Quelques réflexions autour du "mariage pour tous" (15 août 2012)
Je n'étais pas du tout parti pour rédiger une note sur la question du "mariage homosexuel" (j'emploie à dessein des guillemets). D'autant plus que ma position personnelle est globalement déjà exposée ici par Sir Galaad et là par 3asseh.
J'y viens tout de même après des échanges sur Twitter, afin de développer ma pensée en un peu plus que 140 signes...
Je suis à titre personnel favorable :
- à instituer une union civile / un contrat civil correspondant à l'actuel mariage civil mais ouvert à tous les couples, hétérosexuels ou homosexuels.
- à réserver le mot "mariage" aux religions (selon leurs propres modalités tant qu'elles ne troublent pas l'ordre public) pour les seuls croyants qui le souhaitent.
Rappelons maintenant les passages controversés de la prière pour la France proposée pour la fête de l'Assomption par l'Église catholique. Il s'agit de prier:
- pour que le "sens du bien commun de la société" des députés "l'emporte sur les requêtes particulières et qu'ils aient la force de suivre les indications de leur conscience".
- pour que les enfants et les jeunes "cessent d'être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l'amour d'un père et d'une mère".
Deux questions :
La prise de position de l'Église catholique porte-elle atteinte à la laïcité ?
Sans conteste non: les églises ont parfaitement le droit – comme tout groupe ou association – de défendre leur vision de l'Homme et de la société, à condition bien entendu que cette défense s'opère dans le respect des lois de la République. Ce qui est le cas d'une prière, qui constitue même un moyen de pression "doux" par rapport à des moyens tout aussi légaux mais plus "durs" comme la pétition ou la manifestation.
La prise de position de l'Église catholique est-elle homophobe ?
Tout dépend de la définition que l'on donne de l'homophobie.
Oui, répondent certains en estimant que la conception naturaliste de la famille défendue par l'Église catholique est en elle-même homophobe, puisque dans l'espèce humaine la reproduction est sexuée et nécessite un homme et une femme (l'Église catholique ne serait alors homophobe qu'uniquement parce que la nature le serait!).
Non, répondent d'autres en soulignant que l'Église catholique rejette l'homosexualité mais pas les homosexuels, la Commission Justice et Paix de la Conférence des Évêques de France ayant même élaboré deux prières universelles dans le cadre de la journée internationale 2010 contre l'homophobie (disponibles sur le site de l'association des Homosexuel-les musulman-es de France).
Quelques paradoxes amusants :
- J'ai vu des athées s'inquiéter des effets d'une prière, alors que, pour reprendre Alain, ils devraient nier "les effets de la prière, parce qu'ils sont assurés qu'aucun Dieu n'écoute la prière".
- J'ai vu le jeudi des Hommes s'élever, au nom d'une loi supérieure à la loi civile et à la justice républicaine, contre le démantèlement de camps illégaux de "Roms". J'ai vu le mercredi ces mêmes Hommes dénier à d'autres Hommes le droit de seulement protester contre une loi civile en préparation.
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Commentaires
Vous avez raison, la prise de position de l'Eglise n'est pas homophobe et ne porte pas atteinte à la laïcité. En revanche, elle ignore superbement la réalité de la vie de milliers de couples homosexuels dont certains fréquentent pourtant ses paroisses.
Toutes les paroisses n'ont pas lu la prière de Mgr Vingt-Trois et, selon un récent sondage, 45% des catholiques sont favorables au mariage homosexuel. J'en fait partie.
Le mariage est un contrat civil ET un sacrement religieux. Abandonner, comme vous le suggérer, le mot au seul domaine religieux, me semblerait pour le coup, acter un recul de la laïcité.
Écrit par : Philippe Baralon | 15 août 2012
Je connais également, familialement et dans mes amis les plus proches, des couples homosexuels et catholiques (dont un avec enfants).
Bref, je pense que toute la confusion dans ce débat provient justement de l'utilisation d'un même mot pour deux réalités, l'une civile, l'autre religieuse. D'autant plus que le mariage n'est "un contrat civil ET un sacrement religieux" qu'uniquement pour les croyants concernés.
Bref, séparer sémantiquement les deux permettrait selon moi d'apaiser le débat...
Écrit par : Laurent de Boissieu | 15 août 2012
Roméo Behnam : Mais au fait, l'union civile n'existe-t-il pas déjà ??? Le mariage à la mairie qui n'est pas lié à la religion n'est-il pas une union civile???
Écrit par : BEHNAM | 16 août 2012
Tu partages donc le positionnement de François Bayrou qui a défendu exactement ce que tu proposes lors de la dernière présidentielle.
Écrit par : Sébastien | 16 août 2012
Je suis bien d'accord avec vous : utilisons le mot "union" pour le civil et réservons le mot "mariage" pour le sacré, le religieux, qui est aussi un référentiel moral. L'union civile serait ouverte à tous, hétéro et homos. Le mariage religieux pourrait alors être contraint par des règles morales selon la religion, par exemple n'autorisant pas le mariage entre homosexuels. La séparation entre l'Eglise et l'Etat (laïcité) ne doit pas permettre à l'Eglise de faire ingérence dans les affaires de la République mais n'interdit nullement à l'Eglise de se prononcer, d'avoir un dogme et d'appeler à la prière.
Écrit par : Marie-Anne Kraft | 16 août 2012
N'est-ce pas se dédouaner d'une part de la réflexion que de préconiser seulement un autre nom ? En effet, de manière sous-jacente à ces débats, se trouve l'idée que le mariage (qu'on peut appeler Union) n'est qu'une affaire individuelle. Or, si l'on se réfère à la distinction, pertinente je trouve, entre indépendance et autonomie, telle que la pose ici Dominique Schnapper (http://www.trop-libre.fr/paradoxa/que-reste-t-il-de-lengagement), on peut examiner autrement la question du mariage (qu'on peut aussi appeler Union). A qui sert l'engagement ? Que sert l'engagement ? Est-ce un ferment de vie sociale ou seulement le lien de deux individus et d'une cellule familiale que le droit doit garantir ? En d'autres termes, que faisons-nous de l'aidos grec qui prenait en compte les besoins de la communauté comme mêlés à ceux de l'individu, qui englobe la notion d'égalité stricte dans celle du don et du contre-don ?
Je précise que cette question dépasse de loin celle du seul mariage homosexuel mais certains militants de la cause contribuent à nous permettre de la poser...
Je suis un peu gênée pour ma part qu'on fasse de la prière un outil politique, consciemment, et Mgr Barbarin fait preuve d'un peu de mauvaise foi ;-) sur ce sujet dans les colonnes du Figaro en feignant de ne pas comprendre le problème. Évidemment, l'Eglise peut s'exprimer, et bravo à elle d'entrer en débat la première sur cette question dont on finissait par croire qu'elle faisait consensus. Mais j'aurais préféré pour ma part qu'une conférence de presse anticipe la prière universelle, qu'une prise de position clairement politique éclaire la démarche spirituelle (on ne peut pas avancer masqués dans le contexte de pauvreté spirituelle qui est le nôtre...) Même si j'ai prié hier comme on me l'a demandé parce que je suis une chrétienne catholique obéissante ! ;-)
Écrit par : Mapie | 16 août 2012
Merci pour cette note.
Dommage que l'Eglise, quand elle lance de tels pavés dans la marre, ne dispose pas d'une réelle cellule de communication professionnelle capable de faire passer correctement ses messages et de coacher habilement ses relais médiatiques.
Écrit par : jb | 16 août 2012
L'idée de réserver le terme "mariage" à la seule sphère religieuse me parait une fausse bonne idée.
Pour la plupart des gens, le terme "mariage" est un terme générique, religieux et civil, qui constitue un symbole fort d'union devant la "communauté" (religieuse, civile, familiale, etc.). On ne fera pas disparaître ce symbole culturel puissant en décrétant un simple changement de terme juridique ou linguistique ; de ce fait, abandonner le terme mariage pour son aspect civil, c'est abandonner le mariage aux groupes religieux. Un retour en arrière d'avant la Révolution de 1789 !
Quant à l'expression de l'Eglise sur la question du droit des homosexuels à se marier ou à adopter, c'est effectivement de son droit tant que cela respecte les lois de la République. Une prière n'a rien d'illégal donc pas de problème !...
C'est plus le contenu qui est à critiquer que la forme, selon moi.
Et, là dessus, qu'attendre d'un groupe dirigé par des vieillards hors de la réalité sociale et politique du "monde séculier" qui prétendent, comme d'autres, détenir la vérité absolue sur tous les sujets en interprétant (sens littéral du terme) une parole divine (si elle existe) qui ne s'est jamais exprimée sur ces sujets ?...
Écrit par : Solidaire27 | 17 août 2012
@BEHNAM: parfaitement, sauf que 1) cette union civile est fermée aux couples homosexuels 2) il y a confusion avec le mariage religieux vu que c'est le même mot
Écrit par : Laurent de Boissieu | 27 août 2012
@Sébastien: lui d'abord ou moi d'abord? ...je ne sais pas (c'est une réflexion qui vient de mon ancien positionnement sur le PACS: contre le PACS pour les hétéros, vu qu'ils avaient déjà le choix entre mariage ou union libre; pour le PACS pour les homos, vu qu'ils ne peuvent pas se marier).
Écrit par : Laurent de Boissieu | 27 août 2012
@Marie-Anne Kraft: nous sommes parfaitement d'accord!
Écrit par : Laurent de Boissieu | 27 août 2012
@Mapie: les déclarations visant à expliquer le sens de cette prière ont en effet parfois été contre-productives...
Écrit par : Laurent de Boissieu | 27 août 2012
@jb: cf. ce que je viens d'écrire juste au-dessus ;)
Écrit par : Laurent de Boissieu | 27 août 2012
@ Solidaire27: sur votre vision de l'Église catholique, puis-je modestement vous inciter à la regarder dans sa diversité, sans dissimuler ce qui vous semble laid et mauvais mais en voyant aussi ce qui pourrait vous sembler bel et bon :)
Sur les termes, il me semble plus facile et correct de laisser le mot "mariage" aux religions, d'où il est issu, et "union civile" à la République puisqu'il s'agit d'un contrat.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 27 août 2012