De la (bi)nationalité (16 juillet 2011)
Voilà plusieurs semaines que cette note sur la question de la nationalité me démange. J'ai en effet hésité à me lancer, comme à chaque fois qu'il s'agit d'une opinion personnelle - que j'exprime en tant que citoyen - et non d'une analyse - avec une expertise journalistique et scientifique (n'étant pas diplômé d'une école de journalisme et me destinant originellement à la recherche universitaire). La polémique autour d'Eva Joly et de la suppression du défilé militaire du 14 juillet me fait finalement sauter le pas à la lecture d'échanges sur Twitter (entre @auroreberge, @Clio_Rouge et @nobr_).
1) Je répugne tout ce qui remet en cause l'égalité entre les citoyens Français (expression "Français de souche", extension des cas de déchéances de la nationalité pour crimes ou délits, etc.). Une personne ayant acquis la nationalité française par la procédure de naturalisation est en effet un Français comme tout compatriote l'ayant acquise par le "droit du sang" ou par le "droit du sol". Il serait donc antirépublicain de faire de cette origine un argument électoral au cas où ladite personne serait, par exemple, candidate à l'élection présidentielle.
2) J'estime toutefois que pour diriger un État il faut exclusivement posséder la nationalité de cet État. C'est vrai en France comme à l'étranger: cela me choque qu'une personne possédant une double nationalité (en l'occurrence Eva Joly) accède à la présidence de la République française ou soit nommée ministre si elle conserve son autre nationalité, de même qu'en 2004 Salomé Zourabichvili aurait dû automatiquement être déchue de sa nationalité française lorsqu'elle avait été nommée ministre des Affaires étrangères d'un État étranger (la Géorgie).
3) Je ne suis pas un adversaire de la binationalité en soi lorsqu'une personne possède les deux nationalités de ses parents (sans que cela puisse se perpétuer de générations en générations). Ce serait n'importe quoi (enfin, tant que cette personne n'est pas élue à la présidence de la République ou à la députation, ou nommée à une fonction ministérielle).
Lorsque la nationalité française est le fruit d'un acte volontaire (naturalisation), en revanche, cette personne devrait automatiquement perdre sa nationalité d'origine.
C'est historiquement ce que prévoyait d'ailleurs la Constitution de 1793: "L'exercice des droits de citoyen se perd par la naturalisation en pays étranger". Surtout, c'est toute la différence, fondamentale dans ma philosophie personnelle, entre l'essence et l'existence.
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Commentaires
Je vais vous répondre également en tant que chercheur :
1) Cela ressemble fort à une prétérition, d'autant que la position que vous défendez au travers de Aurore Berge, elle-même défendant Pécresse, Chevènement, Tardy, n'est pas celle-là et parle de "culture" et d'ancienneté dans la francité ! Alors qu’Éva Joly a été citoyenne majeure française plus longtemps que Nicolas Sarkozy, par exemple...
2) Mme Joly dit qu'elle sait qu'elle n'a presque aucune chance de victoire, cela vous ennuie-t-il ?
3) Vous savez, n'est-ce pas, qu'au moins un de nos ministres est binational ? M. Mitterrand est aussi tunisien. Le gouvernement auquel il appartient a proposé à plusieurs reprises d'aider la dictature tunisienne à mater la révolution populaire de janvier, et M. Mitterrand, M. Alliot, Mme Alliot-Marie... ont tous des intérêts financiers en Tunisie et sont tous intervenus pour défendre ZABA.
Le rôle de "première dame" étant souvent politique, perçu comme important, Carla Bruni peut-elle rester italienne ?
Quant aux mélanges d'intérêt, aux conflits d'appartenance, Nicolas Sarkozy peut-il rester chanoine ? Il me semble, à moi qui connais très bien ce thème, qu'il ne comprend pas du tout la laïcité française. Est-ce dû au peu d'ancienneté de ses origines françaises ? Son frère peut-il rester n°2 du MEDEF, et diriger une société qui ne peut s'enrichir que par la destruction du tissu social français notamment en matière de retraites ?
Considérer que la nationalité est plus importante que les idées, ou qu'elle guide plus une personne que son idéologie, je suis désolé, je sais que vous vous en défendez, comme Aurore Berge ou d'autres, mais c'est très nauséabond et dangereux.
Une dernière chose pour dire ma surprise de la façon dont cette pseudo polémique a surgi et enflé : cela n'est pas "l'idée d’Éva Joly" mais le programme des Verts, dont elle est candidate. Comment a-t-on pu aussi vite passer d'un programme politique, voté à l'unanimité, à une personne et ses attachements culturels ? Cela témoigne aussi de réflexes très nauséabonds à droite, et d'un suivisme journalistique qui fait très peur.
Cordialement,
Thibaud.
Écrit par : Irfan | 16 juillet 2011
Merci pour ce commentaire!
Je vais centrer ma réponse sur votre point 1) car cela me permet, comme je l'ai déjà fait sur Twitter, d'apporter une précision.
Si vous m'aviez bien compris, vous auriez précisément saisi que la phrase de Fillon m'a choqué puisque, en effet, il pointe les origines ("cette dame n'a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l'histoire française") et non la situation juridique (binationalité) d'Eva Joly, Bref, cette phrase concerne mon point 1) et non mon point 2)!
Cordialement.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 16 juillet 2011
Cela dit, la réponse d'Eva Joly est stupide: "Ça fait cinquante ans que je vis en France et donc je suis Française".
Ce n'est pas parce qu'on vit depuis cinquante ans dans un État qu'on en possède la nationalité!
Écrit par : Laurent de Boissieu | 16 juillet 2011
Gardez le qualificatif de "stupide" pour les arguments de l'UMP et du FN qui s'y opposent. Joly était interviewée mais ce qu'elle dit est assez simple : elle est citoyenne majeure de l'Etat français depuis plus longtemps que Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, Marine Le Pen, et tant d'autres ... et on arrive à douter de son attachement à la République française (mantra d'Aurore Berge que vous répétez) et même de sa connaissance de la France et de sa culture. Heureux que ce dernier point au moins vous ait choqué.
Vous n'avez pas répondu sur tous les points les plus importants, au passage, seulement les points superficiels et moins intéressants. J'attends votre réponse développée sur le reste, puisqu'ici nous pouvons développer des idées et arguments contrairement à Twitter où les sympathisants de droite ne font que répéter des éléments de langage sans prendre en compte les réponses.
Cordialement.
Écrit par : Irfan | 16 juillet 2011
Eva Joly a bien répondu une stupidité et n'a pas dit ce que vous dites qu'elle a dit.
Pour le reste, je trouve assez paradoxal de me reprocher de défendre des propos - ceux de François Fillon - qui vont précisément à l'encontre de ce que j'écris! C'est pourquoi j'ai répondu sur ce seul point afin que vous compreniez ce que vous n'aviez apparemment pas saisi... (et faut-il en outre vous préciser que j'en ai personnellement strictement rien à battre des éléments de langage de tel ou tel parti politique?)
Pour résumer: je suis choqué par les propos de François Fillon (sur les origines d'Eva Joly) mais d'accord avec ce qu'on lui reproche d'avoir dit mais qu'il n'a pas dit (position de principe qu'un binational ne puisse pas être président de la République).
Quant aux autres points, ils me semblent en grande partie hors sujet, mais bon, allons-y rapidement.
Sur la binationalité des ministres, j'ai répondu dans ma note.
Sur la binationalité de l'épouse du président de la République, je m'en contrefiche: nous ne sommes pas en monarchie et je regrette déjà suffisamment la place quasi-officielle qu'on lui donne souvent (par exemple lors du G8-G20 à Deauville). J'abhorre l'expression "première dame" et je ne reconnais strictement aucun rôle à l'épouse ou à l'époux du chef de l’État.
Sur les autres points, vous mélangez tout! La nationalité est un critère objectif, juridique. Vous ne pouvez pas le placer sur le même plan que les critères politiques, subjectifs. Ce qui ne m'empêche pas de vous rejoindre à titre personnel sur les exemples que vous avancez (Nicolas Sarkozy anti-laïque*, privatisation progressive de la sécurité sociale et intérêt direct de son frère Guillaume Sarkozy).
* cf. http://www.ipolitique.fr/archive/2008/01/16/laicite-positive.html
Écrit par : Laurent de Boissieu | 16 juillet 2011
Précisons encore que la nationalité est dans bien des pays considérée comme exclusive (il ne peut pas y en avoir deux), et que cela a longtemps été le cas en France. Ceci pour une question simple : la double nationalité pourrait supposer une double allégeance. En cas de conflit entre les deux pays concernés, comment peuvent réagir des individus qui sont citoyens de ces deux pays ?
Après, avec le phénomène de l'immigration de peuplement (cad permanente) né après la second guerre mondiale (en fait dès 1917, mais c'est resté très marginal jusque là), on peut considérer qu'il faut permettre à des individus nés de parent(s) né(s) étranger(s) de pouvoir "renouer avec leurs racines" en adoptant la nationalité de leurs parents. Mais, comme par exemple la transmission des prénoms d'une génération à l'autre, cela doit rester de l'ordre du symbole. Aussi je serais partisan de l'établissement juridique d'une gradation formelle entre les différentes nationalités que peut avoir un individu : est-il d'abord français ou bien d'abord étranger ?
Et même, dans ce cas de figure, on pourrait étendre cette possibilité de double nationalité à des individus nés de parents français mais dont certains ancêtres (par exemple sur moins de quatre générations) sont nés étrangers. Ce pourrait même être un moyen de lutter contre le communautarisme. A l'appui de cette thèse, je mentionne souvent la communauté arménienne : après près d'un siècle passé en tant que réelle communauté à part, avec très peu d'assimilation réelle hormis l'apprentissage du français (les "exemples d'intégration" nombreux qu'on peut trouver étant au mieux l'arbre qui cache la forêt, au pire moins exemplaires qu'il n'y paraît au premier coup d'œil), la communauté arménienne, depuis 1994 (cessez-le-feu entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan) et surtout les années 2000 (décollage économique de l'Arménie), encourage les jeunes générations à prendre symboliquement la citoyenneté arménienne tout en restant française et en vivant en France, afin de pouvoir renoncer à la "mission" entretenue depuis près d'un siècle de préservation de "l'arménité". Concrètement, ce phénomène s'est traduit par la soudaine croissance des unions entre Français membres de la "communauté arménienne" et Français extérieurs à la communauté (près de 70% des unions nouvelles impliquant des membres de la communauté en Île-de-France, par exemple), phénomène auparavant presque marginal (moins de 15% des unions impliquant des membres de la communauté dans les années 1980). Au point que selon certains, dans deux générations, la "communauté arménienne" aura disparu.
Et évidemment, toute prise de fonction officielle dans une administration, dans un gouvernement ou dans une armée étrangers devrait entraîner une renonciation automatique à la nationalité française, et vice-versa : dans une nation souveraine, il ne devrait pas être permit de laisser occuper un tel poste à un individu qui n'appartient pas exclusivement au corps national.
Après, évidemment, cela n'a rien à voir avec la culture et la sensibilité des individus concernés. Je connais des "Français de souche" (cad nés français en France et dont les parents et les grands-parents sont tous nés français en France) qui ne se sentent pas Français, et mon propre père, qui n'a jamais été nationalisé français, se sent, lui, français.
Écrit par : Brath-z | 16 juillet 2011