10 mars 2013
Chávez, c'est De Gaulle plus Gustavo Gutierrez
L'actualité permet parfois de déceler les vrais clivages politiques de fond, au-delà des étiquettes partisanes. C'est actuellement le cas avec les réactions à la mort d'Hugo Chávez.
Les propos du ministre PS Victorin Lurel viennent de provoquer une polémique: "Toute chose égale par ailleurs, Chávez c'est De Gaulle plus Léon Blum (...) Le monde gagnerait à avoir beaucoup de dictateurs comme Hugo Chavez puisqu'on prétend que c'est un dictateur".
La comparaison idéologique (*) entre De Gaulle et Chávez rejoint mon analyse, puisque cela fait longtemps que je qualifie Chávez de "De Gaulle vénézuélien": appel direct au peuple, souveraineté et indépendance nationales, État fort, progrès social, mais aussi - quitte à ma fâcher avec mes amis gaullistes - personnalisation et mise en scène du pouvoir, ainsi qu'une interprétation parfois plus personnelle que juridique des institutions.
Bien entendu, il existe aussi des différences. Le Venezuela de Chávez flirte, il est vrai, avec l'autoritarisme - mais sans jamais basculer de la démocratie vers la dictature -, de même qu'il est socialement plus avancé que la France de De Gaulle (il correspondrait donc sur ce point à la minorité gaulliste "de gauche" et non, bien évidemment, à la majorité gaulliste "de droite").
Mais Hugo Chávez est sans conteste idéologiquement plus proche de De Gaulle que la plupart de ceux qui se réclament aujourd'hui du gaullisme, crient au "populisme" lorsqu'on leur parle du peuple, et récusent en pratique si ce n'est en théorie les piliers du gaullisme que sont la souveraineté et l'indépendance nationales ou encore l'interventionnisme économique et social de l'État.
Ce qui est en revanche étrange dans les propos de Victorin Lurel, c'est la comparaison avec Léon Blum. Ce dernier était davantage une sorte de François Hollande de l'époque: une appartenance à la droite du parti socialiste (tellement loin de la révolution bolivarienne!), un positionnement tactique au centre du parti socialiste lorsqu'il a fallu le gérer, un réel décalage entre le discours et la pratique ("peur du qu'en-dira-t-on communiste": Blum avait un discours marxiste et une pratique sociale-démocrate, Hollande a un discours social-démocrate et une pratique sociale-libérale). Sans même parler de la personnalité et du style si opposés de Blum (ou Hollande) et de Chávez, ce dernier étant bien plus en phase avec Jean-Luc Mélenchon!
Et s'il faut absolument comparer Hugo Chávez avec une personnalité socialiste historique, je pencherais plutôt pour le Belge Henri De Man, y compris - je le concède - la triste dérive ultérieure de certains planistes français.
Reste que la meilleure comparaison serait selon moi plutôt le théoricien de la "théologie de la Libération", Gustavo Gutierrez.
Bref, contrairement à ce que dit Victorin Lurel, Chávez ce n'est pas De Gaulle plus Léon Blum, c'est plutôt De Gaulle plus Gustavo Gutierrez!
(*) Historiquement, en revanche, Chávez ne possède forcément pas la dimension du De Gaulle du 18 Juin 1940 et de la Résistance.
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Commentaires
Les gaullistes n'ont jamais prétendu que la rupture d'anévrisme du Général était un complot américain. C'est vrai que, de son vivant, De Gaulle n'avait jamais qualifié l'ennemi américain de "diable". Respecter le peuple, c'est déjà ne pas lui raconter n'importe quoi.
La volonté du Général de ne pas s'aligner avec les Etats-Unis ne le conduisait pas à se jeter dans les bras de l'URSS. Chavez, à l'inverse, a cultivé des amitiés plus que douteuses.
Et, en politique économique, De Gaulle s'intéressait autant à la redistribution qu'à la création de richesse. Au Vénézuela, on vit de la rente du pétrole, c'est assez facile de redistribuer sans se poser de questions ! Les contextes sont bien différents.
Écrit par : Max | 10 mars 2013
Les contextes sont toujours différents lorsqu'on établit des comparaisons dans le temps ou dans l'espace. Mais je maintiens qu'il existe de nombreux points communs entre Chávez et De Gaulle, suffisamment pour justifier la petite phrase de Lurel.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 10 mars 2013
Si la gauche vénézuélienne est mauvaise d'après nos critères, mais c'est parce que la droite est pire. Jusqu'à peu elle se vendait corps et âme aux intérêts américains afin de conserver le train de vie de l'élite. La dialectique partisane partait de très bas. Avec le judéo-chrétien Radonski on devrait parvenir à une démocratie plus normale.
Justement, je crains que le temps nous dévoile de douloureuses vérités sur la gestion de l'État par Chavez. C'est une gestion typiquement gauchiste au sens le plus péjoratif : explosion du nombre de fonctionnaires au détriment de l'efficacité, limitation de la liberté d'entreprendre, gouvernement d'un parti contre un autre, reproduction à tous les niveaux du conflit peuple-élite pour excuser l'autoritarisme du chef populaire.
Mais c'est vrai que cela ressemble à du De Gaulle : Arrivée et maintien au pouvoir par la menace prolongée d'un coup d'État. Captation des trois pouvoirs officiels par des moyens peu démocratiques (nomination des juges, charcutage des circonscriptions législatives et suppression du sénat, exécutif non partagé en pratique), combat des contre-pouvoirs. Réécriture de la constitution. Anti-libéraux. Militaires. Ont pensé prendre le pouvoir par la force.
Sauf que, reprenez-moi si je me trompe, le RPF puis l'UNR ne tenaient pas un discours populiste, au contraire, il s'agissait de poursuivre l’idée d’un État nouveau (la France post-coloniale, moderne et indépendante) avec les moyens nécessaires. Cela part de l'extrême-droite fermement opposée à l’idée d’un régime parlementaire et d'un gouvernement atlantiste, donc, de toujours plus d'une politique vue comme inutile et dangereuse. De Gaulle incarne cette défense du pays. Le PSUV, lui, parle comme toutes les gauches de révolution, en offre des premières concrétisations qui se justifient parce que révolutionnaires, et tente de poursuivre l'idée de révolution, donc, de toujours plus de politique, parce que jugée nécessaire. Chavez n'incarne pas le Venezuela, mais sa révolution. Cela part de l'extrême-gauche qui présuppose que le peuple peut être représenté avec brio.
Il ne faut pas chercher l'internationalisme de la droite vénézuélienne ailleurs que dans l'intérêt de la bourgeoisie de sang espagnol. Mais, même s'il est 'patriote', Chavez est aussi internationaliste, cherchant une réponse continentale au problème de l'impérialisme américain, voire carrément internationale avec ses amitiés iranienne et libyenne. Et peu avant sa mort le Venezuela est entré dans le MERCOSUR. De quoi noyer la révolution dans le socialisme de marché.
Écrit par : Joli | 10 mars 2013
Ni Chávez ni De Gaulle n'ont gouverné de façon parfaite. Ils n'ont bien entendu pas non plus gouverné de façon identique deux États différents à des époques différentes. Mais dans les deux cas il s'agissait bien selon moi de la même direction politique: appel direct au peuple, souveraineté et indépendance nationales, État fort et progrès social. Être pour ou contre cette direction est un autre débat. Je note simplement que ceux qui critiquent Chávez ne critiquent pas seulement les imperfections de sa présidence (précarité relative des libertés publiques, manque réel de préparation de l'avenir en se reposant uniquement sur le rente pétrolière) mais la direction de sa politique en elle-même (oh le méchant déviant qui a osé ne pas prêter allégeance aux États-Unis d'Amérique et faire bénéficier tout son peuple de la rente pétrolière: recul de la pauvreté, amélioration de la santé, etc.).
Écrit par : Laurent de Boissieu | 10 mars 2013
N'en déplaise à la plupart des commentateurs des médias, défenseurs zélés du marché et d'une Europe décrédibilisée, Hugo Chavez ne pouvait pas être qualifié de dictateur : son élection et ses deux réélections ont été reconnues par les organisations internationales comme légitimes et démocratiques.
On peut toujours argumenter sur tel ou tel aspect de son discours, mais quel dirigeant politique occidental peut se vanter de réélections chaque fois plus faciles et de majorités parlementaires reconduites largement ? La dernière élection au Vénézuéla date d'il y a quelques mois seulement et même son adversaire de droite a reconnu la validité de ce scrutin !
Qui sont ces commentateurs pour traiter de dictature un pays ou même l'opposition reconnait sa défaite ?...
Il s'agit bien d'un discours idéologique des commentateurs français : que le petit peuple français ne regarde surtout pas ce qu'il se passe en Amérique du Sud (le Vénézuéla n'est pas seul !) et qu'il ne se demande pas pourquoi les vénézuéliens ont réussi à reprendre le contrôle de leurs principales industries, de leurs banques et on réussi à faire reculer largement la pauvreté et l'analphabétisme quand notre belle Europe, notre grande Europe, modèle des modèles, s'enfonce dans la crise, le chômage et l'appauvrissement général ?...
Qu'on me dise où est le débat démocratique en France quand tous les journalistes et tous les "experts" politiques et économiques passent leur temps à affirmer que la crise est mondiale (ce qui est faux, vu la croissance chinoise ou sud américaine, par exemple), qu'il n'y a aucune alternative à la rigueur, à la dérégulation sociale et à la mondialisation de l'économie de marché ?
De fait, la réussite du Vénézuéla et l'arrivée au pouvoir en Amérique latine de gouvernements progressistes, pour certains ouvertement anti-impérialistes et basant leur politique sur des nationalisations d'entreprises occidentales venues se gaver sur ces peuples (Vénézuéla, Bolivie, Equateur, Nicaragua), tout cela faisait un contre-point négatif à la propagande actuelle qui tente de décourager les français et les européens d'exiger d'autres politiques économiques que les saignées actuellement en cours.
Il fallait donc salir l'image de celui qui incarne le plus ce mouvement progressiste latino-américain : Hugo Chavez.
C'est à ce point évident que l'on n'entend jamais nos grands "experts" s'exprimer sur l'état de la "démocratie" dans les monarchies islamistes de la péninsule arabique, dans la monarchie rétrograde et colonisatrice du Sahara Occidental qu'est le Maroc ou même, pour rester en Amérique du Sud, dans le pays du narcotrafic et des escadrons de la mort qu'est la Colombie ?
La démocratie sélective de nos médias est aux droits de l'Homme ce que le droit d'ingérence sélectif des Etats-Unis et de l'OTAN est à la protection des populations civiles : une marionnette pour occuper le peuple !
Écrit par : Solidaire27 | 11 mars 2013
"Au Vénézuela, on vit de la rente du pétrole, c'est assez facile de redistribuer"
exact, sauf que...la rente existait avant chavez, mais ne profitait qu'aux riches. Le PSUV ne s'en est pas servi pour bâtir l'avenir, en effet, mais au moins les pauvres en profitent un peu.
@M. de Boissieu : je crois que j'ai l'explication de la comparaison avec Blum. L'auteur d'icelle étant socialiste, il a dit ça sans y réfléchir. Jaurès et Blum étant des personnes sanctifiées par le PS (et par la france entière, hélas, suffit de voir le nombre de rues jean-jaurès), n'importe qui qui trouve grâce à leurs yeux se verra automatiquement attribué le titre d'"égal de blum/jaurès".
Écrit par : Colbert | 11 mars 2013
Tout à fait d'accord sur la constattaion du positionnement idéologique de Chavez en relation avec le souverainisme Venezuelien, et le souci de sortir son peuple de la grande pauvreté.
Mais, contrairement à la politique gaulliste, sans stratégie économique propre à assurer la croissance au delà de la manne pétrolière.
On peut y voir le défaut congénital des gouvernements de gauche : comme l'est aujourd'hui la politique uniquement redistributive des socialistes français, incapables de mettre en oeuvre les moyens de faire redémarrer notre l'économie. Les seules structures économiques porteuses ont été initiées par Sarkosy (CIR, TVA 'sociale' etc.), mais elles ont été diabolisées au nom de l'impérieuse manie de trouver un bouc émissaire propre à toute idéologie.
Je remarque que la Suisse cherche, elle, avec pragmatisme et sans idéologie, les nouvelles règles de gouvernance politique adaptée à notre époque.
Écrit par : Laure 74 | 12 mars 2013
Les réformes sociales style CNR n'étaient pas la volonté de de Gaulle mais des concessions faites aux communistes. De plus de Gaulle ne s'est jamais attaqué à la propriété privée comme le fait Chavez, et il n'aurait jamais eu l'idée de faire distribuer l'aide sociale par son parti, ce que fait Chavez. De Gaulle a restauré un état français en miette, Chavez a tenté de s'emparer pour le plus longtemps possible d'un état vénézuélien mal en point. Bref il y a peut-être des similitudes dans la forme, mais dans les buts tous les oppose.
Quant au populisme, qu'on pourrait définir, dans son acceptation contemporaine, par le fait de tenir des propos complètement irréalistes mais qui plaisent au "peuple" parce qu'ils flattent nos instincts primaires (désignation de bouc émissaire, yakafokon, etc...), cette définition montre bien que de Gaulle n'est assurément pas populiste et que Chavez l'est complètement. Pour tenir ses promesses, il a dilapidé le capital productif vénézuélien pour aider les plus pauvres et Cuba, et avec encore dix ans sur la même politique ces pauvres se retrouveront encore plus pauvres parce qu'il n'y aura plus rien à leur donner et que la production nationale aura été ramenée à zéro, ou presque (regardez la part du pétrole dans les exportations vénézuéliennes, ainsi que l'explosion des importations).
Bref, de Gaulle a redressé la France, Chavez a mis le Vénézuela à genoux, donc toute comparaison entre les deux, surtout par un ministre de la République française, fut-il délégué (et aux Anciens combattants, en plus !) est franchement douteuse et de mauvais goût.
Écrit par : adrien | 21 mars 2013
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