Déchéance de la nationalité et (in)égalité
23 décembre 2015
Il existe trois positions en ce qui concerne la déchéance de la nationalité:
1. Suppression de la déchéance de la nationalité française du code civil.
2. Déchéance de la nationalité française pour toutes les personnes condamnées pour terrorisme, quel que soit leur mode d'acquisition de la nationalité française. Il s'agit du projet de réforme de François Hollande, qui supprime l'inégalité entre les citoyens français en fonction de leur mode d'acquisition de la nationalité française.
3. Déchéance de la nationalité française pour les personnes condamnées pour terrorisme seulement si elles ont acquis la nationalité française depuis moins de quinze ans. Il s'agit du droit actuel, qui contient une scandaleuse inégalité entre les citoyens français* en fonction de leur mode d'acquisition de la nationalité française.
Même si on est pour supprimer toute déchéance de la nationalité (position 1), il convient d'admettre objectivement que le projet de réforme de François Hollande (position 2) renforce la République en ce qu'il supprime une actuelle rupture d'égalité en fonction du mode - et logiquement aussi du délai - d’acquisition de la nationalité française (position 3).
Or, la première malhonnêteté de la gauche antigouvernementale consiste à reprocher à François Hollande le droit actuel, et non la réforme qu'il veut introduire. L'actuel débat n'est en effet pas "pour ou contre la déchéance de nationalité", mais "pour ou contre son égalitarisation, son extension à tous les Français".
La seconde malhonnêteté de la gauche antigouvernementale consiste à comparer le projet de réforme de François Hollande avec ceux d'une partie de la droite ou de l'extrême droite. Or, c'est encore une fois faux puisque ces derniers veulent, à l'inverse, renforcer l'actuelle inégalité entre les citoyens français en fonction de leur mode d’acquisition de la nationalité française:
Nicolas Sarkozy en 2010 en voulant élargir les cas de déchéance de la nationalité pour les seuls Français par acquisition:
"De même nous allons réévaluer les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la nationalité française. Je prends mes responsabilités. La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un fonctionnaire de police ou d'un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique. La nationalité française se mérite et il faut pouvoir s'en montrer digne. Quand on tire sur un agent chargé des forces de l'ordre on n'est plus digne d'être Français." (discours de Grenoble, 30 juillet 2010)Marine Le Pen en prônant une "naturalisation à points":
"Toute personne qui, dans les dix ans où elle a obtenu la nationalité française, commet des délits ou des crimes doit pouvoir se voir retirer cette nationalité." (Face aux Chrétiens, 19 mai 2011)
Reste une objection: la déchéance de la nationalité française ne peut pas avoir pour résultat de rendre apatride. Bref, elle ne peut de fait concerner que les terroristes plurinationaux, et pas les mononationaux. Ce que j'ai ainsi résumé:
Sauf que le droit tranche en réalité cette question, même si les non-juristes ont toujours détesté cette distinction: le principe d'égalité devant la loi ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes (sinon, par exemple, tout le monde devrait acquitter le même montant d'impôt sur le revenu!).
Or, de fait, un mononational et un plurinational ne se trouvent pas dans la même situation, comme l'a encore affirmé le Conseil d'État dans son avis consultatif du 23 décembre 2015 (que le gouvernement a décidé de rendre public)**:
Ce risque [d'inconstitutionnalité] ne provient pas d’une éventuelle méconnaissance du principe d’égalité.
Certes, la mesure envisagée par le gouvernement ne concernerait que les Français disposant d'une autre nationalité, mais ceux-ci ne sont pas, au regard de cette mesure, dans la même situation que les personnes qui ne détiennent que la nationalité française, car déchoir ces dernières de leur nationalité aurait pour effet de les rendre apatrides.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé que les personnes nées françaises et celles ayant obtenu la qualité de Français par acquisition étaient dans la même situation au regard du droit de la nationalité. Dès lors, en élargissant aux personnes nées françaises la sanction de la déchéance déjà autorisée par le code civil pour les personnes devenues françaises par acquisition, la disposition envisagée ne crée pas non plus une rupture d’égalité entre ces deux catégories de personnes.
Enfin, soulignons qu'il ne s'agit bien entendu que d'une sanction symbolique, et non il est vrai d'un outil de lutte contre le terrorisme.
* Le Conseil constitutionnel n'a étrangement pas censuré en 1996 cette inégalité en ce que le terrorisme constitue des faits d'une "gravité toute particulière" (96-377 DC du 16 juillet 1996).
** Voir aussi: 2014-439 QPC du 23 janvier 2015 et 96-377 DC du 16 juillet 1996.
13 commentaires
Bonjour,
Je ne comprends pas pourquoi l'on répète en boucle que cette sanction (la déchéance de nationalité) n'est que symbolique. Certes, même Valls le dit. Dès lors que cette sanction peut frapper tous ceux qui sont condamnés aux assises pour le crime d'association en vue de commettre des actes terroristes, la sanction peut tomber sur des hébergeurs, des financiers, des prêcheurs fous, des commanditaires, des fournisseurs d'armes ou de faux papiers, des convoyeurs, et. Condamner à la déchéance de nationalité ces bi-nationaux qui jouent sur les avantages donnés par le fait d'être citoyens de deux pays n'est pas du tout symbolique! C'est efficace!
Bonjour,
Je ne trouve pas que ce soit une inégalité *scandaleuse* qu'il puisse y avoir une déchéance de nationalité pour les français naturalisés depuis moins de 15 ans.
Je vois ça plus comme une "période d'essai", pendant laquelle le groupe accueillant s'assure que les nouveaux venus usent de leurs nouveaux droits sans mettre en danger leur nouvelle communauté nationale. Que les nouveaux venus doivent faire leurs preuves est commun à beaucoup de groupe.
Par contre étendre la déchéance de nationalité à tous les bi-nationaux est un 1er pas vers la remise en cause de la bi-nationalité. Sans y être spécialement favorable ou défavorable, je comprends que les bi-nationaux soient inquiets de cette évolution.
Bonsoir, je trouve justement cette "période d'essai" particulièrement choquante: on est 100% Français ou 100% étranger, pas Français "à l'essai"!
Bonjour, toute personne proche de la mouvance terroriste aurait donc intérêt à cacher une éventuelle double nationalité ; est aisé ?
Par ailleurs, lors de procès - il y en a et il y en aura puisque la déchéance est prévue à l'issue de la peine subie - ne peux t on demander officiellement à l'accusé de déclarer si oui ou non il s'estime français, et s'il veut le rester, ce qui en cas de réponse négative pourrait ouvrir la porte à une renonciation de nationalité ?
Bonsoir,
moi je trouve qu'il y a une inégalité dans le statut actuel entre les Citoyens qui ont que la Nationalité Française et le Bi-Nationaux. Les Citoyens Français qui se rendent dans certains pays qui imposent le visa , on nous fait payer le visa, et les Bi-Nationaux originaires de ce pays non. N'est pas déja une mesure discriminatoire qui va à l'encontre des Français qui disposent que d'une nationalité .
D'où il ressort que ceux qui ont empêché le débat sur l'identité nationale se le prenne en plein visage tel un boomerang.
Il vaut toujours mieux débattre que de faire l'autruche. Surtout sur des sujets essentiels comme ceux de la Nation, de la France, de la souveraineté, du peuple ou de l'indépendance.
Merci pour ces précisions éclairantes.
Bonjour,
Le concept de "nationalité" est complexe, surtout en France.
En lisant cet article et ses commentaires je constate, à regret, que vous oubliez toujours un mode d'acquisition de la nationalité, à priori toujours le même, l'acquisition par filiation. Je suppose que c'est le cas pour vous, raison pour laquelle vous ne vous sentez pas concerné.
Ceci ma gène beaucoup car c'est une source de confusion. Personnellement je suis extrêmement prudente pour tout ce qui touche à l'identité d'un être humain...
Je tenais à le souligner, sans aucun jugement de ma part, mais par soucis de réalité. Les problèmes d'identité sont essentiels voire existentiels...
Bonjour GNU-Tux, c'est tout simplement ce que j'appelle dans mon article "Français né Français.
Vous rappelez ce principe : "le principe d'égalité devant la loi ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes"
Ce principe s'applique aussi bien à la loi actuelle (qui règle différemment des situations différentes) et la loi de Hollande. Le même principe s'applique aux deux lois. Pourquoi donc prétendre que la loi actuelle "contient une scandaleuse inégalité entre les citoyens français" et pas la nouvelle ?
Enfin, vous dites ceci : "La seconde malhonnêteté de la gauche antigouvernementale consiste à comparer le projet de réforme de François Hollande avec ceux d'une partie de la droite ou de l'extrême droite."
Comment expliquez-vous alors que le FN et la droite soient favorables au projet de Hollande si le projet de Hollande n'est pas comparable au projet de la droite ou de l'extrême droite ? C'est tellement "pas comparable" que la droite et l'extrême droite ne voient pas de différence avec leur propre projet.
"Pourquoi donc prétendre que la loi actuelle "contient une scandaleuse inégalité entre les citoyens français" et pas la nouvelle?"
-> Parce que le Conseil constitutionnel le dit:
- sur l'inégalité Français nés Français / Français par acquisition, le Conseil constitutionnel dit bien qu'il y a inégalité, même s'il la valide (sic!) en ce que le terrorisme constitue des faits d'une "gravité toute particulière".
- sur la différence Français mononational / Français plurinational, le Conseil constitutionnel dit bien qu'il y a pas inégalité mais traitement différent de situations juridiquement différentes.
Après, on peut vivre dans un monde parallèle où ça s'appelle inégalité, mais ce n'est juridiquement pas le cas en France...
"La seconde malhonnêteté...":
-> droite et extrême droite ont en effet défendu cette idée depuis les attentats terroristes de cette année, avant qu'elle soit reprise par F. Hollande. Mais ce que je démontre, c'est la différence avec les propositions d'hier de la droite et de l'extrême droite: N. Sarkozy en 2010 et le FN sont davantage dans l'extension des cas de déchéance de nationalité que dans l'extension à tous les Français - dans la limite bien entendu du droit international - de la déchéance de nationalité.
Enfin, le FN se plaît bien entendu aujourd'hui à jeter de l'huile sur le feu dans le débat à gauche: de la discorde chez l'ennemi...
Je ne suis pas d'accord avec votre interprétation de la décision "96-377 DC du 16 juillet 1996".
Elle se trouve à cette adresse : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/1996/96-377-dc/decision-n-96-377-dc-du-16-juillet-1996.10816.html
Il est écrit ceci :
"22. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que dans l'un et l'autre cas la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ; "
C'est exactement le principe que vous avez rappelé. Vous dites que ce principe s'applique à la nouvelle loi de Hollande. Or le Conseil constitutionnel à clairement dit qu'il s'applique aussi à la loi actuelle.
Il n'y a pas de différence entre les deux lois sur cet aspect des choses.
Je réitère donc ma question : Pourquoi donc prétendre que la loi actuelle "contient une scandaleuse inégalité entre les citoyens français" et pas la nouvelle ?
Parce que vous n'êtes pas sur le bon considérant:
"Considérant qu'au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ; que, toutefois, le législateur a pu, compte tenu de l'objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l'autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l'ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d'égalité ; qu'en outre, eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme, cette sanction a pu être prévue sans méconnaître les exigences de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ; "
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