05 novembre 2008
Guéris, les États-Unis vont-ils nous refiler le virus racialiste ?
L'élection d'une majorité de grands électeurs favorable à Barack Obama pourrait marquer le début d'une nouvelle ère aux États-Unis, une ère post-raciale. Barack Obama n'a en effet pas été préféré par les Américains parce qu'il était un "candidat noir"' (nonobstant le fait qu'il soit métis) mais, malgré le fait qu'il le soit, parce qu'il était le candidat Démocrate de la rupture avec les deux mandats successifs du Républicain George W. Bush (quels que soient les qualités ou les défauts de John Mac Cain, trop rapidement assimilé en France à ce dernier). Ce n'est en réalité pas Barack Obama qui fera l'Amérique post-raciale, même s'il s'agit du magnifique projet qu'il incarne et porte. C'est l'Amérique post-raciale qui a permis son parcours politique.
Car, dans le contexte américain particulier, le succès de Barack Obama possède bien une signification "racialo"-sociétale. En dépit des treizième (1865, abolition de l'esclavage) et quatorzième (1868, égalité entre les citoyens) amendements de la Constitution américaine, il faudra en effet attendre un siècle, avec les lois successives sur les droits civiques entre 1954 et 1968, pour que les États-Unis en finissent enfin avec le racisme institutionnalisé.
Ce passé ségrégationniste fait de la société américaine une société racialiste (justifiant provisoirement de mettre entre-parenthèse l'universalisme par une pratique de "discrimination positive" en fonction de la couleur de peau) et, partant, l'accession d'un métis à la Maison Blanche un moment historique, non pas politiquement mais sociétalement. Plus qu'un progrès, l'élection de Barack Obama constitue surtout une normalisation de la société américaine: comme dans toutes les démocraties, un citoyen "noir" peut dorénavant être élu à la présidence des États-Unis, tout simplement parce que les idées politiques qu'il défend sont majoritaires.
Paradoxalement, au moment où les États-Unis semblent entrer dans une ère post-raciale avec l'élection de Barack Obama, cette victoire risque de faire entrer la France dans une ère "raciale", inédite dans la nation de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. La France a, certes, connu l'esclavage et la colonisation (tournant alors le dos à ladite Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen...), mais la société française n'a jamais été une société racialiste. Contrairement aux États-Unis (où sept catégories raciales sont officiellement recensées: "White", "Black or African American", "American Indian and Alaska Native", "Asian", "Native Hawaiian and Other Pacific Islander", "some other race", "two or more races"), il n'existe ainsi pas de catégorisation des citoyens en fonction de la couleur de peau. Or nul doute que le vote des Américains va quand même venir nourrir les discours antirépublicains racialistes et communautaristes parlant de "diversité", de "minorités", de "statistiques ethniques" ou de "discrimination positive". Autant de volonté de racialiser la société française et raciser les citoyens.
Et nul doute que les gogos vont tomber dans le panneau. L'élection de Barack Obama est un symbole pour les États-Unis d'Amérique en raison de leur histoire. Mais ce n'est en rien un symbole universel. Contrairement aux États-Unis, l'élection, en France, d'un candidat de couleur de peau noire à la présidence de la République n'aurait strictement aucune signification en soi. L'élection, en revanche, d'une personne issue d'un quartier sensible en aurait, prouvant que l'ascenseur social n'est pas définitivement en panne. Quelle que soit la couleur de peau ou l'origine du nom de famille de l'intéressé(e).
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Commentaires
D'accord avec vous. Ce sera difficile d'éviter aux gogos de tomber dans le panneau, tant le lieu commun a la peau dure...
Écrit par : solko | 05 novembre 2008
Vous voulez un gogo, me voilà. Dire "l'élection, en France, d'un noir à la présidence de la République n'aurait strictement aucune signification en soi." est quand même exagéré. S'il n'y a jamais eu de racialisme institutionnel, on ne peut nier un certains racialisme ou racisme (exprimé ou non, paternaliste ou violent, etc.) à travers l'esclavage (voir le "Code noir" qui rétablit dans le droit français l'esclavage aboli par la christianisation au haut moyen âge) et la colonisation (même si le projet colonial républicain pouvait ne pas être raciste). En dehors même de l'Etat, on ne peut nier que certaines formes d'immigration industrielle et de ghettosisation urbaine des années 1960-1970 ou encore le vote FN etc. ont pour une bonne part reposé sur des préjugés racistes. L'élection d'un noir à laprésidence française prouverait que la majorité des Français sont prêt à passer outre la couleur de peau pour leur chef d'Etat et à privilégier ses idées, son projet et sa personnalités sur son origine. Celà a tout de même un sens, pas d'ordre institutionnel peut-être, mais d'ordre sociologique, psychologique, etc.
Écrit par : Libéral européen | 06 novembre 2008
Non, je le redis : "l'élection, en France, d'un noir à la présidence de la République n'aurait strictement aucune signification en soi". Pourquoi ? Parce que, contrairment aux États-Unis, il n'y a pas en France de question raciale. Il y a, en revanche, une question sociale, qui touche de fait, il est vrai, particulièrement les personnes issues d'une immigration récente, mais pas seulement eux.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 06 novembre 2008
D'accord pour penser que la question sociale prime en France, mais il ne faut pas faire d'angélisme : je pense que, face à un candidat noir, un bon % de Français hésiteraient (au fond d'eux-mêmes et sans le dire) pour la simple raison de sa couleur.
Ne serait-ce d'ailleurs que, pour une bonne part, par manque d'habitude (ce qui ne peut certes se confondre avec du racisme). De la décolonisation jusqu'aux années 1980, on avait ainsi perdu l'habitude d'avoir des hommes politiques "de couleur" en France (avant 1958, il y en avait, et même apparement un métis ministre sous Vichy).
Je crois que la force de l'habitude est importante et je suis bien persuadé qu'Obama doive aussi aux avancées des dernières années avec les nomination à la tête de l'armée de Powell (1991) et de la diplomatie, de Powell (2001) puis Rice (2005) (Merci donc aussi à "W" sur ce point précis). Sans compter les médias qui ont souvent présenté des présidents noirs de grande qualité (voir la série "24" avec Dennis Haysbert dans le rôle, qui ressemblait assez de visage et de caractère à Powell). Après ces plus hautes fonctions de l'Etat, ne restait plus qu'une marche logique à atteindre, et c'est chose faite.
Ah, au passage, un argument contre la discrimination positive qui va faire plaisir au propriétaire de ce blog : dans son discours sur la race du 18 mars 2008, Obama avait dit comprendre les ouvriers blancs mécontents d'être discriminés négativement face à des personnes qui "décrochent un bon emploi ou un poste dans une université en raison d'une injustice dont ils ne sont en rien responsable." (cité dans Le Monde daté du 7 novembre, page 21). Bonne lecture !
Écrit par : Libéral européen | 06 novembre 2008
1. C'est en effet dramatique pour la démocratie qu'il puisse y avoir des électeurs qui ne votent pas pour un candidat (ou, au contraire, qui votent pour un candidat) pour une raison qui touche à l'essence (sexe, couleur de peau, physique) et non à l'existence (programme politique). Le problème de ces sondages, c'est qu'ils ne posent pas la bonne question. La question posée est : "voteriez-vous pour un candidat noir". Alors que la question devrait être : "voteriez-vous plus pour un candidat blanc dont vous ne partagez pas les idées que pour un candidat noir dont vous partagez les idées". C'est comme les gens de droite qui disent aujourd'hui qu'ils ne voteront pas Sarkozy en 2012 : mis en situation, face par exemple à Ségolène Royal ou à Bertrand Delanoë, bien sûr qu'ils voteront de nouveau pour Sarko !
2. Encore une fois, Barack Obama est le fruit d'une Amérique enfin devenue postraciale, alors je rigole bien devant tous ceux qui s'en réclament en prônant en France une discrimination positive (dont, au passage, les États-Unis sont justement en train de tourner le dos, comme le souligne effectivement l'extrait du discours de Barck Obama, même si la discrimination positive pouvait à la rigueur se justifier dans une société américaine sortant du ségrégationnisme légalisé et par nature communautariste).
Écrit par : Laurent de Boissieu | 06 novembre 2008
Pour te rejoindre sur les choix des américains. J'ai eu l'occasion d'interviewer à la Réunion une américaine partisane d'Obama. Lorsque je lui ai demandé si le fait qu'il puisse être le premier président noir des Etats-Unis motivait son vote, elle m'a répondu que si c'était le cas elle ne voterait pas pour lui car c'est une mauvaise raison. Preuve aussi que la couleur de peau d'Obama a été montée en épingle par une partie des médias français quand en réalité les américains ont fait leurs choix sur d'autres critères: sécurité sociale, gestion de la crise et valeurs de l'Amérique (dont la religion).
Écrit par : Nicolas | 07 novembre 2008
@Nicolas : "en réalité les américains ont fait leurs choix sur d'autres critères" : oui, certainement pour l'essentiel. Mais il semble tout de même que 96% des noirs aient voté pour lui (Le Monde du 7 novembre, page 8, "L'amérique veut croire..."). Il y a donc également eu un vote communautaire (maintenant, je ne connais pas le vote noir habituellement). Et même un vote pluri-communautiare puisque, toujours selon le même article du Monde, Obama a très largement été soutenu par les "communautés" minoritaires anciennes (78 % des juifs) et récentes (2/3 des hispaniques, asiatiques, etc.).
Écrit par : Libéral européen | 07 novembre 2008
WASHINGTON (AFP) — Le président élu Barack Obama a réussi à rassembler sur son nom une coalition qu'aucun autre candidat démocrate avant lui n'avait réussi à bâtir en recueillant la majorité des suffrages des femmes, des indépendants, des moins de 65 ans et des minorités.
Cet aspect de l'élection, unanimement qualifiée d'historique, pourrait poser des problèmes à terme au parti républicain qui a enregistré un de ses plus mauvais scores et qui ne semble plus en phase avec une Amérique qui change.
Même si le républicain John McCain est majoritaire dans l'électorat blanc (75% du total), que ce soit auprès des hommes ou des femmes, M. Obama, premier président noir des Etats-Unis, a obtenu plus de voix dans l'électorat blanc que les derniers candidats démocrates à la présidentielle, y compris Al Gore en 2000 et John Kerry en 2004.
Les Blancs, même s'ils ont voté à 55% pour McCain et à 43% pour Obama, "ont joué un rôle majeur dans l'élection du premier président noir", analysait mercredi le Los Angeles Times.
Les Noirs (13% de l'électorat) ont voté à 96% pour Obama. Mais le facteur racial, considéré comme une inconnue majeure de la présidentielle, n'a en fait pas ou peu compté.
L'âge de M. McCain, qui, à 72 ans, aurait été le plus vieux président à entrer à la Maison Blanche, a été plus déterminant que la couleur de peau du candidat démocrate: quatre électeurs sur dix ont affirmé que l'âge du républicain avait compté dans leur décision. En comparaison, seuls deux électeurs sur dix ont affirmé que le facteur racial était un sujet important à leurs yeux.
La principale préoccupation d'une majorité d'électeurs (63%) et le facteur numéro un de leur choix a été la situation économique. Et ces électeurs ont majoritairement choisi M. Obama.
"La question importante pour les électeurs n'était pas noir, blanc ou vert mais de savoir qui était le plus capable de s'occuper de l'économie", a résumé Peter Brown, responsable des sondages à l'université Quinnipiac.
M. Obama fait mieux que tous les candidats démocrates à la Maison Blanche des huit dernières présidentielles parmi les femmes, les jeunes, les Noirs, les modérés et les indépendants. Il a récupéré le vote de la communauté hispanique qu'avait obtenu M. Gore en 2000 et qui s'était porté sur George W. Bush en 2004. Les Hispaniques (8% des électeurs) ont voté Obama à 67% et McCain à 31%.
Le candidat démocrate a fait mentir les affirmations selon lesquelles l'électorat juif hésiterait à voter pour un candidat dont le second prénom est Hussein, que les Hispaniques ne voteraient jamais pour un Noir et que les femmes, déçues de l'élimination d'Hillary Clinton lors des primaires démocrates, se réfugieraient dans l'abstention.
M. Obama est largement majoritaire chez les jeunes de 18 à 29 ans mais aussi dans toutes les classes d'âge au-dessous de 65 ans. Le candidat démocrate est largement majoritaire parmi les personnes possédant un diplôme universitaire mais également parmi celles qui n'ont pas fréquenté d'université.
Les foyers américains les plus modestes, affichant des revenus annuels de moins de 15.000 dollars, ont très majoritairement (73%) préféré M. Obama. Le candidat démocrate a également obtenu la majorité dans les foyers gagnant entre 15.000 et 50.000 dollars par an. M. McCain a convaincu les ménages affichant des revenus annuels situés entre 50.000 et 75.000 dollars mais M. Obama a fait mieux que son adversaire parmi ceux gagnant entre 75.000 et 100.000 dollars par an.
Surtout, le candidat démocrate a réussi à obtenir la confiance d'électeurs plutôt enclins à voter républicain, comme les mères de famille et les catholiques, qui ont majoritairement voté pour lui.
Les électeurs des zones rurales, plutôt conservateurs, se sont partagés entre les deux candidats avec un léger avantage pour M. McCain. M. Obama a confirmé les progrès enregistrés ces dernières années par les démocrates dans les banlieues des grandes villes qui ont été longtemps des fiefs républicains.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 07 novembre 2008
Très bon article. Vous avez raison : ce qui fait qu'un candidat renvoie ou non une image plus ou moins négative, dans une circonstance de cette sorte, c'est sa position sociale.
Un noir en France pourrait gagner à condition qu'il ait le même cursus que l'élite blanche et que son parcours ne renvoie pas à la banlieue, devenue le lieu de toutes les opprobres.
Écrit par : L'Hérétique | 10 novembre 2008
pouvez vous retirer vos pages et de votre site que nous sommes souverainiste. Merci
http://perso-wanadoo.fr/echanges/
l'adresse actuelle est
http://pagesperso-orange.fr/combat/
Écrit par : GB | 30 novembre 2008
J'ai mis à jour le lien vers votre groupe. En revanche, je continue à vous qualifier de souverainiste puisque votre combat se situe bien "sur le terrain de la souveraineté populaire et nationale conditions fondamentales pour que le peuple décide librement de son avenir".
Écrit par : Laurent de Boissieu | 30 novembre 2008
Merci d'attirer de nouveau l'attention sur ce sujet, sensible et important puisqu'il est ici question de ce qui fait gagner les élections : l'identité nationale.
"contrairment aux États-Unis, il n'y a pas en France de question raciale. Il y a, en revanche, une question sociale, qui touche de fait, il est vrai, particulièrement les personnes issues d'une immigration récente, mais pas seulement eux."
Cependant, "à diplôme égal et origine sociale équivalente, les personnes définies comme d'"origine maghrébine" ont 2,5 fois moins de chance de trouver un emploi que des personnes dites d'"origine française"."
Appelleriez-vous cela une question sociale qui n'est pas une question raciale ?
Écrit par : FrédéricLN | 26 novembre 2009
Étrange que les commentaires de cet ancien billet ne soient pas fermés...
Quoi qu'il en soit, ce chiffre a été effectivement avancé dans une pétition que je réprouve totalement, mais j'attends toujours de lire l'étude à laquelle il se rapporte (et, empiriquement, les personnes que je connais dans les ressources humaines me disent le contraire).
La seule étude que j'ai lue sur les discriminations prouve d'ailleurs l'inverse, malgré la présentation biaisée qui en a été faite :
http://www.ipolitique.fr/archive/2008/11/19/minorites-a-la-television1.html
Écrit par : Laurent de Boissieu | 26 novembre 2009
Il semblerait que puisque depuis les années 1980 et l'irruption avec fracas d'associations antiracistes soutenues par le gouvernement ou telle ou telle formation politique, la thématique du racisme soit devenue "à la mode", de nombreux travaux aient dû s'adapter à la nouvelle motivation du moment et changer un chouïa leurs formulations. Un peu comme les travaux de biologistes qui intègrent contre toute logique des formules du genre "et l'influence du réchauffement climatique sur leur reproduction" après des travaux sur les rats-taupes et autres animaux/plantes, etc.
En sciences inexactes comme exacts, l'irruption du politique contraint à suivre la mode. Donc des enquêtes et travaux sociologiques menés sur les conditions de vie et de travail dans certaines banlieues défavorisées socialement ont intégré tout un volet sur le racisme, ce contre la volonté initiale du projet (et quelques fois malgré la logique du reste du projet... j'ai eu l'occasion de lire un dossier très complet sur la discrimination sociale en Eure-et-Loire et qui se concluait par deux phrases contradictoires du genre : "La discrimination à l'accès à l'emploi concerne surtout les individus masculins âgés de moins de 25 ans et issus de quartiers défavorisés socialement. Les discriminations au faciès motivées par des raisons ethniques accentue encore le phénomène.").
Donc bon, le racisme existe certes, mais il ne me semble ni avoir augmenté ni constituer un sujet majeur des problèmes de notre société.
Un ami moins prudent que moi a résumé la chose de la manière suivante : "en fait le racisme en France est engendré par sa simple observation".
Écrit par : Brath-z | 27 novembre 2009
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