Conseil constitutionnel : droite-gauche, le faux clivage (24 février 2010)
Les futures nominations au Conseil constitutionnel sont officielles :
- Michel Charasse (divers gauche, ex-PS) pour le président de la République, Nicolas Sarkozy
- Jacques Barrot (UMP) pour le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer
- Hubert Haenel (UMP) pour le président du Sénat, Gérard Larcher
Saluons pour la forme la décision de Nicolas Sarkozy de nommer une personnalité de l'opposition de gauche. Il n'était effectivement pas obligé de le faire (même si cela n'exclut pas des arrières-pensées et si cela n'a rien à voir avec ce qu'on appelle en politique l'ouverture). Mais remarquons qu'il s'agit de trois personnalités politiques, contre aucun universitaire.
Ces nominations sont très importantes. Aussi importantes, à mes yeux, que le résultat d'une élection présidentielle. Le vrai clivage politique n'est en effet pas en France entre la droite (l'UMP et ses alliés) et la gauche (le PS et ses alliés) ou le centre (le MoDem) mais entre les jacobins et les girondins - ce qui dépasse largement la question d'un État unitaire, décentralisé voire fédéral.
La République française est historiquement jacobine. C'est un fait, qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en désole. Une identité qui se résume dans deux phrases clefs: "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion"; "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum".
Or, aussi bien la décentralisation (libre-administration des collectivités locales) que le supranationalisme européen sont au bout du bout incompatibles avec cette identité constitutionnelle de la France. D'où un choc culturel profond en France depuis plusieurs décennies. Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel comme le Conseil d'État ont été les gardiens de cette identité. Voilà le véritable enjeu des nominations au Conseil constitutionnel, aujourd'hui et demain.
Ce qui importe, ce n'est donc pas de savoir si les nouveaux membres du Conseil constitutionnel sont de droite, de gauche ou du centre - de la majorité ou de l'opposition (clivages de surface) mais s'ils sont jacobins ou girondins (clivage de fond).
Michel Charasse est un jacobin*; Jacques Barrot et Hubert Haenel sont des girondins. Deux contre un.
* cela me fait bien rire de voir certains confrères écrire que Michel Charasse a été nommé pour "compliquer la tâche du président du Conseil constitutionnel", alors que c'est moins le jacobin Charasse que les girondins Barrot et Haenel qui vont s'opposer au jacobin Jean-Louis Debré...
10:39 | Lien permanent | Commentaires (7) | Facebook | | Imprimer | |
Commentaires
Grand merci à Laurent pour la manière de présenter le problème !!! C'est bien là en effet que réside le problème.
Comment projeter notre société modelée par les nécessités des guerres successives en objet centralisé, aux rouages lents et mal gérés, dans un monde de commerçants et de financiers ?
Le rythme est différent, les motivations qui gouvernent les pôles essentiels sont opposés, citons l'éducation et le traitement par l'état des petites et moyennes entreprises.
C'est pourtant bien la réponse à cette question qui déterminera notre capacité de vivre ensemble pendant les prochaines cinquante années.
Souhaitons que l'imbrication de nos modèles au sein des modèles européens soit plus dynamique, que notre tissu industriel s'enrichissent des pratiques allemandes qui permettent l'émergence d'un foisonnement de PMI, que nos banques passent à une écoute réelle des problématiques de nos entrepreneurs.
Souhaitons enfin qu'un politique ait le courage de mettre un terme au système débilitant de l'éducation nationale pour parvenir à une éducation de proximité axée sur les réquisitions du marché.
Voici ce à quoi devraient employer leur énergie nos politiques au lieu de soigner leurs profils de carrières.
Écrit par : Jean Laporte | 24 février 2010
Je salue l'analyse de Laurent, toujours rigoureuse (intellectuellement) et originale, car s'appuyant sur une culture politique qui va loin en profondeur (dans le sens de l'histoire et dans le sens idées) contrairement à tous ceux qui ne traitent que l'écume des faits.
Le clivage jacobin/girondin est effectivement important pour les futurs enjeux. Au passage, Laurent peut-il d'ailleurs préciser les position des nommés par rapport à l'Europe ?
Je ne partage cependant pas du tout la position de Laurent sur les Girondins. Ils ont moins marqué que les Jacobins la phraséologie républicaines, mais ils n'ont sont pas moins républicains (ils ont fait 1789 et 1792 tout autant que les Jacobins). Ils ne se sont opposés aux Jacobins que lorsque l'Etat jacobin a introduit une centralisation autoritaire, dictatoriale (pour ne pas dire plus avec un régime de parti unique prenant le contrôle totale de la société et des personnes juqu'au niveau du district) et qu'il est apparu qu'une minorité de quelques centaines de parisiens (quelques sections révolutionnaires armées appuyées par quelques dizaines ou centaines de femmes du même parti composant l'assistance de l'Assemblée nationale) se sont arrogés une influence dispoportionnée par rapport à leur représentativité sur les débats de l'Assemblée.
Et le courant de pensée girondin, plus décentralisateur, souple, régionaliste et libéral traverse lui aussi l'Histoire de France. Ils sont partie intégrantes de la République, de la politique française et de l'identité française.
Écrit par : Libéral européen | 24 février 2010
@Libéral européen : les positions par rapport à la construction européenne telle qu'elle se fait recoupent le clivage jacobin-girondin (ce qui est logique, car touchant à la notion de souveraineté).
Sur les girondins : ils sont en effet institutionnellement républicains. Mais ce ne sont pas eux qui ont marqué l'identité constitutionnelle française. Et je n'ai justement pas écrit dans cet article qu'ils n'étaient pas républicains... (ils sont en quelque sorte républicains mais pas républicanistes)
Écrit par : Laurent de Boissieu | 24 février 2010
Le problème dans la logique du courant de pensée "républicaniste" ou "jacobino-républicaniste" (courant de pensée par ailleurs parfaitement respectable et dont je partage une partie - mais une partie seulement - des idées), c'est qu'il introduit une confusion entre le CONTENANT (le cadre instutitionnel de la République) et le CONTENU (la politique menée) (distinction à laquelle le propriétaire de ce blog est attaché).
Si celà pose un problème c'est n'est pas en ce qui concerne le "républicanisme" lui-même (celà lui donne au contraire une cohérence idéologique pafaite, un discours solide), mais lorsqu'il s'agit de désigner ses "adversaires" (ici les Girondins). Ceux-ci, parce qu'ils ne sont pas "Jacobins" (centralisateurs, étatiques, sociaux, avec une idée assez verticale du pouvoir, et - éventuellement - un arbitrage en faveur de l'égalité sur la liberté), sont un peu vite suspectés (implicitement ou explicitement) de n'être pas de bons "Républicains". Celà dépasse à mon avis la querelle sémantique.
La question de fond est évidemment de savoir où passe, en France, la limite entre le contenant et le contenu. Certes, aucun cadre institutionnel n'est parfaitement neutre et celui de la France, bâti sur beaucoup de révoltes, de cris et de cadavres du passé, non plus. Mais les républicanistes ne devraient pas tracer la limite contenant/contenu trop loin au sein du contenu. C'est tentant et même cohérent de leur point de vue, mais c'est un peu une escroquerie morale, car celà permet de discréditer facilement les adversaires en les taxant - en gros - de ne pas respecter les valeurs de la République.
Mais on touche là un vrai débat de fond - d'essence philosophique sur l'Homme et la société - sur la République qui pourrait mériter un "débat national" !
Écrit par : Libéral européen | 24 février 2010
La globalisation est un phénomène réel, qui affecte de plein fouet les attributs traditionnels de la souveraineté nationale, et par réaction les exacerbe pour les rendre plus agressifs.
La question de fonds est de connaître le temps qu'il nous reste pour nous acclimater à ces changements de structure.
Écrit par : Jean Laporte | 25 février 2010
Libéral européen > "Le problème dans la logique du courant de pensée "républicaniste" ou "jacobino-républicaniste" (courant de pensée par ailleurs parfaitement respectable et dont je partage une partie - mais une partie seulement - des idées), c'est qu'il introduit une confusion entre le CONTENANT (le cadre instutitionnel de la République) et le CONTENU (la politique menée)"
Bravo ! C'est précisément la remarque que j'allais faire !
Il ne faut pas oublier qu'historiquement, les girondins de 1795 (ni les girondins ni les jacobins n'ont fait 1789 : un tel clivage n'existait pas alors, et il faut attendre 1791 pour qu'un clivage émerge au sein des "républicains", c'est-à-dire partisans de la souveraineté populaire avec ou sans roi, entre jacobins et feuillants à la Constituante) sont tout aussi centralisateur que les jacobins de 1793. De même la place prégnante accordée à l'exécutif et à l'armée est à quelques nuances près la même.
Le véritable objet de conflit entre les jacobins et les girondins (au sens donné à ces termes à l'époque et non aujourd'hui) était la signification de la république.
Pour les jacobins, la république c'était avant tout tout la res publica, le bien public. S'inspirant directement de Locke et de Mably, les grands orateurs et dirigeants républicains assénaient que le but de la république (qu'ils nommaient aussi "état civil" ou "société civile") était la garantie à tous les citoyens des droits naturels (les droits "imprescriptibles et inaliénables" de la personne humaine, si vous voulez) et des droits civils (les droits de l'homme en société), la forme du gouvernement n'étant qu'un biais pour ce faire.
A l'inverse, les girondins estimaient que la république devait être un corps institutionnel "neutre", et c'est le sens qu'ils lui donnèrent en 1795 en partant de l'analyse de Thomas Paine sur le "bon gouvernement" pour n'en garder que le strict sens institutionnel (des représentants élus) afin de définir la république par opposition à la monarchie et sans plus y associer de valeurs (deux grands instigateurs de ce que je nomme le "glissement sémantique du mot république" ont été l'anglais Jeremy Bentham et le français Jean-Baptiste Say). C'est cette dernière conception qui a triomphé sous la présidence de Jules Grévy, le grand conciliateur de la "république conservatrice" et de la "république révolutionnaire".
A souligner que le point d'achoppement principal des jacobins et des brissotins (l'une des tendances girondines et probablement celle qui eut le plus d'influence) fut celle de l'abolition de l'esclavage, les brissotins (et Brissot en particulier) ayant souvent des liens avec les colons de Saint Domingue et les "grandes familles" de Nantes et Bordeaux.
Écrit par : Brath-z | 26 février 2010
"Le vrai clivage politique n'est en effet pas en France entre la droite (l'UMP et ses alliés) et la gauche (le PS et ses alliés) ou le centre (le MoDem) mais entre les jacobins et les girondins"
Je n'ai pas l'impression qu'il y ai un unique vrai clivage politique. En laissant de côté le domaine des idées, effectivement en grande partie évacué en France, on peut en trouver d'autres qui soient aussi pertinents. Si le clivage jacobins/girondins existe, il me semble qu'un autre clivage, et qui recoupe celui-ci, revêt une pareille importance : celui entre ceux qui conçoivent la France comme une entité souveraine à part entière et ceux qui la conçoivent comme une province d'un ensemble plus vaste.
Les répercutions de cet autre clivage amènent à la conception même de la légitimité politique. Les premiers, dont je suis, estiment que, le pouvoir politique étant le mandataire du peuple souverain, il doit œuvrer pour la défense de l'intérêt de son mandant, le peuple, et ce dans quelque cadre que ce soit. Les seconds, dont je ne suis pas, estiment quant à eux que le pouvoir politique doit s'exercer dans un cadre fixé de l'extérieur, ce que l'on nomme la bonne gouvernance et qui transcende les clivages "particuliers" propres aux nations.
La source du pouvoir est intérieure dans le premier cas, extérieure dans le second. Ce clivage me semble tout aussi pertinent que le clivage jacobins/girondins.
Écrit par : Brath-z | 26 février 2010