Les "fronts" de Jacques Sapir
24 août 2015
L'économiste Jacques Sapir défend sur son blog l'idée d'une "stratégie de large union" de "l'ensemble des forces qui, aujourd'hui, appellent à sortir de l'euro". Seraient ainsi créés dans les États européens concernées des "Fronts de libération nationale" autour d'un programme économique et social de "salut public", les partis conservant par ailleurs leur "spécificités" sur les autres thématiques.
Concrètement, cette "alliance anti-euro" pourrait donc réunir en France le Front national (l'exclusion de Jean-Marie Le Pen ayant visiblement levé un obstacle aux yeux de Jacques Sapir), le Front de gauche, Debout la France, le Mouvement républicains et citoyen, l'Union populaire républicaine et, s'ils font passer leurs idées avant leur parti, les "frondeurs" du PS ainsi que le dernier carré de gaullistes de l'ex-UMP (Henri Guaino).
Ce nouveau Conseil National de la Résistance ne serait possible qu'à deux conditions, actuellement non réunies.
Première condition: que la question de la zone euro - son maintien ou son démantèlement - devienne celle qui structure le débat politique. Or, la question migratoire risque selon moi malheureusement davantage de s'imposer (inutile de rappeler que sur cette thématique le Front national et le Front de gauche sont aux antipodes).
Seconde condition: que l'alternative à l'euro-libéralisme constitue un point commun suffisamment fort entre ces partis.
C'est évident pour la quasi-totalité d'entre eux, précisément créés autour de la question européenne, inséparable de la question économique (Front de gauche, Debout la France, Mouvement républicains et citoyen, Union populaire républicaine).
C'est moins évident pour le Front national. Certes, l'orientation officielle du FN, incarnée par Marine Le Pen et Florian Philippot, s'inscrirait parfaitement dans cette alliance. Mais il n'en est rien de la ligne (minoritaire ou majoritaire en interne?) portée par Marion Maréchal - Le Pen et l'économiste "maison", anti-keynésien, Bernard Monot. Comme Jean-Marie Le Pen hier, ces derniers défendent en effet à la fois un antilibéralisme externe et un libéralisme interne (lire ma note sur "le FN, l'euro et la politique économique). Une ligne nationale-libérale incompatible avec ceux qui - communistes, socialistes ou gaullistes colbertistes - sont intégralement antilibéraux.
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[Ajout à 12h] Sur le même sujet, je vous invité à lire l'article de l'historien Nicolas Lebourg: "Jacques Sapir, le présent d'une illusion". Nos deux grandes nuances:
- Nicolas Lebourg considère que le FN constitue en réalité une composante "ethnicisée" du bloc socio-politique "euro-libéral". C'est peut-être en effet le cas de la majorité des cadres frontistes (tout au moins dans un volet libéralisme interne), mais le fait est que ce n'est pas vrai de l'actuelle orientation portée par Marine Le Pen et incarnée par Florian Philippot. Je pense donc qu'en l'état actuel des choses le FN s'inscrirait parfaitement dans l'alliance prônée par Jacques Sapir.
- Nicolas Lebourg écrit que "la critique de l'euro-libéralisme du FN frein[e] le transfert de voix de l'électorat conservateur lors des seconds tours". Il a bien entendu parfaitement raison. Mais je suis persuadé, à l'inverse, qu'aux premiers tours la fin de cette critique ferait partir une frange non négligeable de l'électorat populaire. C'est une des impasses électorales du FN: stratégies de premiers et de seconds tours s'opposent.
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[Ajout à 20h] Dans un entretien à Libération, Jacques Sapir revient un peu en arrière:
- "...je ne dis pas qu'il faut faire une alliance maintenant avec le Front national: j'évoque même un possible parti 'issu du FN'. Le Front national peut continuer à évoluer ou pas, c'est cela qui déterminera une éventuelle alliance."
- "...on ne peut plus nier que le FN ait changé ces dernières années. Cela ne veut pas dire que cette mutation soit achevée. Aujourd'hui, l'alliance que je préconise n'est d'ailleurs pas possible, il y aurait trop de divergences. Cela ne veut pas dire qu'elle ne le sera jamais. S'il y a une chose que j'ai apprise, c'est à ne pas insulter l'avenir."
- "...sur l'économie et le social, il est facile de relever des incohérences dans le programme du FN (...) on sent qu'un débat entre deux lignes existe au FN. Il pourrait être keynésien ou libéral, cela se comprendrait, mais on ressent plutôt une certaine indétermination dans leurs choix, qui ne doit rien au hasard et beaucoup à ces divergences."
3 commentaires
En tout cas, il est insupportable de voir que 15 à 20% des électeurs sont plus ou moins neutralisés, et que certains thèmes sont interdits de débat en France (mais pas au Royaume-Uni, au Canada ou au Japon) avec cette diabolisation largement factice du FN.
Je ne sais pas comment la droite qui se prétend républicaine s'est débrouillée pour se laisser amener dans une telle situation, dans les années 1980 et 1990. Très mal sans doute. S'ils ne sont même plus capables de gérer leurs propres intérêts électoraux, que savent-ils faire au juste...?
Merci pour cet article. J'ai repéré une petite faute de frappe "inespérable" au lieu de "inséparable de la question".
Merci à vous, j'ai corrigé cette coquille!
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