09 novembre 2010
Nicolas Sarkozy: un gaullisme commémoratif et désidéologisé
Nicolas Sarkozy prononcera ce mardi un discours comme il les affectionne, à Colombey-les-Deux-Églises, pour le quarantième anniversaire de la mort du général de Gaulle. L'occasion pour lui de revendiquer sa part de filiation gaulliste.
De fait, c'est par le gaullisme que le président de la République est entré en politique, puisque sa première campagne, comme un simple militant, fut celle de Jacques Chaban-Delmas à l'élection présidentielle de 1974. Dans la foulée, il adhère à l'UDR puis au RPR. "Être jeune gaulliste, c'est être révolutionnaire", s'enflamme le jeune homme à Nice, en juin 1975, lorsqu'il parle pour la première fois à la tribune d'un grand rassemblement politique. "Révolutionnaire pas à la manière de ceux qui sont des professionnels de la manif'", avait-il toutefois précisé. Philippe Dechartre (lire son portrait) révèle même qu'à cette époque, Nicolas Sarkozy alla frapper à la porte du Mouvement pour le socialisme par la participation, gaulliste de gauche.
Plus tard, Nicolas Sarkozy expliquera son engagement pour des raisons plus sociologiques et familiales que politiques et personnelles. "Culturellement, je n'étais pas de gauche et socialement, je ne me sentais pas giscardien", racontait-il dans un livre d'entretiens avec Michel Denisot (Au bout de la passion, l'équilibre…, Albin Michel, 1995). "Je suis gaulliste depuis l'enfance", insistera-t-il en 2007 sur son site de campagne présidentielle. "Ma famille m'a enseigné les valeurs du gaullisme: l'amour de la France et le refus de la fatalité."
Cette dernière valeur semble celle qui définit le mieux le gaullisme pour Nicolas Sarkozy: "Le gaullisme, c'est le refus de la fatalité", répétait-il en février 2008 lors de l'inauguration de l'Historial Charles-de-Gaulle aux Invalides, à Paris. "Le gaullisme, c'est le mot par lequel nous désignons dans notre histoire la volonté humaine, lorsqu'elle est fermement opposée au renoncement." Il s'agit donc d'une définition sans contenu idéologique, semblable à celle de Georges Pompidou ("une attitude") ou d'Édouard Balladur ("un pragmatisme"). "Le gaullisme n'a jamais été une idéologie, le gaullisme n'a jamais été une religion, poursuivait l'ancien balladurien. Le général de Gaulle s'y est toujours opposé. Il ne voulait pas que sa pensée fût enfermée dans la rigidité d'une doctrine."
Ne conférant aucun corpus doctrinal au gaullisme, le président de la République est donc imperméable aux critiques de ceux qui, à droite ou à gauche, l'accusent de rompre avec les idées de Charles de Gaulle, par exemple à propos de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'Otan. À Michel Denisot, Nicolas Sarkozy expliquait donc logiquement que, d'après lui, "le gaullisme a d'abord été le rapport à un homme dont la dimension a fait une partie de l'histoire contemporaine de notre pays, le général de Gaulle, et ce, quels que soient les choix qu'il effectuait. On s'engageait derrière le Général. C'était plus derrière lui, derrière la confiance qu'il suscitait que derrière sa pensée" (1).
"Le gaullisme constitue nos racines. C'est un fait, mais avec le temps qui passe cela devient notoirement insuffisant", écrivait-il dans Libre (Robert Laffont/Xo, 2001) en soulignant que "le gaullisme appartient aujourd'hui à l'histoire de France et, à ce titre, il est devenu l'apanage de chaque Français (…), il est en quelque sorte tombé ou inscrit dans le patrimoine national". Dans les années 1990, Nicolas Sarkozy se réclamait d'ailleurs d'un "gaullisme libéral", oxymore pour ceux qui donnent un contenu économique et social au gaullisme (programme du Conseil National de la Résistance, planification et interventionnisme de l'État, association capital-travail et participation, etc.).
Parallèlement, le dirigeant du RPR rompait avec le positionnement politique ni de droite ni de gauche de sa famille politique (2): "Quant à se dire de droite, une bonne partie de mes amis s'y refusent obstinément. J'avoue avoir du mal à comprendre cette forme de pudeur qui n'est rien d'autre qu'une façon de céder à la mode du moment (…) Car enfin, pourquoi donc serait-il noble d'être de gauche et faudrait-il s'excuser d'être de droite?."
Dans le même livre, Nicolas Sarkozy note par ailleurs que "les héritiers politiques de la famille gaulliste ont une tendance certaine à la nostalgie, qui s'illustre notamment dans le pèlerinage annuel à Colombey": "Je m'en veux d'ailleurs d'avoir sacrifié cette année encore à cette forme de totem, avouait-il. J'ai pourtant clairement conscience que nous entretenons ainsi une caricature, chaque jour plus désuète." La plume de celui qui se rend ce mardi en Haute-Marne devient même féroce lorsqu'il écrit que "Dieu que le paysage est triste en novembre du côté de Bar-le-Duc, il pleut quasi invariablement, il fait froid et le vent souffle fort, à croire que les conditions atmosphériques se mettent de la partie pour rendre le pèlerinage un peu plus difficile".
Depuis sa campagne présidentielle puis son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy affectionne pourtant ces commémorations historiques: il s'est déjà rendu trois fois à Colombey-les-Deux-Églises (en avril et novembre 2007 puis en octobre 2008 pour l'inauguration du Mémorial Charles-de-Gaulle) et quatre fois sur le plateau des Glières, haut lieu de la Résistance (en mai 2007, mars 2008, avril 2009 et 2010).
Laurent de Boissieu
La Croix, 09 novembre 2010
(version plus courte publiée sous le titre De Gaulle-Sarkozy, une filiation revendiquée)
(1) Dans l'unique définition qu'il en donna, Charles de Gaulle présenta le gaullisme comme "un système de pensée, de volonté et d'action" (9 septembre 1968); Nicolas Sarkozy fait l'impasse sur le premier facteur.
(2) "Le fait que les partisans de droite et les partisans de gauche déclarent que j’appartiens à l’autre côté, prouve précisément ce que je vous dis, c’est-à-dire que, maintenant comme toujours, je ne suis pas d’un côté, je ne suis pas de l’autre, je suis pour la France", Charles de Gaulle, 15 décembre 1965.
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29 octobre 2010
Radioscopie des droites européennes
La Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), qui a pour directeur général le politologue Dominique Reynié, s'est lancée dans une passionnante entreprise d'état des lieux des droites européennes en sollicitant l'expertise d'analystes des États concernés. Après la Grande-Bretagne (avril 2010), l'Italie (juillet), la Suède et le Danemark (juillet) puis la Pologne (août), Joan Marcet – directeur de l'Institut de Ciències Polítiques i Socials rattaché à l'Université autonome de Barcelone – se demande en octobre où en est la droite en Espagne (1).
L'auteur étudie les origines, l'organisation, les réseaux et l'idéologie de la droite espagnole, aujourd'hui rassemblée au sein du Partido Popular. "Par ses options stratégiques, par ses aspects idéologiques ou programmatiques, la droite espagnole diffère peu de ses homologues européennes", conclut Joan Marcet. Il n'en reste pas moins qu'au fil des pages se dessine une droite dont "les contradictions et les ambiguïtés (…) trouvent probablement leur cause dans l'histoire complexe de la droite espagnole, qui a dû s'adapter, sans l'intégrer à son corpus idéologique, à la modernisation démocratique et institutionnelle de l'Espagne".
À travers ces publications, la Fondation pour l'innovation politique – qui se définit comme "libérale, progressiste et européenne" – dote la droite française de gouvernement du même outillage idéologique que le PS avec la Fondation Jean-Jaurès. Un espace jusque-là vacant, puisque la Fondation Robert-Schuman, au centre droit, concentre ses activités sur la seule construction européenne. Quelles que soient ses opinions, tout citoyen intéressé par le débat d'idées ne peut que s'en réjouir.
Laurent de Boissieu
La Croix, 22 octobre 2010
(1) Où en est la droite ? L'Espagne. Note de la Fondation pour l'innovation politique, octobre 2010, 3 €, 33 pages
Les notes sont également téléchargeables gratuitement sur le site de la Fondapol : http://www.fondapol.org
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11 octobre 2010
Radioscopie des députés UMP (1/2)
Les débats autour du "bouclier fiscal" et du projet de loi "relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité" rappellent que l'UMP est un parti idéologiquement hétérogène.
Contrairement à une idée de plus en plus répandue, la création en 2002 de l'UMP ne correspondait en effet pas à une mythique "réunification des droites" mais à la fusion inédite de familles politiques historiquement distinctes.
Je vous propose donc pour iPolitique.fr une étude sur les clivages et les rapports de force actuels au sein du groupe UMP à l'Assemblée nationale. Pour réaliser ce travail inédit, j'ai classé chaque député UMP en fonction d'une trentaine de paramètres regroupés en trois catégories: appartenance actuelle ou passée à un parti ou à un club; votes à l'Assemblée nationale; signatures de propositions de loi ou d'amendements.
Sur 314 membres du groupe UMP, 83 députés (26%) ne se signalent par aucune prise de position les démarquant de leurs collègues et en forment en quelque sorte le "marais".
Cette étude sera publiée en deux temps:
I. Radioscopie des députés UMP
II. RPR, DL, UDF: que sont-ils devenus?
I. Radioscopie des députés UMP
A. Origine partisane des députés UMP
Les députés UMP restent majoritairement issus du RPR (52% contre 58% en 2002). La différence la plus frappante par rapport au lendemain des élections législatives de 2002 est le nombre de députés que je ne rattache à aucun des trois grands partis (5% en 2002, 15% aujourd'hui). C'est la signe de l'émergence d'une "génération UMP", soit qui ne détenait pas de mandat significatif avant 2002, soit entrée en politique depuis la création de l'UMP. Dans cette catégorie, les femmes (progression de la parité) et les suppléants de députés (membres du gouvernement ou décédés) sont surreprésentés.
B. Les trois grands courants
Trois grands courants structurés sont censés correspondre idéologiquement aux trois grandes familles politiques qui ont convergé - totalement ou partiellement - dans l'UMP:
- Les Réformateurs (REF) pour les libéraux (Hervé Novelli, Gérard Longuet): 99 députés dont 66 "purs" (c'est-à-dire n'adhérant pas à un autre courant).
- Les "centristes de l'UMP" (CENT: Pierre Méhaignerie, Marc-Philippe Daubresse): 61 députés dont 41 "purs". On peut en outre ajouter 11 députés membres du Parti radical valoisien ou du Parti chrétien-démocrate qui ne participent pas parallèlement aux "centristes de l'UMP".
- Le Chêne pour les néogaullistes (Michèle Alliot-Marie): 46 députés dont 27 "purs". Le Chêne ne détient toutefois pas le monopole de l'étiquette gaulliste dans la mouvance de l'UMP: au total, 62 députés UMP adhèrent à au moins une structure d'inspiration gaulliste (Le Chêne, Union des Démocrates pour le Progrès, République Solidaire, Club Nouveau Siècle).
Il existe une forte porosité entre ces courants, particulièrement des libéraux aussi bien avec les "centristes de l'UMP" (17 députés adhèrent aux deux courants) qu'avec les néogaullistes du Chêne (16 députés adhèrent aux deux).
Au-delà de cette participation à tel ou tel courant, j'ai retenu deux champs de fracture au sein des députés UMP:
- le clivage sociaux versus libéraux
- le clivage autoritaires versus libéraux
C. Le clivage sociaux vs libéraux
L'égalité est presque parfaite entre les "libéraux" (79 députés) et les "sociaux" (72 députés). Sans surprise, les "libéraux" sont majoritairement issus de Démocratie libérale (52%), tandis que les ex-UDF forment le principal contingent des "sociaux" (46%), devant les ex-RPR (39%).
Les "inclassables" sont des députés qui se rattachent tantôt aux "libéraux" tantôt aux "sociaux". Ils se distinguent donc du "marais", formé par les députés qui se signalent par aucune prise de position particulière.
D. Le clivage autoritaires vs libéraux
Il n'est pas inintéressant de constater, même si c'est toujours le "marais" qui fait pencher la balance d'un côté ou de l'autre, que le noyau dur des "libéraux" (121 députés) est plus nombreux que le noyau dur des "autoritaires" (83 députés). Sans surprise, les "autoritaires" sont très majoritairement issus du RPR (63%).
E. Les 4 familles de l'UMP
En croisant ces deux clivages, nous pouvons identifier quatre familles "pures" au sein du groupe UMP:
- les libéraux/autoritaires (LI+A): 28 députés
- les libéraux/libéraux (LI+LI): 43 députés
- les sociaux/libéraux (SO+LI): 50 députés
- les sociaux/autoritaires (SO+A): 10 députés
Radioscopie des députés UMP (2/2) : RPR, DL, UDF: que sont-ils devenus?
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09 octobre 2010
Le Nouveau Centre pris en flagrant délit de contradiction
Le conseil national du Nouveau Centre a adopté ce samedi, "à l'unanimité", une motion intitulée "Le choix du centre en 2012".
Magnifique ! Toutes les contradictions que je mettais en avant dans ma note intitulée Hervé Morin veut incarner un centre de droite y figurent :
- tantôt l'aveu d'un positionnement à droite et non au centre : "Il y a trois ans, nous nous sommes fixés tous ensemble l'objectif de reconstruire le grand parti de centre-droit qui manquait à notre pays", "Depuis la candidature de Jean Lecanuet en 1965, la diversité de candidatures a toujours un formidable atout pour le centre-droit et la droite"...
- tantôt la revendication - donc paradoxale et contradictoire - d'un positionnement centriste : "Pour nous, la question des alliances de second tour est claire et déjà tranchée : les alliés du centre sont à droite"...
Afin de ne pas répéter encore ce que je répète inlassablement depuis des années, voici un extrait du disours de clôture de François Bayrou lors de la dernière université de rentrée du MoDem, qui rejoint ma pensée :
"(...) Aujourd'hui, les vocations de "centre" se multiplient (...) Vous vous souvenez, ceux qui (...) ne juraient que par le "centre-droit", manière que l'adjectif démente le substantif, que l'adjectif dise le contraire du nom. Puisque si vous êtes centre, c'est que vous n'acceptez pas que le monde se résume à la lutte droite contre gauche. Donc quand vous dites centre-droit (...) : dans le nom "centre" vous dites non au bipartisme, et dans l'adjectif "droit" vous dites oui ! Dans le nom vous résistez, et dans l'adjectif vous signez la capitulation !"
François Bayrou sait d'ailleurs de quoi il parle puisque, avant la création du MoDem, tout ce qu'il dénonce aujourd'hui à propos du Nouveau Centre d'Hervé Morin était valable pour l'UDF ...de François Bayrou !
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06 octobre 2010
Les villepinistes espèrent toujours former un groupe à l'Assemblée nationale
C'est un échec politique pour Dominique de Villepin. Alors que vient de s'ouvrir cette semaine la session parlementaire 2010-2011, les députés villepinistes ne sont finalement pas parvenus à trouver suffisamment d'alliés pour former un nouveau groupe. Depuis mai 2009, il suffit pourtant de réunir quinze membres sur un total de 577 députés. Or, si un groupe peut se constituer à tout moment, il lui faut en revanche impérativement exister au début de la session s'il veut bénéficier des droits spécifiques aux groupes d'opposition ou minoritaires et être représenté dans les organes de l'Assemblée nationale. C'est donc raté pour cette session, voire pour la législature. Qu'à cela ne tienne : les villepinistes ne renoncent pas. "Le besoin d'expression libre et indépendante des républicains sociaux se consolide de jour en jour, expose sereinement Marie-Anne Montchamp. Il faut le temps que chacun fasse son chemin, mais je suis absolument certaine que nous y arriverons."
La constitution de ce nouveau groupe se heurte pour l'instant à deux écueils. Le premier est interne : combien d'élus villepinistes sont vraiment prêts à rompre avec le groupe UMP ? Huit députés UMP adhèrent au parti de Dominique de Villepin, République solidaire, auxquels s'ajoute le non-inscrit Daniel Garrigue. Or, sur la réforme des retraites, sept villepinistes se sont abstenus (Marc Bernier, Daniel Garrigue, François Goulard, Jean-Pierre Grand, Jacques Le Guen, Marie-Anne Montchamp et Jean Ueberschlag), tandis que deux autres (Guy Geoffroy et Michel Raison) votaient pour.
Le second écueil est externe : avec qui s'allier pour atteindre le seuil de quinze membres ? Les villepinistes possèdent comme allié naturel le parti gaulliste Debout la République, qui compte deux députés : Nicolas Dupont-Aignan et François-Xavier Villain. Marie-Anne Montchamp avance en outre une "compatibilité" avec l'unique député et président du CNI, Gilles Bourdouleix. Mais ce dernier n'est aujourd'hui "pas prêt à franchir le Rubicon". Un autre député pourrait compléter le dispositif : le "gaulliste social de centre droit" Philippe Folliot (apparenté au groupe Nouveau Centre et porte-parole de l'Alliance centriste). Enfin, quelque huit députés sociaux du groupe UMP, gaullistes ou démocrates-chrétiens, seraient potentiellement intéressés… mais souhaitent attendre et conserver pour l'instant leur anonymat. Tout au moins "jusqu'au remaniement ministériel", confie l'un d'eux. En clair : tout dépendra de l'orientation, plus ou moins sociale, du futur premier ministre.
Cet été, les villepinistes avaient même proposé, non sans débats internes, une alliance technique avec les trois élus du MoDem. Mais François Bayrou - qui aurait également pu renouer à cette occasion avec le député Nouveau Centre Nicolas Perruchot - avait posé comme condition une rupture totale avec l'UMP, aussi bien avec le groupe parlementaire qu'avec le parti. Une condition irrecevable alors que Dominique de Villepin, en tant qu'ancien premier ministre encarté, est lui-même actuellement membre du bureau politique de l'UMP.
Laurent de Boissieu
La Croix, 6 octobre 2010
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