La discrète offre d'alliance d'Alain Juppé à Emmanuel Macron
25 avril 2017
Alain Juppé a été sans ambiguïté le soir du premier tour de l'élection présidentielle: "Sans hésiter, je choisis d'apporter mon soutien à Emmanuel Macron dans son duel avec l'extrême-droite".
Du coup, sa discrète offre de service à Emmanuel Macron est passée inaperçue:
"Il incombe maintenant à Emmanuel Macron de réussir le large rassemblement des Français.
J'attends qu'il précise son programme de réformes. (...)
J'appelle tous les Français de bonne volonté à s'engager dans ce nouveau combat."
Dans cette déclaration, il ne s'agit en effet plus seulement de voter ponctuellement pour Emmanuel Macron et contre Marine Le Pen au second tour de cette élection présidentielle.
Il s'agit d'une véritable offre d'alliance pour participer à la construction d'une majorité de "large rassemblement" constituée par "tous les Français de bonne volonté" (sous-entendu: ceux qui appartiennent au "cercle de la raison" (1)) autour d'un "programme de réformes" (sous-entendu: de réformes libérales).
Cette position n'est pas étonnante. Au début de l'année 2015, Alain Juppé envisageait déjà une telle recomposition de la vie politique (prônée depuis longtemps par François Bayrou):
"Au niveau national, il faudra peut-être songer un jour à couper les deux bouts de l'omelette pour que les gens raisonnables gouvernent ensemble et laissent de côté les deux extrêmes, de droite et de gauche."
(Le Point)
Puis, durant la primaire organisée par Les Républicains, le maire de Bordeaux a renoncé à défendre cette idée. Ayant sans doute pris conscience qu'elle était trop en décalage avec les sympathisants de son parti (rappelons qu'à la primaire, auprès des seuls sympathisants LR, il n'avait obtenu que 18% au premier tour puis 15% au second cf. mon infographie).
(1) Notion théorisée en 1994-1995 par Alain Minc contre la candidature de Jacques Chirac. Élu après avoir défendu au premier tour l'"autre politique" séguiniste, Jacques Chirac a finalement impulsé une politique balladuro-juppéiste conforme au "cercle de la raison".
1 commentaire
Cette division profonde chez Les Républicains entre la base restée assez gaulliste, disons plutôt national-conservatrice et certains gaullistes de conviction chez les cadres (Guaino, Lellouche, Fenech, Myard, ...) et la majorité de l'état-major et des cadres, anciens centristes (démocrates-chrétiens, sociaux-libéraux) ou liquidateurs du gaullisme (Juppé, J-L Debré, Baroin, ... les chiraquiens finalement) révèle un retour à la situation de 1969.
En effet, la gauche se divise entre deux blocs : les mélenchonistes, qui ont repris en quelque sorte le terrain du PCF d'avant 1981 (19,58 % pour Mélenchon ; 20,27 % pour Duclos en 1969) et une gauche historiquement socialiste en totale perdition (6,63 % pour Hamon ; 8,62 pour Deferre-Rocard en 1969).
De l'autre côté, la "droite" est divisée en 3 blocs : un bloc démocrate-chrétien qui retrouve toute sa puissance et concentre les pro-européens (24,01 % pour Macron qui réunit les sociaux-libéraux du PS, les démocrates-chrétiens du MoDem, les radicaux et libéraux de l'UDI et de LR ; 23,31 % pour Alain Poher qui réunissait le CD, des socialistes, des radicaux et les libéraux du CNIP) ; deux autres blocs (26 % pour Le Pen-Dupont-Aignan et 20,01 % pour Fillon) qui correspondent au score de Pompidou en 1969 (44.47 %).
Mais ces deux blocs se sont éloignés et ne peuvent cohabiter à cause de la question européenne et donc économique : d'un côté les partisans d'une Europe confédérale protectionniste (gaullistes de DLF et LR, nationaux-républicains et nationaux-libéraux du FN) et de l'autre côté les partisans d'une Europe à plusieurs vitesse libérale et encadrée par la zone euo (libéraux-conservateurs et certains anciens gaullistes de LR). Pompidou avait réussi à conserver cette alliance (entre les gaullistes et les libéraux-conservateurs de Giscard, très à droite à l'époque) car la question européenne était moins prégnante et le magistère De Gaulle permettait de dominer.
La comparaison est possible avec 1969 car c'est à cette date que commence à se dessiner le clivage gauche-droite de la Ve République (d'un côté le travail de réunification des socialistes par Mitterrand et la prise d'indépendance des libéraux vis-à-vis des gaullistes pour former avec les centristes un bloc libéral-conservateur, l'UDF en 1978).
A mon avis, il est léger de voir une reconstitution du gang des 4 des années 80 (FN = RPR ; LR+UDI = UDF ; PS + Macron = PS ; Mélenchon = PCF) car cela restait dans une configuration Gauche-Droite.
Aujourd'hui, c'est la fin du clivage classique pour laisser pleinement place au clivage de Maastricht et revenir à une situation antérieure à 1969 : les partisans de l'économie dirigée et de la Nation chez Le Pen, Dupont-Aignan et une partie de Fillon et les partisans de l'Europe et de l'anti-Ve République chez une partie de Fillon et Macron. Il reste bien une gauche mais il n'y a plus de droite à cause de cette fracture : impossibilité pour les deux blocs de gouverner (contrairement au RPR et UDF de l'époque) comme De Gaulle et Pompidou n'ont pas plus gouverné avec les démocrates-chrétiens et les libéraux (les gsicardiens ne représentant à l'époque qu'un petit contingent).
Ainsi, la prise de position des caciques "Macron compatible" de LR recrée ce clivage. La seule différence est l'alliance impossible entre Le Pen-Dupont-Aignan et la grande majorité de LR restée gaulliste à cause d'une part de l'origine du FN (présence de collaborationnistes dans la fondation du parti) et d'autre part du programme économique : LR a totalement abandonné le colbertisme au profit du libéralisme.
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