06 janvier 2011
Ces centristes qui ont fait l'Histoire
[N'ayant pas encore eu le temps de rédiger, en argumentant, ma liste précise de points de désaccords avec Jean-Pierre Rioux, je publie en attendant ma recension parue ce jeudi dans La Croix]
L'historien Jean-Pierre Rioux, proche de François Bayrou, dresse une galerie de portraits des centristes depuis la Révolution française
Face à la droite (René Rémond) et à la gauche (Jean Touchard, Jean-Jacques Becker et Gilles Candar), qui ont leurs historiens de référence, le centre fait un peu figure d'oublié. Une lacune que contribue à combler Jean-Pierre Rioux, directeur de la revue d'histoire Vingtième siècle (et collaborateur de La Croix), en publiant fort opportunément un ouvrage sur Les Centristes, de Mirabeau à Bayrou. Comme il le précise lui-même en introduction, il s'agit davantage d'un essai que d'une publication scientifique, l'auteur ayant visiblement coiffé dans son travail d'écriture autant sa casquette d'historien de renom que celle d'animateur de l'université populaire du MoDem.
Ponctuée par de nombreux portraits de figures connues ou oubliées, c'est une histoire du centre qui défile devant le lecteur. C'est toute l'originalité de l'œuvre de Jean-Pierre Rioux: avoir cherché le fil rouge qui, de la Révolution à nos jours, constitue, selon lui, l'identité centriste. Finalement, le centrisme serait surtout une attitude: la recherche du "juste milieu" et du "bon gouvernement" ou, reprenant la définition de Maurice Duverger, l'ambition de "donner la prédominance à la distinction des extrémistes et des modérés sur celle de la droite et de la gauche".
Cette définition du centre présente l'avantage de ne pas être avant tout idéologique (même si l'auteur cède parfois à cette tentation), évitant ainsi l'écueil du changement de place des courants de pensée sur l'échiquier politique, au gré des périodes historiques. Ce qui est particulièrement vrai en ce qui concerne les "trois eaux mêlées" qui constitueraient le centrisme: "la libérale, la radicale-socialisante et la démocrate-chrétienne". Leurs représentants n'ont en effet pas toujours siégé au centre des assemblées parlementaires, tandis, comme le rappelle l'historien, qu'elles "n'ont pas toujours conflué, loin de là".
Jean-Pierre Rioux ne confère toutefois pas le même débit à ces trois affluents, puisque "au bout du compte c'est la mouvance démocrate-chrétienne, issue de Marc Sangnier et du Sillon, bien inscrite dans l'héritage du christianisme social dès le temps de Léon XIII, qui est restée le courant le plus original, le plus incisif et le plus déterminant chez les centristes". C'est d'ailleurs "au nom de valeurs humanistes de la démocratie chrétienne que François Bayrou, enfant de ce sérail, a mené sa bataille au sein de l'UDF et qu'il poursuit son combat". Poussant jusqu'au bout cette idée, l'auteur avance que "tous les centristes, d'où qu'ils viennent, savent qu'un certain sens chrétien de l'homme et du monde a valorisé dans leur famille la quête du sens, le respect de l'autre, le souci moral et spirituel, en un mot l'envie de civiliser la politique".
Jean-Pierre Rioux souligne cependant deux ruptures conduites par François Bayrou. D'une part, il a "outrepassé son centrisme démocrate-chrétien pour renouer avec son non-conformisme personnaliste d'origine, appris chez Charles Péguy, Lanza del Vasto ou Jacques Ellul, pour devenir un candidat au ton plus populiste". D'autre part, il a adopté une "stratégie privilégiant l'élection présidentielle, à l'inverse de la culture politique de sa famille d'origine". Mais conformément à la Ve République gaullienne.
Laurent de Boissieu
La Croix, 06 janvier 2011
Les centristes, de Mirabeau à Bayrou de Jean-Pierre Rioux
Fayard, 314 p., 18,50 €
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Commentaires
Mouaip. Je mets à mon programme de travail virtuel une réflexion sur ce "donner la prédominance à la distinction des extrémistes et des modérés sur celle de la droite et de la gauche" - l'idée du centre comme lieu de la raison, du compromis, du bon sens, du réalisme, etc.
Qui n'est pas tout à fait sotte (et pourquoi serais-je opposé à la raison, au compromis, au bon sens ou au réalisme ?)…
…mais qui me semble bien pauvre et décevante. On ne s'engage pas pour le réalisme. On s'engage pour ce à quoi on croit.
Au fond les trois personnalités citées à la fin (et que ni la gauche ni la droite ne revendiqueraient, ou bien les deux à la fois, ça tombe bien) donnent un élément de réponse : Charles Péguy, Lanza del Vasto ou Jacques Ellul sont-ils solubles dans le "juste milieu", la "modération", le "bon gouvernement" ? Ont-ils le moindre rapport avec ce que Jean-Pierre Rioux appelle "un ton populiste" ?
Je suis bien embêté de dire, étant du parti auquel Jean-Pierre Rioux s'associe, que je trouve son centrisme bien trop peu révolutionnaire. Je lui préfère grandement celui de Charles Péguy, Lanza del Vasto ou Jacques Ellul. A moins que je ne l'aie mal compris - il faudrait sans doute que je lise le livre !!!
Écrit par : FrédéricLN | 06 janvier 2011
Attention (et c'est sans doute un peu à cause de ma recension, réduction en 3.500 signes de 35.000 signes de notes!) à ne pas se méprendre: l'essentiel du livre c'est l'histoire du centre ponctuée par une galerie de portraits de centristes.
Même si j'ai tenu à insister dans ma recension sur les deux ruptures conduites par François Bayrou puisqu'il s'agit d'une touche d'actualité, qui rejoint par ailleurs les leitmotivs de mes analyses (et je suis heureux du renfort de cet historien de renom!).
Quant au personnalisme, à Charles Péguy, Lanza del Vasto et Jacques Ellul qui seraient les sources du côté non centriste de François Bayrou, je dirais même plus "mouaip".
Non-conformisme? Bien entendu. Populisme? L'étiquette me semble moins évidente: s'il y a bien du populisme chez François Bayrou depuis 2006, je ne suis pas convaincu par ces origines avancées par Jean-Pierre Rioux.
En fait, selon moi la première rupture (populisme) est tout simplement la conséquence de la seconde (assimilation par François Bayrou de la culture de la Ve République gaullienne: présidentielle "rencontre entre un homme et le peuple français", président de la République "Homme de la nation").
Écrit par : Laurent de Boissieu | 07 janvier 2011
Je voulais signaler deux choses:
1) Historiquement, je ne qualifierai nullement Jules Ferry de "centriste". Celui-ci peut-être qualifié de "centre-gauche", mais sûrement pas de "centriste" véritable en raison de ses positions anti-cléricales sous la IIIème République.
2) A mon sens, Marc Sangnier n'était pas un véritable démocrate-chrétien au niveau doctrinal. Je le qualifierai plûtot de "socialiste chrétien". L'abbé Lemire lui était un vrai démocrate-chrétien. Il fut d'ailleurs Secrétaire Général du Parti Démocratique Chrétien fondé en 1896.
Écrit par : J-J.Saldat | 11 janvier 2011
1) Sur Jules Ferry, je suis bien d'accord! C'est d'ailleurs ce que j'écris à la fin de cette autre note:
http://www.ipolitique.fr/archive/2011/01/10/udf-centre-centrisme-centristes.html
2) Sur Marc Sangnier, on peut en effet le qualifier de "socialiste chrétien" à partir du milieu des années 20' (lorsque la Ligue de la Jeune République quitte la Ligue Nationale de la Démocratie), mais pas auparavant.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 11 janvier 2011
Un petit commentaire amusant : "la recherche du "juste milieu" et du "bon gouvernement" ", c'est pratiquement en ces termes (de mémoire "le bon gouvernement des gens honorables" "à l'écart des passions et des excès") que Cicéron rêvait d'imposer au sénat sa prédominance (face aux populares type César ou Graccus et aux optimates, dont il était incontestablement issu avant de perdre la main, type Pompée). Comme quoi, ce genre d'aspiration est très ancienne.
Écrit par : Brath-z | 12 janvier 2011
Merci pour cette citation effectivement très intéressante... quelle culture! :)
Écrit par : Laurent de Boissieu | 13 janvier 2011
En matière de politique, les humanités sont très souvent utiles. A part, peut-être, chez Jean-Pierre Chevènement, on ne trouve plus guère ces références culturelles essentielles qui ont été plusieurs siècles durant au centre des argumentaires et orientations politiques français. Dommage, je trouve (même si j'accorde volontiers que citer Socrate dans le texte en pleine Assemblée comme Clémenceau serait, aujourd'hui, un petit peu déstabilisant :p)
Écrit par : Brath-z | 14 janvier 2011
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