterrand, Lecanuet, Pompidou, Poher, Duclos, Defferre, Rocard, Giscard d'Estaing, Chaban-Delmas, Chirac, Marchais, Barre, Le Pen, Jospin, Balladur, Sarkozy, Royal et Bayrou. Tous dans le même sac ! Tous psychologiquement déséquilibrés !

 

Que propose notre blogueur zinfluent ?

Si on veut que ça change, il faudrait déconcentrer le pouvoir politique, ramener la présidence de la république à un niveau plus modeste. Il faut ensuite limiter au maximum la désignation directe des dirigeants suprêmes par le peuple, au profit d'une sélection indirecte. C'est ce que font tous les pays qui ont une bonne gouvernance : les pouvoirs sont équitablement répartis et le chef est désigné par le parti qui a remporté les élections.

 

Tout d'abord, si l'on retranche par nature les sept monarchies, l'élection présidentielle au suffrage universel direct est majoritaire au sein des vingt républiques que compte l'Union européenne (douze États membres : Autriche, Bulgarie, Chypre, Finlande, France, Irlande, Lituanie, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie et Slovénie).

 

Ensuite, le principe de la démocratie c'est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. En démocratie, une décision légitime ne peut donc qu'émaner du peuple, directement (référendum) ou indirectement (élection de représentants, au suffrage universel direct ou indirect). Or, par définition, plus on s'éloigne du suffrage universel direct, plus on s'éloigne de la démocratie.

L'élection présidentielle au suffrage universel direct est en outre l'unique élection (un référendum est une votation et non une élection) au cours de laquelle le peuple vote en un seul et même corps, dont le résultat ne dépend pas de la somme de "487 élections locales", comme disait en 1967 Charles de Gaulle.

Bref, il s'agit de l'élection la plus démocratique possible. Celle à l'occasion de laquelle le paysage politique peut se recomposer et une nouvelle force politique émerger (ce qui était également le cas, avant leur territorialisation, des élections européennes).

Sans oublier que le problème institutionnel aujourd'hui n'est pas celui des pouvoirs du président de la République mais, bien au contraire, celui de la pratique de Nicolas Sarkozy qui se comporte en premier ministre et non en président de la République.

 

Enfin, le blogueur Authueil parle de "gouvernance". Bel aveu ! Car la gouvernance, justement, c'est la notion avancée par l'"élite éclairée" qui souhaite rompre avec le principe d'un gouvernement démocratique afin de renvoyer à ses foyers un peuple qui ne vote pas toujours comme il faut.

À défaut de pouvoir changer de peuple, il s'agit au moins de le désarmer en multipliant les filtres entre le bulletin de vote et la décision politique...

07 octobre 2009

Vers une France des baronnies

"Le débat statutaire est terminé en Corse, cette question est désormais tranchée", avait déclaré Nicolas Sarkozy, le 6 juillet 2003, après le "non" des électeurs corses à son projet de collectivité territoriale unique.

Si le débat a été tranché en Corse, il ne l'est apparemment pas en Guyane et en Martinique, où une consultation locale (principe déjà choquant en soi : une telle décision devrait concerner la nation dans son ensemble) sur le passage au régime de spécialité législative et d'autonomie (article 74 de la Constitution) aura finalement lieu le 17 janvier 2010.

Les électeurs de Martinique et de Guadeloupe, régis comme la Guyane par le statut antirépublicain de 2003 (reconnaissance des "populations d'outre-mer" - après avoir échappé en 1991 à celle du "peuple corse" - et régime de l'identité législative de l'article 73 de la Constitution) ont pourtant déjà également dit "non" à la création d'une collectivité unique, le 7 décembre 2003...

Autant on pourrait imaginer pour les conseillers généraux et les conseillers régionaux des DROM un mode de scrutin comparable à celui des conseillers d'arrondissements et des conseillers de Paris, autant tout ce qui va dans le sens d'un statut d'exception ne pourra que renforcer les baronnies politiques ou financières qui pourront ainsi cuire leur petite soupe dans leur petit coin sur le dos de nos concitoyens des territoires concernés.

Bref, il s'agit d'une contre-réforme politique aux antipodes de la révolution économique et sociale dont ont besoin la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique.

 

N.B.: le processus sera le suivant

1) consultation le 17 janvier sur le passage au régime de l'article 74 de la Constitution (spécialité législative et autonomie)

2) en cas de victoire du "non", seconde consultation le 24 janvier sur la création d'une collectivité unique (sous le régime actuel de l'article 73)

30 septembre 2009

Le FDP, centre ou droite ?

La présentation du nouveau Bundestag dans la presse française, après les élections en Allemagne ce dimanche, est intéressante : tantôt le FDP est placé au centre (Libération, La Croix, L'Humanité), entre le SPD et l'union CDU/CSU, tantôt il est placé à la droite de cette dernière (Le Figaro, Le Monde, Les Echos).

Ces hésitations illustre le fait que le clivage droite-gauche ne signifie idéologiquement rien en soi. Si le clivage retenu est la critère économique, le FDP est effectivement "plus à droite" que l'union CDU/CSU. Si, en revanche, le critère sociétal est retenu, le FDP est cette fois "plus à gauche" que l'union CDU/CSU.

En réalité, il me semble plus pertinent de classer le FDP au centre, non pas pour des raisons idéologiques (variables en fonction du clivage retenu), mais pour une raison géographique : son positionnement historique centriste, gouvernant tantôt avec le SPD, tantôt avec l'union CDU/CSU (les "grandes coalitions" SPD-CDU/CSU étant subies et non issues d'une alliance pré-électorale).

Enfin, sur les questions idéologiques, à noter que les libéraux allemands et autrichiens ont historiquement oscillé entre le centre et l'extrême droite (nationa-libéralisme). À l'exemple du FPÖ autrichien, qui a finalement basculé dans l'extrémisme et rompu avec son aile centriste (Liberale Forum et Junge Liberale Österreich).