Historique de la législation sur la déchéance de la nationalité 1848-1938 (29 décembre 2015)
1. La lutte contre l'esclavage:
À l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions, entraînera la perte de la qualité de citoyen français. Néanmoins, les Français qui se trouveront atteints par ces prohibitions, au moment de la promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans pour s'y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d'esclaves en pays étrangers, par héritage, don ou mariage, devront, sous la même peine, les affranchir ou les aliéner dans le même délai, à partir du jour où leur possession aura commencé.
(article 8 du décret du 27 avril 1848 d'abolition de l'esclavage)
Reste toutefois à déterminer si la "perte de la qualité de citoyen français" du décret d'abolition de l'esclavage renvoie à l'actuelle déchéance de la nationalité, à la perte de la nationalité ou à la seule privation des droits civiques. Or, la jurisprudence a répondu en faveur d'une sanction (et non d'une perte, constat d'un comportement) de déchéance de nationalité:
La nationalité faisant partie des droits des citoyens, la juridiction civile est seule compétente pour prononcer la déchéance de la qualité de Français encourue en exécution du décret du 27 avril 1848, pour avoir fait le trafic des esclaves.
(...)
Attendu que c'est à tort que le sieur El Guerbaoni prétend que le tribunal civil de Mascara était incompétent ratione materiae pour prononcer la déchéance de le qualité de citoyen français, aucun texte de la loi n'établissant la compétence des tribunaux civils pour appliquer la mesure édictée par l'article 8 du décret du 27 avril 1848, et le tribunal n'ayant pas, dans l'affaire actuelle, à constater un simple changement d'état qui résulterait soit d'une libre volonté, soit d'une volonté présumée légalement, mais à prononcer, à titre de peine, une véritable déchéance;
(...)
Que la déchéance de la qualité de citoyen français ne saurait constituer une des peines prévues par le code pénal et ne pourrait être assimilée à la dégradation civique, qui ne prive pas le condamné de sa nationalité; que si le tribunal civil n'était pas compétent pour prononcer la déchéance édictée par l'article 8 du décret du 27 avril 1848, il faudrait décider que cette sanction serait toujours inapplicable, puisqu'il n'appartiendrait à aucune juridiction d'en faire l'application; qu'il est impossible d'admettre que le législateur ait prononcé une déchéance sur laquelle aucun tribunal n'aurait qualité pour statuer;
Attendu que le sieur El Guerbaoni soutient vainement qu'on ne peut établir aucune analogie entre les articles 17 et 21 du code civil, qui reposent sur une présomption de renonciation à la qualité de Français, et la perte de la qualité de citoyen français édictée par l'article 8 de la loi du 27 avril 1848;
Attendu, en effet, que s'il n'appartient qu'au tribunal civil de décider qu'un citoyen a perdu la qualité de Français dans les cas prévus par les articles 17 et 21 du code civil, il n'y a aucun motif pour refuser compétence à cette juridiction, quand la perte de la qualité de citoyen français doit résulter de l'application de l'article 8 du décret du 27 avril 1848;
Que le Français qui, sans l'autorisation du gouvernement, prend du service militaire à l'étranger ou accepte des fonctions publiques en pays étranger, n'est pas présumé, par cela même, renoncer à sa nationalité; que la déchéance de la qualité de Français est édictée contre lui à titre de sanction, de même que contre celui qui se livre au commerce des esclaves;
Attendu, du reste, que les travaux préparatoires qui ont précédé le décret du 27 avril 1848 n'excluent nullement une présomption de renonciation à la qualité de citoyen français chez celui qui achète, vend, ou possède des esclaves; que le rapport dressé par M. Schœlcher au nom de la Commission chargée de préparer l'acte d'abolition de l'esclavage s'exprime, en effet, ainsi: "Ce décret fait plus: il veut que le Français, en quelque pays qu'il réside, abdique le honteux privilège de posséder un homme; la qualité de «maître» devient incompatible avec le titre de citoyen français. C'est renier son pays que d'en renier le dogme fondamental";
Attendu que si, au contraire, la sanction établie par le décret de 1848 est une peine, il faut la considérer comme une peine civile, qu'il appartient aux tribunaux civils de prononcer, au même titre que la déchéance des droits de puissance paternelle ou la révocation des fonctions de tuteur, qui constituent des mesures ayant le même caractère; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont décidé qu'ils étaient compétents pour statuer sur la question de déchéance qui leur était soumise.
Cour d'Alger, 19 janvier 1898 (El Guerbaoni Abdallah ben Abdelkader)
2. La première guerre mondiale:
Art. 1er. En cas de guerre entre la France et une puissance à laquelle a ressorti un étranger naturalisé, celui pourra être déchu de la naturalisation, lorsqu'il aura conservé la nationalité de son pays d'origine ou du pays dans lequel il a été antérieurement naturalisé.
La déchéance sera obligatoire: si le naturalisé a recouvré une nationalité antérieure ou acquis toute autre nationalité; s'il a soit porté les armes contre la France; soit quitté le territoire français pour se soustraire à une obligation d'ordre militaire; soit enfin si, directement ou indirectement, il a prêté ou tenté de prêter contre la France, en vue ou à l'occasion de la guerre, une aide quelconque à une puissance ennemie.
La déchéance sera prononcée par décret rendu après avis du Conseil d'État et sauf recours au contentieux devant cette juridiction. Le décret portant retrait de la nationalité française fixe le point de départ de ses effets sans toutefois pouvoir les faire remonter au-delà de la déclaration de guerre.
Art. 2. Seront révisées toutes les naturalisations accordées postérieurement au 1er janvier 1913 à des sujets ou anciens sujets de puissance en guerre avec la France.
Dans un délai de quinzaine à compter de la publication du décret réglant les conditions d'application de la présente loi, un état nominatif de toutes ces naturalisations devra être inséré au Journal Officiel par les soins du Ministre de la Justice.
Dans un délai de trois mois à compter de l'expiration de ce premier délai de quinzaine, le Ministre de la Justice devra, par une publication insérée au Journal Officiel, faire connaître celles de ces naturalisations jugées dignes d'être maintenues, ainsi que les motifs de cette décision.
Dans le même délai, toutes les autres naturalisations seront rapportées par décrets, insérés au Journal Officiel.
Le retrait de la naturalisation exercé dans cette hypothèse produira de plein droit ses effets à dater de la déclaration de guerre.
Les dispositions du présent article sont sans application aux Alsaciens ou aux Lorrains d'origine nés avant le 20 mai 1871 ou à leurs descendants.
Art. 3. En aucun cas, la rétroactivité du retrait de naturalisation ne pourra préjudicier aux droits des tiers de bonne foi, ni faire échec à l'application des lois pénales sous le coup desquelles le naturalisé serait tombé avant le décret de retrait.
Art. 4. Le retrait de la nationalité française prononcé en vertu des articles précédents est personnel à l'étranger qui l'a encouru. Toutefois, selon les circonstances, il pourra être étendu à la femme et aux enfants, s'il en est ainsi ordonné, soit par le décret concernant le mari ou le père, soit par un décret ultérieur rendu dans les mêmes formes.
Art. 5. La femme pourra décliner la nationalité française dans le délai d'un an, à partir de l'insertion au Journal Officiel du décret portant retrait de la naturalisation à l'égard du mari. Si lors de cette insertion, elle est mineure, ce délai ne commencera à courir qu'à dater de sa majorité.
La même faculté est reconnue aux enfants dans les mêmes conditions. En outre, le représentant légal des enfants mineurs pourra, dans les conditions prévues par l'article 9 du Code civil, renoncer pour eux au bénéfice de la nationalité française qu'ils tiennent soit du décret de naturalisation du père, soit d'une déclaration antérieure de nationalité.
Art. 6. Aucune naturalisation nouvelle d'un sujet d'une puissance en guerre avec la France ne pourra être accordée avant la signature définitive de la paix.
Art. 7. La présente loi cessera d'être exécutoire deux ans après la signature de la paix.
Art. 8. La présente loi est applicable à l'Algérie et dans les autres possessions françaises.
Art. 9. Un règlement d'administration publique déterminera les conditions d'application de la présente loi.
(loi du 7 avril 1915 autorisant le Gouvernement à rapporter les décrets de naturalisation obtenus par d’anciens sujets de puissances en guerre avec la France)Art. 1er. En cas de guerre entre la France et une puissance à laquelle a ressorti un étranger naturalisé, celui-ci pourra être déchu de la nationalité française lorsqu'il aura conservé la nationalité de son pays d'origine ou du pays dans lequel il a été antérieurement naturalisé.
Sera réputé avoir conservé sa nationalité d'origine, à moins que, pendant la durée de la guerre, il ne serve ou n'ait servi dans l'armée française ou qu'il n'ait ou n'ait eu un fils sous les drapeaux français, le naturalisé qui, depuis la naturalisation, aura, dans son pays d'origine, soit fait un ou plusieurs séjours, soit acquis des propriétés, soit participé à des entreprises agricoles, financières, commerciales ou industrielles, soit possédé un domicile ou une résidence durable et à l'égard duquel existeront, en outre, des présomptions précises et concordantes, résultant de manifestations extérieures, de la persistance de son attachement à ce pays.
La déchéance sera obligatoire: si le naturalisé a recouvré une nationalité antérieure ou acquis toute autre nationalité; s'il a, soit porté les armes contre la France, soit quitté le territoire français pour se soustraire à une obligation d'ordre militaire, soit enfin, si directement ou indirectement, il a prêté ou tenté de prêter, contre la France, en vue ou à l'occasion de la guerre, une aide quelconque à une puissance ennemie.
Sera réputé avoir quitté le territoire français pour se soustraire à une obligation d'ordre militaire le naturalisé qui, n'ayant pas répondu à l'ordre de mobilisation, aura été déclaré insoumis et aura disparu de son domicile ou de sa résidence. Si la déclaration d'insoumission est rapportée, la réintégration dans la qualité de Français sera ordonnée sans délai par le tribunal civil sur requête du procureur de la République.
Sera considéré comme ayant prêté ou tenté de prêter une aide quelconque à une puissance ennemie le naturalisé qui aura, soit contrevenu aux dispositions des lois, règlements et prohibitions édictés en vue ou à l'occasion de la guerre, soit mis obstacle ou tenté de mettre obstacle aux mesures ordonnées dans l'intérêt de la défense nationale.
(...)
11. La déchéance de la nationalité française, prononcée en vertu de la présente loi, est personnelle à l'étranger qui l'a encourue. Toutefois elle peut, selon les circonstances, être étendue à la femme et aux enfants régulièrement mis en cause, soit par la même décision, soit par une décision ultérieure rendue dans les mêmes formes.
12. La femme pourra décliner la nationalité française dans le délai d'un an à partir de l'insertion au Journal officiel de la décision définitive portant déchéance de cette nationalité à l'égard du mari. Si, lors de cette insertion, elle est mineure, ce délai ne commencera à courir qu'à dater de sa majorité.
La même faculté est reconnue aux enfants dans les mêmes conditions. En outre, le représentant légal des enfants mineurs, pourra, dans les conditions prévues par l'article 9 du Code civil, renoncer pour eux au bénéfice de la nationalité qu'ils tiennent soit du décret de naturalisation du père, soit d'une déclaration antérieure de nationalité.
13. Aucune action de déchéance en vertu de la présente loi ne pourra être engagée après l'expiration de la cinquième année suivant la cessation des hostilités fixée par décret.
14. La présente loi est applicable à l'Algérie et aux autres possessions françaises.
15. La loi du 7 avril 1915 est abrogée dans toutes les dispositions contraires à la présente loi.
(loi du 18 juin 1917 modifiant la loi du 7 avril 1915 autorisant le gouvernement à rapporter les décrets de naturalisation obtenus par d’anciens sujets de puissances en guerre avec la France)
3. Le code de la nationalité de 1927:
Article 9. 5° Perdent la qualité de Français : Le Français qui, ayant acquis, sur sa demande, ou celle de ses représentants légaux, la nationalité française, est déclaré déchu de cette nationalité par jugement. Cette déchéance peut être encourue:
a) Pour avoir accompli des actes contraires à la sûreté intérieure et extérieure de l'État français;
b) Pour s'être livré, au profit d'un pays étranger, à des actes incompatibles avec la qualité de citoyen français et contraires aux intérêts de la France;
c) Pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui des lois de recrutement.
Article 10. L'action en déchéance doit être exercée dans un délai de dix ans à partir de l'acquisition de la qualité de Français, délai qui court seulement à dater de la promulgation de la présente loi, si l'acquisition de cette qualité est antérieure à sa mise en vigueur. Pour les personnes qui ont acquis la nationalité française antérieurement à la mise en vigueur de la présente loi, la déchéance ne pourra être encourue que pour des faits postérieurs à cette mise en vigueur (...)
La déchéance de la nationalité correspond alors à une sorte de période d'essai pour les Français naturalisés, qui ne sont donc pas immédiatement égaux avec les autres Français. Cette période de dix ans est reprise d'une autre disposition législative:
Loi du 26 juin 1889
Article 3. L'étranger naturalisé jouit de tous les droits civils et politiques attachés à la qualité de citoyen français. Néanmoins il n'est éligible aux assemblées législatives que dix ans après le décret de naturalisation, à moins qu'une loi spéciale n'abrège ce délai. Ce délai pourra être réduit à une année. Les Français qui recouvrent cette qualité, après l'avoir perdue, acquièrent immédiatement tous les droits civils et politiques, même l’éligibilité aux assemblées législatives.Code de la nationalité du 10 août 1927
Article 6. 3° (...) L'étranger naturalisé jouit de tous les droits civils et politiques attachés à la qualité de citoyen français. Néanmoins, il ne peut être investi de fonctions ou mandats électifs que dix ans après le décret de naturalisation, à moins qu'il n'ait accompli les obligations militaires du service actif dans l'armée française ou que, pour des motifs exceptionnels, ce délai n'ait été abrégé par décret rendu sur rapport motivé du garde des sceaux.
4. Décret-loi du 12 novembre 1938 relatif à la situation et à la police des étrangers:
Article 10. L'étranger devenu Français sur sa demande ou celle de ses représentants légaux, ou par application de l'article 4, peut être déchu de cette nationalité à la demande du ministre de l'intérieur, par décret rendu sur la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, et sur avis conforme du conseil d'État. L'intéressé dûment appelé a la faculté de produire des pièces et des mémoires.
Cette déchéance sera encourue:
a) Pour avoir accompli des actes contraires à l'ordre public, à la sûreté intérieure ou extérieure de l'État ou au fonctionnement de ses institutions;
b) Pour s'être livré, au profit d'un pays étranger, à des actes incompatibles avec la qualité de citoyen français;
c) Pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui des lois de recrutement;
d) Pour avoir, en France ou à l'étranger, commis un crime ou un délit ayant entraîné une condamnation à une peine d'au moins une année d'emprisonnement.
Le décret devra intervenir dans les dix ans du décret de naturalisation si les faits sont antérieurs audit décret et dans les dix ans de la perpétration des faits s'ils sont postérieurs à la naturalisation.
Cette déchéance sera encourue quelle que soit la date de l'acquisition de la qualité de Français, même si elle est antérieure à la mise en vigueur de la présente disposition mais à condition que les faits s'ils sont postérieurs à la naturalisation, aient été commis avant l'expiration d'un délai de dix ans à compter de cette acquisition.
Cette mesure pourra dans les mêmes formes être étendue à la femme et aux enfants mineurs.
00:05 | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook | | Imprimer | |
Commentaires
Bonjour
ai-je bien compris le problème?
Jusqu'à ce jour, il n'était pas possible (pas de loi existante?) de déchoir de sa nationalité un Français né en France? Cela ne s'appliquait qu'aux personnes naturalisées à leur demande?
Finalement, la question principale n'est-elle pas de savoir s'il est pertinent d'introduire cette possibilité de déchéance dans la Constitution?
L'avis du Conseil d'Etat rendu à la demande du gouvernement avant de décider cette mesure vous paraît-il juridiquement juste? C'est lui qui suggère de passer par la Constitution plutôt que par une loi?
Si cette modification Constitutionnelle est votée par le Congrès, un recours auprès du Conseil Constitutionnel sera-t-il possible? Quelle pourrait (devrait?) être sa réponse?
Merci de votre attention
Cordialement
Bernard GERIN
Écrit par : GERIN | 29 décembre 2015
Bonjour,
Exactement:
- seul actuellement un naturalisé depuis moins de 10 ou 15 ans (cas des actes de terrorisme) peut être déchu de la nationalité française: mais pas "à sa demande", c'est une peine!
- afin d'élargir aux Français nés Français, le Conseil d'État a conseillé au gouvernement que cela passe par la Constitution (ce dont je n'étais pas personnellement persuadé)
- passer par la Constitution empêche ensuite tout recours devant le Conseil constitutionnel puisque celui-ci juge de la conformité d'une loi... à la Constitution!
Cordialement.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 29 décembre 2015
Merci tout est clair pour moi. Finalement le problème est bien cette histoire de passer par la Constitution. Et puis aussi de l'incompréhension que cela risque d'entraîner de la part des binationaux issus de l'immigration...Au moment où l'on voit les tensions très fortes dans la société française, le message n'est peut être pas idéal pour renforcer le sentiment d'appartenance de ces concitoyens à la République. Ce n'est que mon modeste avis....
Sur la formulation "à leur demande" je voulais parler de leur demande de naturalisation, et bien sûr pas de leur demande de déchéance!
Merci d'avoir pris la peine de me répondre
Bien à vous
Bernard GERIN
Écrit par : GERIN | 29 décembre 2015
Merci de ce récapitulatif historique, que je tentais de faire moi-même surtout à partir de la Loi de 1915, Loi, difficile à décortiquer.
Surtout la distinction des naturalisations et des acquisitions par la naissance sur le sol français.
Écrit par : Danielle A | 30 décembre 2015