07 septembre 2008
Trois définitions du centre
(écrit dans le TGV, de retour des universités d'été du MoDem et du Nouveau Centre)
Pour François Bayrou, le centre c'est le refus du bipolarisme, c'est-à-dire la présence d'une troisième force de gouvernement, centrale, à équidistance de la droite et de la gauche, capable de gouverner le pays seule ou en s'alliant, sans automatisme, avec l'une ou l'autre des deux autres forces politiques.
Mon commentaire. Ce qu'est en train de faire renaître François Bayrou, c'est en effet un véritable centre, tel qu'il existait avant le milieu des années soixante-dix et la bipolarisation de la vie politique française. Ainsi défini, le centre ne peut exister sous la Ve République que s'il dispose d'un présidentiable (ce qui est le cas avec François Bayrou) car, sauf changement du mode de scrutin aux élections législatives (ce qui exige de disposer préalablement de la majorité au Parlement...), la seule élection ouvrant la possibilité de refonder le paysage politique est l'élection présidentielle au suffrage universel direct.
Pour Hervé Morin, président du Nouveau Centre, le "centre" c'est tous ceux qui appartenaient à l'UDF d'avant 1998, c'est-à-dire l'UDF giscardienne (1978-1998), augmentée des ministres d'ouverture (La Gauche Moderne de Jean-Marie Bockel, Éric Besson, etc.). D'où sa volonté de s'adresser au sein de l'UMP aussi bien aux ex-CDS (Pierre Méhaignerie, Jacques Barrot) qu'au Parti Radical de Jean-Louis Borloo et aux ex-DL (Hervé Novelli, Jean-Pierre Raffarin). Contrairement à François Bayrou, Hervé Morin ne remet donc pas en cause la bipolarisation. Ce qu'il remet en cause, c'est le bipartisme. Sa vision de la droite est celle d'une droite recomposée autour de deux partis : l'UMP d'un côté, le Nouveau Centre (élargi) de l'autre. Comme elle était autrefois composée de deux partis, le RPR et l'UDF.
Mon commentaire. Ce bipartisme à droite avait une raison d'être lorsqu'il existait un véritable fossé idéologique entre le RPR, plus jacobin, étatiste et souverainiste, et l'UDF, plus girondine, libérale et européiste. Le réalignement du RPR sur les positions de l'UDF dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix a rendu cette division artificielle (les ex-RPR demeurés gaullistes disposant aujourd'hui du parti Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan). Comme le montre le débat sur le financement du RSA, le principal clivage qui reste à droite tourne autour du degré de libéralisme économique (un autre clivage pouvant, certes, être trouvé sur la question du libéralisme sociétal). Sauf que ce débat économique ne recoupe pas les anciennes frontières partisanes. À droite, les libéraux, qu'ils soient ex-DL, ex-UDF ou ex-RPR; au centre-droit, les sociaux-libéraux, qu'ils soient ex-RPR ou ex-UDF.
Pour Jean-Christophe Lagarde, président délégué du Nouveau Centre, le "centre" c'est tous ceux qui appartenaient à l'UDF d'après 1998, c'est-à-dire l'UDF bayrouiste (1998-2002), élargie aux ministres d'ouverture. D'où son refus de s'adresser au courant des "réformateurs" de l'UMP, qui regroupe les plus libéraux de ce parti. Bien qu'également ex-UDF, les ex-DL sont en effet les plus éloignés du centre-droit. Comme Hervé Morin, Jean-Christophe Lagarde ne remet donc pas en cause la bipolarisation mais seulement le bipartisme. Sa vision de la droite est également celle d'une droite recomposée autour de deux pôles, en se basant toutefois non pas sur les anciennes étiquettes mais sur les débats actuels (libéraux vs sociaux-libéraux).
Mon commentaire. Contrairement à celui d'Hervé Morin, qui reposait sur des anciennes frontières partisanes devenues artificielles, le bipartisme à droite de Jean-Christophe Lagarde serait effectivement idéologiquement cohérent. Sauf qu'il impliquerait une explosion de l'UMP et du Nouveau Centre, suivi d'une refondation autour de deux partis : l'un de droite, l'autre de centre-droit. Or cette hypothèse semble tout aussi improbable que celle, pourtant encore davantage cohérente idéologiquement, de la partition du PS entre un parti social-libéral et un parti anti-libéral...
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Commentaires
Sauf que les nouveaux adhérents du MoDem, beaucoup plus nombreux que les gens du "Nouveau Centre" et qui ont fait leurs preuves au sein du MoDem, eux qui ne viennent ni du PS ni du "Centre", ni de l'UMP, ne supportent plus cet enferment dans un CENTRE et ne se considèrent nullement "centristes".
Je ne partage donc pas du tout votre vision dans un enfermement "centriste" que je refuse catégoriquement.
Nous sommes des DEMOCRATES, libres et ouverts, la majorité des adhérents actuels du MoDem n'auraient jamais adhéré à l'UDF sans François Bayrou et son message.
Il faudra bien arriver à sortir de ces limites terribles de "centre" et regarder au-delà de ce périmètre limitateur.
Le Mouvement DEMOCRATE est un parti CENTRAL de la vie politique et beaucoup plus ouvert que l'ancienne UDF "centriste"...
Ce sont les valeurs défendues par F. Bayrou qui nous rassemblent: laïcité, justice, social-économie, "écolonomie sociale" néologisme créé par Corinne Lepage à la fin de l'Université de rentrée... et pas une limite autour d'un centre quelconque.
Écrit par : Danièle Douet | 08 septembre 2008
Bonnes définitions des trois.
Je considère personnellement que l'alternative prônée par François Bayrou ne relève plus d'une démarche stricto sensu "centriste".
Il convient désormais de penser le Mouvement Démocrate comme la force centrale qui sera le pivot d'un large rassemblement.
Cette force qui transcenderait les anciens clivages n'a plus à être positionnée à équidistance dans le système bipolaire "Gauche - Droite".
Écrit par : Thierry P. | 08 septembre 2008
@Danièle Douet : "centre" désigne en effet un positionnement géographique au sein de l'espace politique, et non pas un positionnement idéologique. Mais, pour l'instant, "démocrate" n'est pas encore reconnu dans le monde des idées politiques en tant que famille clairement définie, au même titre que les grandes familles historiques (libérale, radicale, démocrate-chrétienne, etc.).
En résumé, le MoDem est un parti au positionnement géographique centriste dont le positionnement idéologique ne correspond pas à une des grandes familles historiques. Ce dernier constat conduit à parler de "centre" y compris lorsqu'on parle du positionnement idéologique. C'est une erreur, je vous l'accorde (cf. l'article de François Bayrou dans la revue Commentaire). Mais ce n'est ni aux journalistes ni aux militants du MoDem d'inventer une nouvelle famille de pensée (même si votre site Projet Démocrate est une initiative originale dans ce sens). C'est aux hommes politiques qui l'incarnent (en France ou ailleurs, au delà de François Bayrou) et aux politologues.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 08 septembre 2008
@Thierry P. : la définition du centre, si l'on s'en tient à une définition géographique, la seule qui tient la route, c'est toujours et en tout lieu l'équidistance entre la droite et la gauche. Encore une fois, l'erreur consiste non pas à qualifier de centriste le positionnement géographique du MoDem (simple constat) mais à qualifier - par défaut - de centriste son positionnement idéologique.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 08 septembre 2008
@ Laurent
Je suis d'accord sur la difficulté à positionner "physiquement" le MoDem dans le débat public.
S'il n'appartient pas "aux journalistes ni aux militants du MoDem d'inventer une nouvelle famille de pensée", il convient de relire ce qu'a exprimé François Bayrou dans la revue Commentaires. Le titre de cet article résume la démarche qui est initiée => "Du centre au projet démocrate".
Comme Danièle et de nombreux (sinon la majorité) autres adhérents, je ne me sens pas "centriste" au niveau géographique. Entre-nous à Cap Estérel, nous en avons encore parlé, nous partageons une vision de l'engagement politique qui nous place au-delà des vieux clivages "gauche-droite".
La démarche est nouvelle. Comment dégager un large rassemblement d'hommes et de femmes sur un projet de société humaniste pour relever les défis du XXIe siècle ?
Cette démarche peut déconcerter voire décontenancer surtout dans la sphère médiatique. Cette dernière n'est jamais tant à l'aise pour résumer le débat public à un affrontement du bloc contre bloc. C'est facile, c'est convenu et ça permet de ne pas trop se creuser les méninges.
Le paysage politique est entré en profonde mutation. Les curseurs aussi bien à gauche qu'à droite ont du mal à suivre les évolutions et le positionnement des uns et des autres.
François Bayrou est un des premiers à avoir perçu l'émergence de ce phénomène.
A charge pour nous, les démocrates, d'expliquer notre projet de société.
Bien démocratiquement vôtre :-)
Écrit par : Thierry P. | 08 septembre 2008
@Thierry P. : Je précise ma pensée.
1. Géographiquement parlant, que cela vous plaise ou non, le MoDem est au centre. C'est un fait. L'UDF, en revanche, n'a jamais été au centre mais était à droite (ou au centre-droit, si l'on détaille).
2. Idéologiquement parlant, c'est là que les choses se compliquent. Dans la revue Commentaire, François Bayrou explique avec raison que "centre" n'est, justement, qu'un positionnement géographique et non un positionnement idéologique. Et il demande donc que l'on qualifie sa démarche non pas à partir du critère géographiques (droite, centre, gauche) mais à partir du critère idéologique (les grandes familles de pensée : libéralisme, radicalisme, démocratie chrétienne, etc.). Le seul problème c'est que sa démarche est, en effet, nouvelle, originale. Certes, il la nomme "démocrate" (le "démocratisme" ?), mais je dis simplement qu'en science politique c'est encore trop tôt pour lui donner un label. Ou alors il faut piocher dans ce qui existe déjà, et parler de social-libéralisme :
http://www.ipolitique.fr/social-liberalisme.htm
Écrit par : Laurent de Boissieu | 08 septembre 2008
Merci Laurent pour tous ces compléments très intéressants.
Le social-libéralisme me semblerait un terme assez pertinent qui collerait à la démarche d'ouverture d'une troisième voie dans le champ des idées.
Quant à l'appellation "centriste", pour ma part ne variatur je reste démocrate :-)
Je me souviens avoir entendu François Bayrou dire quelque chose comme ça, "je n'aime pas le mot "centriste" dans centriste, il y a triste".
Écrit par : Thierry P. | 08 septembre 2008
En résumé :
MoDem
- positionnement géographique : centre
- positionnement idéologique : social-libéralisme
À titre d'exemples :
PRG
- positionnement géographique : gauche
- positionnement idéologique : radicalisme
Parti Radical "valoisien"
- positionnement géographique : droite
- positionnement idéologique : radicalisme
Nouveau Centre
- positionnement géographique : droite
- positionnement idéologique : social-libéralisme (Lagarde)/libéralisme (Morin)
Écrit par : Laurent de Boissieu | 09 septembre 2008
Laissons-donc décanter !
Je pense aussi que le rassemblement autour du projet humaniste de société que propose François Bayrou dépassera nécessairement les stratégies des appareils telles que nous avons connues depuis des décennies.
C'est nouveau, c'est stimulant, ce sera vivifiant pour la République et rassérénant pour nos concitoyens.
Écrit par : Thierry P. | 09 septembre 2008
Je trouve choquant de devoir définir un unique centre "géographique" comme étant celui du modem. Le positionnement "géographique" actuel permet de définir approximativement 2/3 parties se situant autour du centre et selon leurs propres sous ensembles avec des orientations plus ou moins proches des différentes orientations géographiques.
Conclure que le Modem est le seul centre géographique me parait quelque peu choquant. L'ensemble de l'héritage de l'UDF représente ce centre, or cet héritage ne peut se limiter au Modem. Le Nouveau Centre et le groupe de travail de Jean Arthuis peuvent être eux aussi considérés comme étant géographiquement au centre. Certains membres du Nouveau Centre de centre droit, d'autres plus de l'"équi"-Centre.
Le Nouveau Centre, et le Modem dans leur position géographique restent très proche même si l'un choisit de tendre la main d'un coté, et l'autre de manger dans la soupe de l'autre coté.
Au niveau idéologique, c'est encore plus flagrant. Mais la démarche n'est pas la même.
En conclusion, je ne peux comprendre comment on peut classifier des mouvements héritiers d'un centrisme "géographique" et toujours appartenant à cette mouvance général, comme des gauchistes, des centristes, et des "droitistes". Ces éléments sont beaucoup plus entremêles qu'il n'y parait.
Écrit par : Tomas D. | 09 septembre 2008
@Tomas D : Je ne suis absolument pas d'accord avec vous ! C'est par abus de langage que l'UDF était qualifiée de centriste. Il n'y a en effet pas de centre en France entre l'élection présidentielle de 1974 (grosso modo) et celle de 2007 (candidature Bayrou). C'est pourquoi le véritable héritier de l'UDF c'est Le Nouveau Centre et non pas le MoDem (c'est Bayrou qui a changé entre 2002 et 2007, pas Morin ou Arthuis).
De même que Jean-Marie Bockel, quoi que prétende le nom de son parti (La Gauche Moderne), n'est plus de gauche à partir du moment où il a rallié le pôle de droite du paysage politique.
Idéologiquement, "centriste" ne signifie rien. Ce n'est qu'une position géographique, à équidistance de la droite et de la gauche.
Écrit par : Laurent de Boissieu | 09 septembre 2008
Quand je parlais de "idéologiquement" je ne parlais pas de centrisme, mais plus ou moins de ce que vous aviez souligné : un social libéralisme.
Par contre je suis en désaccord avec vous sur la notion de centrisme. Même si il est difficile de qualifier de centre la position de l'UDF (et ses prédécesseurs) avant 1980, si on doit regarder l'échiquier politique avec une vision plus moderne que 1980, on peut déjà y dessiner un centre dont l'UDF pourrait faire partie. malgré une forte liaison naturelle avec la droite, plus d'une fois l'ensemble formant l'UDF (à part quelques personnes) s'est retrouvé portant les projets apportés par les gens dit de "gauche" (socialistes), dont des ministres de la majorité présidentielle, et une campagne électoral en 92 si je me souviens bien beaucoup plus proche d'une alliance que l'alliance PS-MoDem voulue par certain aujourd'hui. L'UDF lors de sa création est le rassemblement d'un ensemble du centre et du centre droit. On pourrait même remonter jusqu'à 1974 à mes yeux, même si on est plus dans la logique UDF là, car antérieur à la création du parti ainsi que du RPR.
Écrit par : Tomas D. | 09 septembre 2008
Il y a en effet toujours eu chez une partie de l'UDF des velléités centristes (cf. le groupe parlementaire Union du Centre en 1988).
Mais l'UDF est toujours restée dans les clous de la bipolarisation (ce qui n'interdit pas de se compter à un premier tour de scrutin). On ne saurait, dès lors, la qualifier de centriste.
Je vous invite sur le sujet à lire ma synthèse sur la bipolarisation de la vie politique française :
http://www.france-politique.fr/bipolarisation.htm
Écrit par : Laurent de Boissieu | 09 septembre 2008
Laurent,
Je suis certaine que vous connaissez la symbolique visuelle du Ying et du Yang, telle est à mon sens la représentation visuelle du Modem.
Écrit par : Champomy | 17 septembre 2008
Passionnant article, passionnant débat : merci à Thierry de me l'avoir signalé. Je l'aurais raté sinon.
Cela me donne du coup une idée de billet pour mon propre blog.
Écrit par : L'hérétique | 17 septembre 2008
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