Déchéance de la nationalité: quelques précisions
28 décembre 2015
Pourquoi avoir écrit plusieurs notes sur la question de la déchéance de la nationalité? Mon propos n'était pas tant de défendre cette mesure en tant que telle (l'indignité nationale était une autre solution), qui ne constitue bien évidemment pas en soi un outil de lutte contre le terrorisme, que de réagir - je l'avoue: parfois avec agacement - aux inepties juridiques lues ici ou là. J'en ai listées trois.
Non, l'élargissement de la déchéance de la nationalité aux nés Français ne remet en cause ni le droit du sol ni le droit du sang (au choix: j'ai lu les deux!), puisque la procédure de déchéance ne tient pas compte du mode d'acquisition de la nationalité française. Au contraire de l'actuelle déchéance de nationalité, qui ne concerne que les personnes ayant acquis la nationalité française (naturalisation, mariage) depuis moins de dix ou quinze ans (cas d'une condamnation pour terrorisme).
Non, l'élargissement de la déchéance de la nationalité aux nés Français ne constitue pas une rupture d'égalité entre deux catégories de Français. J'ai conscience que c'est le point le plus délicat.
On peut tout seul, dans son coin, continuer à considérer qu'il y a rupture d'égalité entre Français plurinational et Français mononational, mais c'est juridiquement faux (cf. 96-377 DC du 16 juillet 1996, 2014-439 QPC du 23 janvier 2015 et avis consultatif du Conseil d'État sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation du 11 décembre 2015).
L'inégalité, scandaleusement justifiée en 1996 par le Conseil constitutionnel en ce que le terrorisme constitue des faits d'une "gravité toute particulière", c'est le droit actuel qui ne permet de déchoir de la nationalité française que les personnes ayant acquis la nationalité française (naturalisation, mariage) depuis moins de quinze ans. L'ironie de l'histoire, c'est qu'en s'opposant à l'élargissement de la déchéance de la nationalité aux nés Français, certains en viennent à théoriser cette inégalité, alors que le principe républicain c'est que Français nés Français et Français par acquisition soient dans la même situation au regard du droit de la nationalité.
Il est vrai que, face à la déchéance de la nationalité, il existe de fait une différence de traitement entre un Français plurinational et un Français mononational, puisque ce dernier ne peut pas être déchu de sa seule nationalité. Mais cette différence de traitement ne provient pas du droit français mais d'une différence de situation au regard d'un autre État et du droit international (déchoir un Français mononational aurait pour effet de le rendre apatride). Ce serait aussi ridicule de dire qu'il y aurait une rupture d'égalité pour les franco-turques ou franco-israéliens au motif que leur autre nationalité les oblige à accomplir un service militaire dans l'État concerné, ce qui n'est pas le cas des autres Français...
Non, François Hollande ne reprend pas la proposition de Nicolas Sarkozy en 2010. Bref, ceux qui ressortent les arguments avancés à l'époque par les responsables du PS (dont François Hollande et Manuel Valls) ou Rober Badinter n'ont tout simplement rien compris au débat actuel.
Hier, Nicolas Sarkozy voulait élargir les cas de déchéance de nationalité pour les seules personnes ayant acquis la nationalité française (naturalisation, mariage) depuis moins de dix ans. Ce qui aurait signifié creuser l'inégalité entre ces Français et les autres.
Aujourd'hui, François Hollande veut élargir à tous les Français, sauf si la déchéance a pour résultat de les rendre apatride, la déchéance de nationalité après une condamnation définitive pour terrorisme. Ce qui signifie supprimer - enfin! - au moins partiellement l'actuelle inégalité entre Français ayant acquis la nationalité française depuis moins de quinze ans et les autres Français.
De très bons arguments ont été avancés contre le principe de la déchéance de nationalité, sur son inefficacité voire ses effets pervers. Mais ce n'est pas une raison pour, en plus, raconter juridiquement n'importe quoi.
2 commentaires
Si l'élargissement de la déchéance de nationalité aux nés français ne constitue pas une rupture d'égalité entre deux catégorie de français, l'acceptation de celle-ci pour les naturalisés en constituait bel et bien une. Il serait donc logique de revenir sur cette mesure "scandaleusement justifiée en 1996 par le Conseil constitutionnel" en particulier pour un gouvernement dit "de gauche" dont les membres s'en étaient, à l'époque, particulièrement indignés.
"On peut tout seul, dans son coin, continuer à considérer qu'il y a rupture d'égalité entre Français plurinational et Français mononational, mais c'est juridiquement faux: cf. 96-377 DC du 16 juillet 1996, 2014-439 QPC du 23 janvier 2015 et avis consultatif du Conseil d'État sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation du 11 décembre 2015."
La jurisprudence du Conseil constitutionnel dispose:
- que l'inégalité "Français ayant acquis la nationalité française depuis moins de quinze ans" vs autres Français constitue bien une inégalité, mais que cette inégalité entre Français est constitutionnelle (sic!) en ce que le terrorisme constitue des faits d'une "gravité toute particulière".
- que la différence de traitement entre mononational et plurinational résulte d'une situation juridique différente et ne constitue donc pas une inégalité entre Français.
La répétition est mère de la pédagogie...
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