10 janvier 2011
Jean-Pierre Rioux, les centristes et l'UDF
Ne parvenant pas à trouver le temps de boucler la liste précise de mes points de désaccord avec Jean-Pierre Rioux (Les centristes, de Mirabeau à Bayrou, Fayard), voici déjà ceux concernant l'UDF.
Jean-Pierre Rioux intitule un chapitre "le havre giscardien", qu'il commence par cette affirmation: "Sortis affaiblis et désemparés de la tourmente gaulliste, les centristes ont gagné un havre de grâce sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing, de 1974 à 1981" (page 176). Afin de qualifier cette période qu'il estime positive pour le centre, l'historien va même jusqu'à parler des "jours heureux du giscardisme" (page 259).
Or, selon moi, le septennat giscardien a, bien au contraire, marqué l'éclipse du centre en France à travers le ralliement à la droite de l'ancien centre d'opposition, qui, en devenant une partie de la droite, n'est logiquement plus un centre. De fait, les élections législatives de 1978 sont les premières véritablement bipolarisées de la Ve République, avec une droite et une gauche hégémoniques et composées de deux partis de force relativement comparable (RPR et UDF à droite, PS et PCF à gauche): c'est le fameux "quadrille bipolaire" de Maurice Duverger.
Le plus étrange, c'est qu'au fil des pages Jean-Pierre Rioux ...me donne raison et, donc, se contredit! Dès l'ouverture dudit chapitre, l'auteur indique en effet que "ce ralliement présentait néanmoins un risque majeur: lier le destin du centre à celui de Valéry Giscard d'Estaing et de sa majorité, et laisser s'installer le sentiment que le centre ne pouvait être qu'à droite dans une Ve République à vocation bipolaire et, pis, qu'il y était à sa juste place" (page 177). Plus loin, il écrit que la création de l'UDF "en hâtant la bipolarisation en «quadrille», a fait courir au centrisme le risque de l'évaporation par fusion" (page 192) ou encore que les centristes se sont trouvés "enchâssés à droite par leur participation à l'UDF" (page 208). "Réaffirmer une identité centriste et bientôt, peut-être, une relative autonomie des centristes après vingt-cinq années de ralliement à la droite giscardienne et vingt années de consentement à la confusion cohabitationniste et à la dilution au sein de l'UDF: tel a été le pari de François Bayrou dès 1999" (pages 219-220), conclut-il finalement.
Rien à redire à ces derniers extraits, à une divergence de vocabulaire près: en quoi des centristes ralliés à la droite peuvent-ils encore être qualifiés de centristes? Pour moi, en effet, on ne peut pas en même temps être au centre (c'est-à-dire ni à droite ni à gauche) et à droite (ou à gauche). Bref, comme aurait dit La Palice, le centre c'est le centre au centre, tandis que le centre à droite (ou à gauche), ce n'est plus le centre!
Afin d'être complètement honnête, je me dois tout de même de répondre au principal élément de fond avancé par Jean-Pierre Rioux pour justifier son jugement positif du septennat de Valéry Giscard d'Estaing pour le centre: le giscardisme "ce surgeon de la droite orléaniste et libérale, ce métissage de conservatisme, de modération et de modernité, ce vecteur d'un libéralisme orchestrant une société recomposée par le «changement sans le risque», a endossé le meilleur de la philosophie centriste du rassemblement et du juste milieu" (page 177); Valéry Giscard d'Estaing a "exposé en 1976 son désir d'exercer le pouvoir présidentiel et de faire évoluer la Ve République en s'inspirant, sans renier sa famille politique de droite, de l'expérience et des valeurs du centrisme de «bon gouvernement», hérité du temps de Guizot et de Ferry" (page 181).
Reprenons le raisonnement de l'auteur : 1) François Guizot et Jules Ferry incarnaient le centrisme de "bon gouvernement", "du rassemblement et du juste milieu" 2) VGE a repris dans Démocratie française cette philosophie 3) donc VGE s'est inspiré du centrisme.
Or, il me semble que l'historien oublie juste une chose: Guizot, Ferry et Giscard d'Estaing appartiennent à la même famille politique, la famille libérale. Il est donc logique qu'ils défendent le même libéralisme politique et le même parlementarisme face aux tenants d'un exécutif fort!
En réalité, jusqu'à la page 95 ce n'est effectivement pas une histoire du centre que nous livre Jean-Pierre Rioux mais une histoire de la famille libérale. Une famille dont les représentants n'ont pas toujours siégé au centre des assemblées parlementaires: Jules Ferry, par exemple, n'était absolument pas au centre mais à gauche (ses partisans étaient regroupés au sein du groupe de la Gauche républicaine). Mais je reviendrai sur cette critique, la plus importante il me semble, dans une prochaine note...
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06 janvier 2011
Ces centristes qui ont fait l'Histoire
[N'ayant pas encore eu le temps de rédiger, en argumentant, ma liste précise de points de désaccords avec Jean-Pierre Rioux, je publie en attendant ma recension parue ce jeudi dans La Croix]
L'historien Jean-Pierre Rioux, proche de François Bayrou, dresse une galerie de portraits des centristes depuis la Révolution française
Face à la droite (René Rémond) et à la gauche (Jean Touchard, Jean-Jacques Becker et Gilles Candar), qui ont leurs historiens de référence, le centre fait un peu figure d'oublié. Une lacune que contribue à combler Jean-Pierre Rioux, directeur de la revue d'histoire Vingtième siècle (et collaborateur de La Croix), en publiant fort opportunément un ouvrage sur Les Centristes, de Mirabeau à Bayrou. Comme il le précise lui-même en introduction, il s'agit davantage d'un essai que d'une publication scientifique, l'auteur ayant visiblement coiffé dans son travail d'écriture autant sa casquette d'historien de renom que celle d'animateur de l'université populaire du MoDem.
Ponctuée par de nombreux portraits de figures connues ou oubliées, c'est une histoire du centre qui défile devant le lecteur. C'est toute l'originalité de l'œuvre de Jean-Pierre Rioux: avoir cherché le fil rouge qui, de la Révolution à nos jours, constitue, selon lui, l'identité centriste. Finalement, le centrisme serait surtout une attitude: la recherche du "juste milieu" et du "bon gouvernement" ou, reprenant la définition de Maurice Duverger, l'ambition de "donner la prédominance à la distinction des extrémistes et des modérés sur celle de la droite et de la gauche".
Cette définition du centre présente l'avantage de ne pas être avant tout idéologique (même si l'auteur cède parfois à cette tentation), évitant ainsi l'écueil du changement de place des courants de pensée sur l'échiquier politique, au gré des périodes historiques. Ce qui est particulièrement vrai en ce qui concerne les "trois eaux mêlées" qui constitueraient le centrisme: "la libérale, la radicale-socialisante et la démocrate-chrétienne". Leurs représentants n'ont en effet pas toujours siégé au centre des assemblées parlementaires, tandis, comme le rappelle l'historien, qu'elles "n'ont pas toujours conflué, loin de là".
Jean-Pierre Rioux ne confère toutefois pas le même débit à ces trois affluents, puisque "au bout du compte c'est la mouvance démocrate-chrétienne, issue de Marc Sangnier et du Sillon, bien inscrite dans l'héritage du christianisme social dès le temps de Léon XIII, qui est restée le courant le plus original, le plus incisif et le plus déterminant chez les centristes". C'est d'ailleurs "au nom de valeurs humanistes de la démocratie chrétienne que François Bayrou, enfant de ce sérail, a mené sa bataille au sein de l'UDF et qu'il poursuit son combat". Poussant jusqu'au bout cette idée, l'auteur avance que "tous les centristes, d'où qu'ils viennent, savent qu'un certain sens chrétien de l'homme et du monde a valorisé dans leur famille la quête du sens, le respect de l'autre, le souci moral et spirituel, en un mot l'envie de civiliser la politique".
Jean-Pierre Rioux souligne cependant deux ruptures conduites par François Bayrou. D'une part, il a "outrepassé son centrisme démocrate-chrétien pour renouer avec son non-conformisme personnaliste d'origine, appris chez Charles Péguy, Lanza del Vasto ou Jacques Ellul, pour devenir un candidat au ton plus populiste". D'autre part, il a adopté une "stratégie privilégiant l'élection présidentielle, à l'inverse de la culture politique de sa famille d'origine". Mais conformément à la Ve République gaullienne.
Laurent de Boissieu
La Croix, 06 janvier 2011
Les centristes, de Mirabeau à Bayrou de Jean-Pierre Rioux
Fayard, 314 p., 18,50 €
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17 décembre 2010
C'est Noël avant l'heure pour les adversaires de la laïcité
Des "Assises internationales sur/contre l'islamisation de nos pays" sont organisées demain, à Paris, principalement par Riposte Laïque et le Bloc Identitaire.
Cette collaboration est contre-nature:
- le Bloc Identitaire représente l'extrême droite régionaliste, qui, au gré des vents, défend soit une Europe des ethnies (proche de l'Europe des régions d'Europe Écologie - Les Verts) soit une France des régions de nature fédérale (vents actuels).
- Riposte Laïque défend le républicanisme français jacobin.
L'un et l'autre se situent donc aux antipodes. D'autant plus que les racines de Riposte Laïque plongent précisément dans le combat contre la déconstruction régionaliste de la France.
Petit historique:
En décembre 1992 fut organisé à la Mutu, à Paris, un grand banquet républicain pour défendre la République contre la signature, un mois plus tôt, de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Fut alors décidée la création de l'association Initiative Républicaine (IR), transformée en parti politique en octobre 1996.
En octobre-décembre 1999, IR a impulsé une liste de diffusion Internet, ReSPUBLICA, vite devenue le "Journal de la Gauche laïque et républicaine" (puis de la "Gauche républicaine, laïque et sociale" puis de la "Gauche républicaine, laïque, écologique et sociale"), édité depuis 2001 par l'association Les Amis de ReSPUBLICA.
Enfin, Riposte Laïque est issue en septembre 2007 d'une scission de ReSPUBLICA.
Bref, il faudra m'expliquer en quoi le combat pour la laïcité, composante du combat républicain, justifie de s'allier avec des antirépublicains notoires. C'est même le plus beau cadeau à offrir, en cette fin d'année, aux adversaires de la République en général et de la laïcité en particulier...
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16 décembre 2010
Les centristes de Mirabeau à Bayrou
Je viens juste de recevoir le livre de Jean-Pierre Rioux sur "les centristes de Mirabeau à Bayrou" (Fayard, sortie le 5 janvier). Ayant commencé (sans avoir le temps de continuer et terminer) une histoire du centre en France, je me réjouis par avance de cette lecture!
Recension (sans doute assez critique) à venir...
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13 décembre 2010
Foire aux questions sur le centre
Le débat est récurrent: je l'ai régulièrement - depuis 2008 - avec un député Nouveau Centre, je l'ai encore eu jeudi dernier, dans le contexte du "dîner de la République" de Jean-Louis Borloo, avec un sénateur Nouveau Centre, et mon dernier papier l'a relancé par SMS avec un proche d'Hervé Morin, à qui je dédie donc cette petite "foire aux questions sur le centre"!
2. Y-a-t-il toujours eu un centre en France?
4. Le Nouveau Centre est-il au centre?
5. Le Parti radical "valoisien" est-il au centre?
6. L'Alliance Centriste est-elle au centre?
7. L'UDF était-elle au centre?
8. Dominique de Villepin est-il au centre?
1. Qu'est-ce que le centre?
Bien entendu, à un moment donné et dans un État donné le centre, la droite et la gauche possèdent un contenu idéologique; mais dans l'absolu, c'est-à-dire sans double contextualisation spatiale et temporelle, le centre, la droite et la gauche ne signifient rien.
Un exemple: la famille politique libérale a évolué en France (et plus généralement en Europe) de la gauche vers le centre puis la droite ("sinistrisme": Albert Thibaudet, 1932) - vous pouvez visualiser cette évolution en suivant l'emplacement géographique de la famille libérale (en jaune) dans la Chambres des députés sous la IIIe République:
http://www.france-politique.fr/chambre-des-deputes.htm
2. Ya-t-il toujours eu un centre en France?
- 1893-1899 (famille idéologique au centre: libéraux)
- 1920-1940 (familles idéologiques au centre: radicaux puis radicaux et démocrates-chrétiens)
- 1947-1956: Troisième Force (familles idéologiques au centre: socialistes, radicaux, démocrates-chrétiens et libéraux)
- 1962-1974 (familles idéologiques au centre: démocrates-chrétiens puis démocrates-chrétiens et radicaux)
Il n'existait effectivement plus de centre en France entre 1974 et 2007, c'est-à-dire jusqu'à la rupture de François Bayrou avec la droite.
3. Le MoDem est-il au centre?
Mes interlocuteurs du Nouveau Centre considèrent toutefois que le MoDem est à gauche puisqu'il est dans l'opposition (vote contre la déclaration de politique générale du gouvernement de François Fillon le 24 novembre 2010). Or, c'est commettre une erreur: autant le nombre de familles idéologiques est infini, autant le nombre de positionnements géographiques au sein d'une assemblée est limité (extrême droite, droite - dont centre droit -, centre, gauche - dont centre gauche-, extrême gauche), autant l'appartenance à l'opposition ou à la majorité est binaire: on est soit dans l'opposition soit dans la majorité (il n'existe pas de troisième possibilité, contrairement à ce qu'a voulu faire croire François Bayrou entre 2002 et 2007 ou à ce que veut faire croire aujourd'hui Dominique de Villepin).
Bref, un parti peut appartenir à l'opposition sans être de gauche (qui songerait par exemple à classer le Front national à gauche?).
Cela dit, il est vrai que François Bayrou a, selon moi, voulu quitter le centre pour passer à gauche au moment des élections régionales (voir ma note "Bayrou passe à gauche"); seuls l'en ont empêché le mauvais score du MoDem et le bon score du PS et de ses alliés: le PS n'a alors pas eu besoin de fusionner avec le MoDem pour espérer l'emporter (même configuration que Marielle de Sarnez aux élections municipales de 2008 à Paris). Si François Bayrou était passé à gauche, il aurait cependant démonétisé sa prochaine candidature présidentielle en n'en faisait qu'un choix parmi d'autres à gauche (aux côtés de ceux du PS, d'Europe écologie - Les Verts et du Front de Gauche).
4. Le Nouveau Centre est-il au centre?
À l'inverse du MoDem, le Nouveau Centre a été créé par les membres de l'UDF qui souhaitaient rester à droite.
Il est donc logique que la grande majorité des élus de l'ex-UDF soient aujourd'hui au Nouveau Centre et non au MoDem, puisqu'ils ont toujours été élus en tant que candidats de droite. Ce n'est donc pas forcément une question de trahison ou de courage politique: de droite ils étaient, de droite ils sont restés pendant que François Bayrou passait au centre (c'est François Bayrou qui a bougé, ce ne sont pas eux).
Seuls élus ex-UDF à être aujourd'hui majoritairement au MoDem: les parlementaires européens. Exceptions logiques puisque les élections européennes constituent le seul scrutin à tour unique. Or, ce sont précisément les élections à deux tours qui poussent à des alliances de second tour et à une bipolarisation fatales à ceux qui n'appartiennent ni à la coalition de droite ni à la coalition de gauche, qu'il s'agisse du MoDem ou du FN.
5. Le Parti radical "valoisien" est-il au centre?
Pour la même raison que le Nouveau Centre, le Parti radical "valoisien" est à droite. La partition des radicaux est d'ailleurs la conséquence de la bipolarisation intervenue au début des années soixante-dix. À cette époque, le Parti radical historique s'est en effet coupé en deux:
- le Parti radical dit "valoisien" au centre (1972) puis à droite (1974)
- le Mouvement des Radicaux de Gauche (MRG), devenu depuis le Parti Radical de Gauche (PRG).
6. L'Alliance Centriste est-elle au centre?
L'Alliance centriste est le parti dont le positionnement est le plus ambigu. D'un côté, de par ses alliances électorales et les votes de ses parlementaires elle se positionne plutôt à droite. De l'autre, Jean Arthuis, son président, est en train de se recentrer: ralliement à la ligne centriste de François Bayrou dans la perspective de la prochaine élection présidentielle ("Si le candidat du centre n'est pas qualifié au second tour de la présidentielle, il doit chercher à conclure une alliance de gouvernement aussi bien avec le candidat de la droite qu'avec celui de la gauche", La Croix, 21 septembre 2010) et vote contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (25 novembre 2010).
7. L'UDF était-elle au centre?
L'UDF a été créée en 1978 afin de regrouper, face au RPR chiraquien (créé en 1976), la fraction giscardienne de la majorité de droite.
L'UDF avant 2007 - y compris François Bayrou lors de la présidentielle de 2002 (même s'il a brièvement hésité) - n'a ainsi jamais voulu incarner une troisième voie entre la droite et la gauche mais seulement offrir un second choix à droite.
Contrairement à ce qu'a fait croire François Bayrou lorsqu'il en était le président, l'UDF n'a donc jamais été positionnée au centre de l'échiquier politique. Je m'étais ainsi toujours interdit dans mes articles de qualifier hier l'UDF de centriste, comme je m'interdis aujourd'hui de qualifier le Nouveau Centre de centriste. CQFD!
8. Dominique de Villepin est-il eu centre?
Dominique de Villepin se trouve dans la même situation ambigue que François Bayrou entre 2002 et 2007: un pied dans la majorité, un pied dans l'opposition; un pied à droite, un pied ...ailleurs!
Cet "ailleurs" est-il le centre? En réalité, Dominique de Villepin semble hésiter entre "faire du Bayrou" ou "faire du Dupont-Aignan". À suivre...
Pour aller plus loin:
Hervé Morin veut incarner un centre de droite
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