Quand Causeur fait cause commune avec les libéraux-libertaires
31 octobre 2013
Causeur a donc publié un "manifeste des 343 salauds contre les loi anti-prostitutions, pour la liberté", intitulé "Touche pas à ma pute!".
Parfois j'aime bien Causeur. Je fus membre (de base) de la Fondation Marc-Bloch avec entre autres Élisabeth Lévy. Un engagement d'hier que je ne renie pas aujourd’hui.
J'apprécie particulièrement les écrits de David Desgouilles, Renaud Chenu, Jérôme Leroy, Marc Cohen et quelques autres plumes plus ou moins régulières de Causer. J'en déteste à l'inverse d'autres (comment des nationaux-républicains peuvent-ils cohabiter dans une même revue avec des racialistes de la Nouvelle Droite?).
Quoi qu'il en soit, comme la rédaction de Causeur je ne suis pas le dernier à dénoncer le politiquement correct. Encore faut-il s'entendre sur cette notion.
Le politiquement correct, c'est pour moi la tendance à ne pas appeler un chat un chat. Ça m'emmerde - pardonnez-moi cet euphémisme - de ne pas pouvoir appeler un vieux une personne âgée (pauvre chanson de Jacques Brel!), un handicapé une personne handicapée, un clandestin un étranger en situation irrégulière (1), de ne pas pouvoir qualifier une personne que je décris de grosse, blanche, chauve, sourde et aveugle si elle est grosse, blanche, chauve, sourde et aveugle, ou de devoir changer les prénoms dans un article afin que Mohammed ou Mamadou devienne Pierre ou Paul (2).
Mais je ne supporte pas non plus la tendance qui consiste, au nom d'un anti-politiquement correct dévoyé, à prendre par principe le contre-pied de tout. Ce n'est pas parce qu'il y a consensus "pour" ou "contre" quelque chose qu'il faudrait mécaniquement, sans réflexion sur la chose concernée, être du coup forcément "contre" ou "pour". L'antiracisme est dominant (personnellement, je crie tant mieux!)? Donc certains se sont mis à qualifier l'antiracisme de "politiquement correct" et à se dire anti-antiracistes, c'est-à-dire racistes quoi qu'ils s'en défendent dans de fumeuses démonstrations.
Or, j'ai un peu l'impression que c'est la même chose avec ce manifeste. Ce dernier se fonde sur une conception matérialiste de la personne humaine (ce qui, loin d'être "politiquement incorrect", est au contraire à la mode chez les bobos à travers la volonté de permettre la gestation pour autrui), doublée en l'espèce d'une marchandisation du corps humain (je te paye donc je te baise). Bref, à force de vouloir être anti-politiquement correct par principe et non en fonction de ses convictions, voilà Causeur qui se trouve pris dans son propre piège en basculant du côté des libéraux-libertaires.
(1) Sans même parler de la problématique des 140 signes sur Twitter: une consœur haut gradée dans un autre journal m'a quasiment traité de raciste parce que j'avais écrit "clandé" dans un tweet!
(2) Je suis ici dans la théorie, car on ne me l'a jamais demandé et j'aurais de toute façon refusé de signer l'article en question; mais d'autres confrères l'ont fait.
8 commentaires
Je te remercie Laurent pour ce compliment. J'ai toujours plaisir à te lire aussi, sache le.
Mais là, je pense que tu plantes. Parce que ce n'est pas par admiration de la marchandisation des corps que ce manifeste a été publié mais par défiance de l'hypocrisie.
Cette proposition de loi organisant une chasse aux clients de prostituées constitue le comble de l'hypocrisie. Alors qu'on sait où sont les proxénètes, qu'ils exploitent au vu et au su de tous.
Mais non, on préfère s'en prendre aux clients. Les signataires en se déclarant solidaires de ces clients céderaient au libéralisme-libertaire ? Plaisanterie ! Ils seraient complice de l'esclavagisme ? Vaste blague ! Si c'est le cas, il faut aussi pénaliser ceux qui regardent les films pornos (les actrices du X sont après tout des victimes consentantes, aussi, non ?) mais aussi ceux qui portent des vêtements fabriqués au Bengladesh par des petites mains esclavagisées.
David, il est tout de même écrit dans ce manifeste « Mais nous considérons que chacun a le droit de vendre librement ses charmes – et même d’aimer ça.» Cette phrase est une justification libérale au sens le plus pur de la prostitution. Je la pense d'ailleurs hypocrite ; je doute que ces gens pensent VRAIMENT que c'est une façon comme une autre de gagner sa vie. Comment réagiraient-ils si leur fille rentrait du collège avec une brochure du centre d'orientation «Comment devenir prostituée» ? Que diraient-ils si elle leur annonçait «je veux être pute, d'ailleurs j'ai commencé à m'entraîner avec les copains de classe pour me faire un peu d'argent de poche, et apparemment je suis plutôt douée» ?
Bien sûr qu'on ne souhaite pas ceci à ses enfants, pas plus qu'on leur souhaite un destin d'actrice X. Bien entendu que ce n'est pas un métier comme un autre. Mais au nom de quoi l'interdire ? Ce qu'il faut interdire, c'est l'exploitation par des trafiquants. Qui, de toute évidence, ne fait pas l'objet d'un zèle particulier.
Effectivement, j'ai toujours eu du mal à comprendre comment un Zemmour pouvait tenir exactement le même discours que les libéraux-libertaires sur ce sujet (sans porter de jugement sur le fond).
Sur les opposants à l'antiracisme qui seraient racistes, je serais curieux que Laurent donne des noms. Il me semble que la plupart de ces opposants le sont non pas à l'antiracisme en tant que tel, mais à ses dérives qui n'ont rien à voir avec le principe de l'antiracisme (cf. Finkielkraut par exemple).
Antoine, vous citez la phrase "Mais nous considérons que chacun a le droit de vendre librement ses charmes – et même d’aimer ça." Comme vous le notez, c'est une justification libérale et au-delà, une rationalisation de prédateur. Un consentement de surface leur suffit, et à défaut, pourvu qu'ils échappent à la justice, pas de consentement du tout leur va tout aussi bien.
Pour preuve, voir une étude de la psy américaine Melissa Farley intitulée "Comparing Sex Buyers with Men Who Don’t Buy Sex" (trouvable sur Internet) sur les clients de prostituées. Quand on leur explique que les filles sont des esclaves, qu'elles n'ont pas choisi de se prostituer, cela ne change rien à au comportement de la plupart d'entre eux envers elles : ils les "utilisent" sexuellement quand même. Dans ces conditions, chanter les louanges du consentement ou pire, de la "liberté de vendre son corps" relève d'une hypocrisie sordide.
Le libéralisme libertaire est décidément une posture idéologique de petit narcissique post-ado rétracté sur ses petits plaisirs, sans dignité et sans envergure humaine.
"Antoine, vous citez la phrase "Mais nous considérons que chacun a le droit de vendre librement ses charmes – et même d’aimer ça." Comme vous le notez, c'est une justification libérale et au-delà, une rationalisation de prédateur. Un consentement de surface leur suffit, et à défaut, pourvu qu'ils échappent à la justice, pas de consentement du tout leur va tout aussi bien.
Pour preuve, voir une étude de la psy américaine Melissa Farley"
Cela peut être une rationalisation de prédateur, mais ne l'est pas forcément.
Le rapport d'information de l'assemblée nationale indique par exemple :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3334.asp
"La prostitution par Internet fait, elle aussi, l’objet d’évaluations chiffrées, même si celles-ci sont délicates à réaliser. En effet, une même annonce, déposée sur Internet, peut correspondre à plusieurs personnes prostituées. C’est par exemple le cas des annonces gérées par les réseaux de prostitution, qui ne correspondent pas à une seule et même personne. À l’inverse, une personne prostituée peut déposer son annonce sur plusieurs sites de rencontres.
Des estimations ont cependant pu être réalisées. Ainsi, d’après M. Laurent Mélito (47), sociologue, qui réalise actuellement des recherches sur l’escorting, il existerait près de 10 000 annonces distinctes sur Internet, à destination de la France, qui apparaissent sur cinq à six sites dédiés. Parmi ces annonces, seules 4 000 seraient le fait de personnes prostituées indépendantes, n’exerçant pas par le biais d’« agences »."
et il y a régulièrement des témoignages de personnes "volontaires" :
http://www.telegraph.co.uk/journalists/dr-brooke-magnanti/
http://www.theguardian.com/theguardian/2004/mar/25/features11.g22
L'étude que vous citez est biaisée : d'une part, par son financement par une organisation prohibitionniste plutôt que par une université, comme expliqué dans son préambule. D'autre part, par sa méthodologie : les personnes interrogées doivent répondre à une annonce, elles sont interviewées...cela induit une sélection chez les 'clients', qui ne retient que ceux qui n'ont pas honte de leur activité et sont même volontaires pour en parler.
Un article critiquant les études des organisation abolitionnistes américaines :
http://cybersolidaires.typepad.com/The-mythology-of-prostitution.pdf
Par ailleurs, le point de vue des signataires de la pétition de Causeur n'est pas forcément libéral libertaire, même si certains (ex animateur de C+ par exemple) font sans doute partie de ce courant.
Il peut y avoir une part d'agacement, indépendamment du sujet, contre les organisations militantes qui cherchent à imposer un point de vue, parfois dans le cadre d'un plan de carrière. Ces organisations font pleinement partie du microcosme politique et médiatique actuel, qui lui est généralement libéral libertaire. Cela se rattache à l'orientation générale de Causeur.
Quoi qu'il en soit, il semble que pour l'instant l'impression faite par cette pétition n'est pas très bon.
David, je suis plutôt d'accord avec ce que tu dis. Mais ce manifeste ne décrit pas la prostitution comme une part d'ombre qu'il serait sans doute vain de vouloir faire disparaître, il la revendique sur un mode libéral-libertaire, comme l'atteste la phrase que je cite. C'est elle qui me semble en contradiction totale avec la ligne de Zemmour ou d'Élisabeth Lévy, et qui me donne l'impression que ces gens sont passés de la défense d'une idéologie et d'une vision du monde au plaisir un peu potache de la posture néo-réac qui choque le bourgeois : des enfants turbulents qui disent tout et son contraire pourvu que ça exaspère les grandes personnes, en quelque sorte.
Antoine (pardon de m'adresser à vous pour la deuxième fois alors que vous répondez à un autre), votre analyse de Zemmour, dont vous dites que la prise de position en faveur de la prostitution contredit sa ligne générale, est erronée. Ce type a toujours exprimé la plus misogynie la plus crasse. Voir, par exemple, ses affirmations selon lesquelles les femmes "sont attirées par le pouvoir, la violence et les dictateurs".
http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/cafouillage/42-cafouillage/916-pour-zemmour-la-violence-attire-les-femmes
"Toutes des s... ", c'est l'esprit typique d'un micheton (si j'ose ainsi m'exprimer).
Je ne sais pas ce qui a pris à Elisabeth Lévy, en revanche.
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