Discours d'Emmanuel Macron devant les évêques de France
10 avril 2018
Trois réactions personnelles au discours d'Emmanuel Macron devant les évêques de France:
De beaux extraits:
"Une Église prétendant se désintéresser des questions temporelles n'irait pas au bout de sa vocation; un président de la République prétendant se désintéresser de l'Église et des catholiques manquerait à son devoir."
"...ce n'est pas un mystère, l'énergie consacrée à cet engagement associatif a été aussi largement soustraite à l'engagement politique. Or je crois que la politique, si décevante qu'elle ait pu être aux yeux de certains, si desséchante parfois, aux yeux d'autres, a besoin de l'énergie des engagés, de votre énergie. Elle a besoin de l'énergie de ceux qui donnent du sens à l'action et qui placent en son cœur une forme d'espérance. Plus que jamais l'action politique a besoin de ce que la philosophe Simone Weil appelait l'effectivité. C'est-à-dire cette capacité à faire exister dans le réel les principes fondamentaux qui structurent la vie morale, intellectuelle et, dans le cas des croyants, spirituelle."
Commentaire: pour paraphraser Péguy sur le kantisme, avoir les mains pures, c'est en réalité parfois ne pas avoir de mains. Je n'ai donc jamais compris la méfiance de coreligionnaires envers l'État, s'exprimant de deux façons. D'une part, la préférence accordée à l'engagement associatif (ou politique local) par rapport à l'engagement politique national. D'autre part, la dévalorisation de l'intervention de l'État (héritage, sans doute, de la "querelle scolaire"). Or, pour agir, il faut avoir des mains (quitte à les salir). Ces mains, c'est d'abord être élu au Parlement (ou à la présidence de la République!). Ces mains, c'est ensuite utiliser le seul outil efficace pour une action systémique et durable: l'État, et singulièrement l'État unitaire, seul garant pour qu'une politique sociale s'adresse uniformément à tous les citoyens, et pour que son financement soit équitablement réparti entre eux selon leurs facultés (ce qui s'oppose à deux mouvements pourtant souvent soutenus par mes frères chrétiens: la décentralisation, qui organise une concurrence antisociale entre les territoires; l'actuelle construction européenne, qui organise une concurrence antisociale entre les États). Une précision: il s'agit de convictions politiques personnelles que je fonde sur ma foi, avec l'humilité du constat que d'autres chrétiens tirent des conséquences opposées d'une même foi (d'où l'impossibilité pratique - sans même parler de problèmes théoriques - de l'existence d'un parti politique chrétien).
Un passage contestable:
"...en écoutant l’Église sur ces sujets, nous ne haussons pas les épaules. Nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d’une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme. Nous l’écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons faire nôtres nombre de ses points. Mais cette voix de l’Église, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante."
Commentaire: l'Église catholique a le droit (voire même le devoir!), comme tout un chacun, d'être "injonctive", de ne pas seulement questionner mais aussi d'apporter ses réponses, donc de s'engager pour ce qu'elle souhaite et contre ce qu'elle refuse au nom de sa conception de la personne humaine, au caractère sacré et à la dignité inaliénable ("Dieu créa l'Homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme", Genèse 1, 26-27). Emmanuel Macron le dit d'ailleurs lui-même plus loin: "Questionner, ce n'est pas pour autant refuser d'agir; c'est au contraire tenter de rendre l'action conforme à des principes qui la précèdent et la fondent et c'est cette cohérence entre pensée et action qui fait la force de cet engagement que la France attend de vous."
Des passages que certains n'ont pas incompris;
Ce qu'a dit Emmanuel Macron: "...le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, il nous importe à vous comme à moi de le réparer."
Ce que certains - de bonne ou de mauvaise foi - ont compris: "...le lien entre l’Église et l’État s'est abîmé avec la loi de 1905, il nous importe à vous comme à moi de le réparer."
Commentaire: deux éléments permettent de décrypter que le président de la République vise le quinquennat de son prédécesseur, François Hollande (et non pas, bien entendu, la loi de 1905 en remettent en cause la laïcité!).
D'une part, un autre extrait de son discours: "...la situation actuelle est moins le fruit d’une décision de l’Eglise que le résultat de plusieurs années pendant lesquelles les politiques ont profondément méconnu les catholiques de France. Ainsi, d’un côté, une partie de la classe politique a sans doute surjoué l’attachement aux catholiques, pour des raisons qui n’étaient souvent que trop évidemment électoralistes. Ce faisant, on a réduit les catholiques à cet animal étrange qu’on appelle l’"électorat catholique" et qui est en réalité une sociologie. Et l’on a ainsi fait le lit d’une vision communautariste contredisant la diversité et la vitalité de l’Eglise de France, mais aussi l’aspiration du catholicisme à l’universel – comme son nom l’indique – au profit d’une réduction catégorielle assez médiocre. Et de l’autre côté, on a trouvé toutes les raisons de ne pas écouter les catholiques, les reléguant par méfiance acquise et par calcul au rang de minorité militante contrariant l’unanimité républicaine."
D'autre part, ses propos dans L'Obs du 16 février 2017: "Une des erreurs fondamentales de ce quinquennat a été d’ignorer une partie du pays qui a de bonnes raisons de vivre dans le ressentiment et les passions tristes. C’est ce qui s’est passé avec le mariage pour tous, où on a humilié cette France-là. Il ne faut jamais humilier, il faut parler, il faut "partager" des désaccords. Sinon, des lieux comme le Puy-du-Fou seront des foyers d’irrédentisme."
Ce qu'a dit Emmanuel Macron: "Tous les jours, tous les jours, les mêmes associations catholiques et les prêtres, accompagnent des familles monoparentales, des familles divorcées, des familles homosexuelles, des familles recourant à l’avortement, à la fécondation in vitro, à la PMA, des familles confrontées à l’état végétatif d’un des leurs, des familles où l’un croit et l’autre non, apportant dans la famille la déchirure des choix spirituels et moraux. Et cela, je le sais, c’est votre quotidien aussi. L’Église accompagne inlassablement ces situations délicates et tente de concilier ses principes et le réel."
Commentaire: le catéchisme de l'Église catholique condamne des pratiques et des actes, mais pas les personnes, que des croyants, religieux ou laïcs, accompagnent effectivement sur le terrain. Emmanuel Macron s'est borné à constater une réalité que certains, ayant sans doute sur ces sujets des positions contraires à celles adoptées par l'Église catholique, ne veulent pas voir.
Enfin, s'il était invité par la Conférence des évêques de France, le président de la République a pris soin, d'emblée, d'élargir son propos: "...cette même indifférence je ne l’ai pas davantage à l’égard de toutes les confessions qui aujourd’hui habitent notre pays."
2 commentaires
"le catéchisme de l'Église catholique condamne des pratiques et des actes, mais pas les personnes"
Donc quand des parents catholiques mettent à la porte leur enfant après la révélation de son homosexualité (cas qui n'a rien de fictif, hélas, et je sais bien que ce ne sont pas les seuls), ils n'ont pas compris "le catéchisme de l'Eglise catholique"?
Idem pour les nombreux participants à la Manif pour Tous qui exprimaient sans ambiguïté leur haine des personnes homosexuelles?
Sur votre premier point: je le pense, en effet (et heureusement que des associations comme Le Refuge existent).
Idem sur votre second point, même si je pense qu'il s'agissait d'une petite minorité.
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