31 mai 2008
Autour d'une décision de justice
[Note rédigée samedi mais publiée mardi, n'ayant pas pu dans l'immédiat vérifier un élément de droit : il se trouve finalement que les "qualités essentielles de la personnes" sont évaluées subjectivement et non objectivement. Les débats ultérieurs n'ont donc fait que renforcer ce que j'écrivais dans cette note]
L'affaire du mariage annulé par le tribunal de grande instance de Lille suscite une émotion légitime.
Mais la justice c'est le droit, pas l'émotion.
Or que dit le droit (article 180 du Code civil) ?
Le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l'un d'eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n'a pas été libre, ou par le ministère public. L'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage.
S'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage.
Que recouvre la notion de "qualités essentielles de la personne", fondement de l'annulation du mariage par le juge de Lille ?
De deux choses l'une.
Soit ces qualités essentielles sont objectives, c'est-à-dire définies par la justice républicaine. Dans ce cas, il est absolument scandaleux que la non-virginité ait été considérée par un juge comme une qualité essentielle.
Soit ces qualités essentielles sont, à l'inverse, subjectives, c'est-à-dire définies par les futurs ex-époux eux-mêmes. Dans ce cas, le juge de Lille n'a fait qu'appliquer la loi, les intéressés ayant affirmé devant la justice que la virginité constituait pour eux une qualité essentielle et l'un des deux ayant reconnu avoir menti sur cette qualité à leurs yeux essentielle (peu importe la nature de cette qualité et qu'il s'agisse de la femme ou de l'homme).
Il n'en reste pas moins que dans ce cas, en marge de la décision de justice, se poserait une série de questions non pas juridiques mais sociologiques (sur l'adaptation des religions en général et de l'islam en particulier à la laïcité et à la modernité, sur le respect des droits des femmes, sur les jeunes et le sexe aujourd'hui, sur l'exploitation émotionnelle et erronée - ce n'est pas la virginité qui serait en cause dans cette hypothèse mais le mensonge reconnu sur une qualité considérée par les deux futurs ex-époux comme essentielle - d'une décision de justice dans le débat public, etc).
10:05 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer | |
30 mai 2008
Révision constitutionnelle de circonstance
La Constitution est la loi fondamentale de la nation. Elle ne doit donc pas être modifiée pour des raisons de circonstance. C'est pourtant encore une fois ce qui risque de se produire autour de la question de l'adhésion de la Turquie (appelons un chat un chat) à l'Union Européenne.
En 2005 avait été introduit dans la Constitution un article disposant que "tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le président de la République". Tout en précisant que cet article n’est pas applicable "aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet 2004". Ce qui excluait d'emblée la Bulgarie et la Roumanie (adhésion effective au 1er janvier 2007) ainsi que la Croatie (Conseil européen des 17 et 18 juin 2004). Mais ce qui visait implicitement la Turquie (Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004).
Le projet de révision constitutionnelle prévoyait de calquer la procédure de ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un nouvel État à l'Union européenne sur la procédure de révision constitutionnelle (article 89) :
- approbation "normale" par référendum
- possibilité pour le président de la République de convoquer le Parlement en Congrès (approbation à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés)
Les députés ont toutefois adopté un amendement au projet de loi constitutionnelle déposé par les UMP Richard Mallié, Patrick Devedjian et Frédéric Lefebvre* stipulant que "tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne et aux Communautés européennes lorsque la population de cet État représente plus de cinq pour cent de la population de l'Union, est soumis au référendum par le Président de la République".
La Constitution est là pour fixer des principes généraux. Pas pour viser tel ou tel État (en l'occurrence, la Turquie). Peut-être fallait-il revenir sur l'obligation d'un référendum pour toute nouvelle adhésion à l'Union Européenne (à ce jour, trois États sont officiellement candidats : l'ancienne République yougoslave de Macédoine, la Croatie et la Turquie). Mais il aurait alors suffi de donner la possibilité au président de la République de passer par le Congrès en le laissant assumer ce choix politique (et puis, pourquoi 5% et pas 3% ou 1% !).
*auquel s'ajoute un amendement identique de l'UMP Jean-Luc Warsmann
12:18 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer | |
28 mai 2008
Vers l'abrogation de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ?
Les députés ont adopté mardi, contre l'avis du gouvernement, un amendement déposé par Marie-Jo Zimmermann et Claude Greff disposant que "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales".
Comme toujours, essayons de regarder précisément de quoi il s'agit.
Voici ce qu'écrivent les auteurs de l'amendement :
La décision du Conseil constitutionnel du 16 mars 2006 a censuré les dispositions relatives à l'accès des femmes aux conseils d'administration des entreprises ainsi qu'à divers organes représentatifs en leur sein, au motif que la portée de l’article 3 de la Constitution modifié par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, était limité à ces mandats.
Il convient, en conséquence, de prévoir expressément dans la Constitution la possibilité d'assurer, par la loi, l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales.
Cette modification est un préalable indispensable à l'adoption par le législateur de dispositions visant à favoriser une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans le milieu professionnel où les discriminations selon le sexe sont toujours flagrantes.
Le seul hic c'est que l'égalité des femmes et des hommes est déjà un principe constitutionnel.
Tel qu'il est actuellement rédigé, le premier alinéa du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 se réfère "aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004".
L'article 1er de la Déclaration de 1789 proclame ainsi que "les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits" et l'alinéa 3 du Préambule de la Constitution de 1946 précise que "la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme". L'article 1er de la Constitution réaffirme par ailleurs "l'égalité devant la loi de tous les citoyens" tandis que les discriminations fondées sur le sexe sont logiquement condamnées dans le code pénal.
Dès lors, de quoi s'agit-il vraiment avec cet amendement ? Il ne s'agit en fait pas d'assurer l'égalité des hommes et des femmes ("égal accès" au sens d'égalité des chances) mais de permettre l'adoption de quotas, c'est-à-dire d'imposer le respect de proportions prédéterminées de femmes et d'hommes dans les conseils d'administration, les comités d'entreprise, etc.
Si le gouvernement s'est opposé à la proposition de Marie-Jo Zimmermann et Claude Greff, ce n'est pas pour une question de fond mais juste pour une question d'opportunité. Le ministre de la justice, Rachida Dati, a en effet plaidé en vain pour le retrait "à défaut" de l'amendement "dans l'attente des conclusions" du comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution, qui doit remettre son rapport au président de la République avant le 30 juin. Placé sous la présidence de Simone Veil, ce comité a pour mission de "s'interroger sur l'opportunité d'inscrire un certain nombre de droits et principes fondamentaux nouveaux dans le Préambule de notre Constitution", parmi lesquels l'extension des quotas par sexe au-delà des seuls mandats électoraux et fonctions électives.
Lors de son audition devant l'Observatoire de la parité (12 avril 2007), le candidat Nicolas Sarkozy s'était effectivement engagé à "étendre le principe de parité aux élections aux institutions représentatives du personnel dans les entreprises (sous la forme d'une proportionnalité avec le nombre de femmes présentes dans l’entreprise), aux élections prudhommales et dans les jurys de concours de la fonction publique". Afin de tenir sa promesse de campagne, le président de la République doit donc préalablement modifier la Constitution, comme cela avait été nécessaire en 1999 avant l'adoption des lois sur la parité (quotas égalitaires hommes-femmes) en politique.
Mais ce n'est pas qu'une décision du Conseil constitutionnel (en l'occurrencecelle du 16 mars 2006 sur la loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes) que le gouvernement et les parlementaires contourneraient en décidant de maintenir cet amendement, c'est l'ensemble de la l'identité constitutionnelle de la France Républicaine.
Les concepts de "représentation équilibrée des femmes et des hommes" ou encore de diversité raciale sont en effet incompatibles avec l'universalisme républicain issu de la Révolution française, qui implique que tous les citoyens soient "également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents" (article 6 de la Déclaration de 1789). Une méritocratie républicaine qui s'oppose à toute définition différenciée des droits des citoyens en fonction du sexe ou de la couleur de la peau.
Alors, plutôt que de faire du bricolage institutionnel dans le dos du peuple (puisque la révision constitutionnelle ne sera pas soumise à référendum), que Nicolas Sarkozy et sa majorité assument : qu'ils abrogent la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 !
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26 mai 2008
Encore un effort, camarades !
Il n'y a pas une feuille de papier à cigarette entre le positionnement politique de Ségolène Royal et celui de Bertrand Delanoë ?
Peu importe ! Feignons de créer de la différence afin de donner à croire qu'il s'agit d'un débat d'idées et non d'un combat de personnes...
Tel est le but de l'opération "libéralisme", dont les deux protagonistes sortent en définitive gagnants (gagnant-gagnant, dirait Ségolène Royal !).
"Je suis libéral ET socialiste", déclare Bertrand Delanoë dans un livre d'entretiens avec Serge July (De l’audace, Robert Laffont). Pas bien, répond Ségolène Royal : "Je ne pourrais jamais dire : je suis libérale. Je ne crois pas qu'il faille réhabiliter ce mot et ce concept. C'est le mot de nos adversaires politiques", rétorque immédiatement sur Canal + l'ancienne candidate à l'élection présidentielle.
De quoi parle-t-on ?
Bertrand Delanoë parle du libéralisme en tant que "philosophie politique" (John Locke, Montesquieu).
Or tous les partis de gouvernement, y compris le PS, sont des partisans de ce libéralisme politique, c'est-à-dire de la démocratie libérale (État de droit, séparation et équilibre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, Droits de l'homme, pluralisme, etc.).
Bref, Ségolène Royal est tout autant libérale politiquement parlant que Bertrand Delanoë mais elle ne l'assume pas, elle ne veut pas revendiquer un mot selon elle "synonyme de capitalisme débridé" en France. Bertrand Delanoë, au contraire, parie sur le bénéficie politique de cet affichage (amorce d'appel du pied à François Bayrou ...après avoir claqué la porte à Marielle de Sarnez aux municipales ?).
Qu'en est-il du libéralisme économique ?
"Je ne suis pas social-libéral", explique Bertrand Delanoë en parlant, cette fois, du libéralisme économique.
Or qu'est-ce que le social-libéralisme ? C'est une troisième voie entre le néolibéralisme et la social-démocratie, généralement issue d'une adaptation de cette dernière à la mondialisation libérale.
Contrairement au libéralisme politique, sur le libéralisme économique existe bien, en revanche, un véritable débat à l'intérieur du PS. Sauf que Bertrand Delanoë et Ségolène Royal appartiennent tous les deux (comme Dominique Strauss-Kahn) à l'aile social-libérale du parti, aucuns des deux ne remettant en cause le marché unique européen, d'essence libérale.
Mais il est vrai que le mot libéral n'est pas très porteur au PS. Au congrès du Mans (2005), la seule motion l'assumant dans son acceptation économique ("Pour un socialisme libéral" de Jean-Marie Bockel) n'avait obtenu que 0,64%...
Alors encore un effort, camarades, pour assumer pleinement ce que vous êtes !
Pour un avis contraire : lire Versac qui voit, lui, des différences entre la "tradition jacobine" de Ségolène Royal ("provincialiste de circonstance") et le "socialisme émancipateur" de Bertrand Delanoë
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23 mai 2008
Les langues régionales s'invitent dans la Constitution
Un amendement au projet de révision constitutionnelle disposant que "les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France" a été adopté jeudi. Pour la première fois, les langues régionales font donc leur entrée dans la Constitution.
Dire que "les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France" est une réalité. Comme les monuments historiques ou la gastronomie française. Dès lors, pourquoi l'inscrire dans la Constitution ?
Soit c'est simplement pour faire joli.
Soit c'est pour contourner la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et du Conseil d'État.
Alors, regardons précisément à quoi s'oppose cette jurisprudence :
- à l'intégration des écoles Diwan (enseignement par immersion en breton) dans l’enseignement public (Conseil d'État, 2002). Or au nom de quoi des professeurs de l'école publique gratuite, laïque et obligatoire (financée par nos impôts) devraient-ils enseigner en dialectes bretons ? Autant est-il heureux que l'État propose l'enseignement optionnel des langues régionales (comme du latin et du grec), autant les fonctionnaires de l'éducation nationale n'ont pas à enseigner en langues régionales, dont l'utilisation relève de la sphère privée et non de la sphère publique.
- à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (Conseil Constitutionnel, 1999). Or cette charte est incompatible avec l'universalisme républicain, qui ne reconnaît que des citoyens égaux en droits et en devoirs (sans distinction d'origine, de sexe, d'orientation sexuelle, d'opinions politiques ou religieuses) et non des minorités ou communautés.
Depuis plusieurs années, cet universalisme républicain reçoit des coups de boutoir (lois sur la parité, irruption du thème de la diversité raciale en politique, etc.).
On a parfaitement le droit de vouloir remettre en cause le républicanisme hérité de la Révolution française (1789 mais aussi 1792 : victoire des Jacobins contre les Fédéralistes girondins). Mais, alors, qu'on l'assume pleinement, qu'on abroge le Préambule de la Constitution (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen) et que l'on cesse de proclamer dans la Constitution des principes contradictoires (indivisibilité de la République et égalité des citoyens d'un côté, organisation décentralisée de la République, libre administration et droit à l'expérimentation des collectivités locales de l'autre).
Les amendements poposés par Noël Mamère (la France "se reconnaît comme plurielle et garante de la diversité qui la compose"), Camille de Rocca Serra et Marc Le Fur (la langue de la République est le français "dans le respect des langues régionales qui fondent sa diversité") avaient au moins le mérite d'être moins hypocrites.
Sauf à considérer que l'amendement adopté jeudi n'avait, finalement, pour objectif que de faire joli...
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