François Bayrou censure Dominique de Villepin (15 mai 2006)

François Bayrou pousse l'UDF en dehors de la majorité

 

En annonçant, dimanche soir sur TF1, qu’il votera mardi la motion de censure déposée par la gauche contre le gouvernement de Dominique de Villepin, François Bayrou a franchi la ligne blanche qui sépare la majorité de l’opposition et met les députés de son parti au pied du mur. La question de l’appartenance de l’UDF à la majorité ou à l’opposition est lancinante depuis le début de la législature. D’année en année, François Bayrou est progressivement parvenu à décrocher l’UDF de la majorité, au risque de ne pas être suivi par tous les élus qui lui sont restés fidèles en 2002.

D’une manière générale, on considère qu’à l’Assemblée nationale trois scrutins permettent de déterminer le positionnement politique d’un groupe parlementaire : le vote de la confiance, celui du budget et celui d’une motion de censure. Dès 2003, les députés UDF se sont abstenus sur le projet de loi de finances pour 2004. L’année suivante, comme en 2002, ils ont toutefois décidé de voter le budget. Il faudra finalement attendre novembre 2005 pour que François Bayrou franchisse le Rubicon et vote contre le projet de loi de finances pour 2006. Un autre pas, symboliquement et politiquement plus décisif, a été sauté l’année dernière : alors qu’en juillet 2002 l’UDF avait voté pour la déclaration de politique générale du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, François Bayrou a voté en juin 2005 contre celle du gouvernement de Dominique de Villepin.

En censurant le gouvernement, François Bayrou franchit maintenant un nouveau cap et a largué les dernières amarres qui le rattachaient encore à la majorité. Le vote d’une motion de censure met, en outre, les élus UDF au pied du mur. Sur le vote du budget comme sur celui d’une déclaration de politique générale, les députés ont le choix entre voter pour, voter contre, s’abstenir ou ne pas participer au vote. Or, dans le cas d’une motion de censure, seuls sont comptés les votes pour.

Reste à savoir combien de députés UDF voudront censurer un gouvernement de droite. D’autant plus que, sur vingt-sept membres, seuls quinze ont voté comme François Bayrou à l’occasion des précédents votes décisifs (1). Les douze autres soit ont voté à l’opposé du président de leur parti, soit se sont réfugiés dans l’abstention ou la non-participation au vote. Or un député proche de François Bayrou, François Sauvadet, porte-parole de l’UDF, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne votera pas la motion de censure déposée par la gauche. Bref, l’ancien candidat à l’élection présidentielle prend le risque de constater que sa ligne est minoritaire au sein de son propre groupe parlementaire.

Sans compter que, jusqu’à présent, l’UDF s’était toujours refusée à voter une motion de censure avec la gauche. Elle avait notamment hésité en février 2003, après l’utilisation par Jean-Pierre Raffarin et Nicolas Sarkozy de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour réformer les modes de scrutin, mais François Bayrou avait finalement renoncé, expliquant : « Une motion de censure, cela veut dire que l’on renverse le gouvernement et, pour moi, il est inimaginable de voter le renversement du gouvernement parce que je suis loyal à mes engagements. » Mais ce qui valait pour le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne vaut plus pour celui de Dominique de Villepin, et l’affaire Clearstream l’a définitivement convaincu de faire le grand saut.

La décision de François Bayrou est inséparable de sa stratégie pour l’élection présidentielle de 2007, pour laquelle sa candidature ne fait aucun doute après une première tentative en 2002 (7%). Dans cette perspective, il s’agit pour lui de rendre crédible son positionnement au centre, à équidistance de la gauche et de la droite. Même si faire émerger une « troisième voie », ni de droite ni de gauche, est une gageure dans un paysage politique français fortement bipolarisé. D’autres, avant lui, ont fait le même pari et l’ont perdu, de Michel Jobert à Jean-Pierre Chevènement. L’élection du président de la République au suffrage universel direct ouvre toutefois cette possibilité : par deux fois, en 1969 et en 2002, le second tour n’a pas opposé la droite et la gauche. Mais la difficulté consiste au sein de son parti à gérer entre deux élections présidentielles des parlementaires élus dans leur circonscription en tant que représentants de l’un ou l’autre des deux camps et des élus locaux gérant des collectivités locales avec les uns ou les autres.

Enfin, la décision de François Bayrou met encore un peu plus Gilles de Robien, unique membre de l’UDF participant au gouvernement, en porte-à-faux. Déjà suspendu des instances dirigeantes, le ministre de l’éducation nationale devrait en effet se trouver mardi soir adhérent d’un parti dont le chef non seulement n’a pas accordé la confiance au gouvernement auquel il appartient, mais vient de tenter de le renverser. Une situation qui s’apparente à de l’équilibrisme politique.

 

Laurent de Boissieu

© La Croix 16/05/2006

 

(1) Voir www.france-politique.fr

Le groupe UDF compte vingt-sept députés et trois apparentés : Pierre Albertini, l’ex-rocardien Christian Blanc et l’ex-pasquaïen Philippe Folliot

 

18:30 | Lien permanent | Commentaires (10) |  Facebook | |  Imprimer | |