Le Front de Gauche est-il d'extrême gauche?
13 juin 2012
Jean-François Copé, secrétaire général de l'UMP, ne cesse depuis plusieurs semaines de dénoncer le "scandale de l'alliance du PS avec l'extrême gauche de Mélenchon".
Reste à savoir si le Front de Gauche doit effectivement être classé à l'extrême gauche et non à gauche. Je vous invite à lire à ce sujet dans La Croix les points de vue de l'historien Jérôme Grondeux et du politologue Laurent Bouvet. Quelques compléments.
Qu'est-ce que le Front de Gauche ?
Le Front de Gauche n'est pas un parti mais une coalition.
Ses deux composantes majoritaires viennent de la gauche de gouvernement :
- Le Parti de Gauche, créé en 2008 par l'ancien ministre Jean-Luc Mélenchon après son départ du PS. On peut y ajouter République et Socialisme, scission du MRC chevènementiste.
- Le PCF, dont la dernière participation gouvernementale remonte à la "gauche plurielle" entre 1997 et 2002. On peut y ajouter la Fédération pour une Alternative Sociale et Écologique (FASE) de Clémentine Autain, où l'on retrouve des dissidents du PCF (les députés François Asensi, Patrick Braouezec et Jacqueline Fraysse).
Or, aucun historien ou politologue ne classe le PCF à l'extrême gauche. Avant son déclin, les uns et les autres distinguaient d'ailleurs au sein de la gauche de gouvernement la "gauche communiste" et la "gauche non communiste".
Ceci posé, il est vrai que trois composantes, mais minoritaires, du Front de Gauche viennent effectivement de l'extrême gauche :
- La Gauche Unitaire (22 candidats seulement aux élections législatives), scission du NPA en 2009.
- Convergences et Alternative (2 candidats aux élections législatives), autre scission du NPA mais en 2011.
- Le Parti Communiste des Ouvriers de France (PCOF) d'obédience maoïste.
Le PS fait-il alliance avec l'extrême gauche ?
Le PS a déjà conclu des accords locaux avec l'extrême gauche. Ce fut le cas aux élections municipales de 2008, où furent élus au premier ou au second tour quelques conseilles municipaux de Lutte Ouvrière sur des listes d'union de la gauche.
Il s'agit cependant d'exceptions : ni le NPA ni Lutte Ouvrière ne participent en règle général au système d'alliance de la gauche de gouvernement, dominé par le PS et auquel participent le Front de Gauche, Europe Écologie - Les Verts, le PRG et le MRC (cette participation n'interdisant éventuellement pas l'autonomie au premier tour). De même que le Front National ne participe pas au système d'alliance de la droite de gouvernement dominé par l'UMP. Bref, les deux premiers appartiennent à l'extrême gauche, et le second à l'extrême droite.
Il est vrai qu'avec une extrême gauche à 2%, la problématique n'est pas la même pour le PS que pour l'UMP avec une extrême droite à 18%.
Pourquoi l'UMP fait-il croire que le Front de Gauche est d'extrême gauche ?
Avancer l'idée qu'une alliance du PS avec le Front de Gauche serait aussi condamnable qu'une alliance de l'UMP avec le Front National peut avoir deux conséquences opposées pour la droite.
Soit en rester – comme aujourd'hui – à la condamnation morale d'une gauche qui s'allie depuis les élections législatives de 1967 (FGDS-PCF à l'époque) avec cette extrême gauche supposée.
Soit – éventuellement demain – déclarer vouloir en tirer les conséquences et, symétriquement, s'allier avec l'extrême droite.
L'avenir dira, peut-être dès les élections municipales et territoriales de 2014, si le but de cette contrevérité aura été ou non de préparer le terrain à une alliance entre la droite et l'extrême droite.
21 commentaires
Le communisme a toujours été une idéologie d'extrême gauche, nettement plus ancré je le reconnais jusqu'au début des années 80 mais le vrai nom du communisme c'est bien "socialisme scientifique révolutionnaire" donc on ne peut pas dire qu'un parti défendant une doctrine "révolutionnaire" puisse être classé parmi les modérés. Donc oui historiquement le parti communiste est un parti d'extrême gauche.
Le communisme a toujours été une idéologie d'extrême gauche, nettement plus ancré je le reconnais jusqu'au début des années 80 mais le vrai nom du communisme c'est bien "socialisme scientifique révolutionnaire" donc on ne peut pas dire qu'un parti défendant une doctrine "révolutionnaire" puisse être classé parmi les modérés. Donc oui historiquement le parti communiste est un parti d'extrême gauche.
La définition du terme extrême droite / extrême gauche semble plutôt floue, comme le dit L. Bouvet dans l'article de la Croix.
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Le terme d'extrême droite utilisé pour le FN sert d'ailleurs, selon les personnes qui parlent, à diaboliser certaines notions par association : le FN en parle, or le FN est d'extrême droite, et l'extrême droite c'était aussi Hitler. Ce qui est un raisonnement qui n'est pas très sérieux, et qui nuit sans doute au débat public.
Lorsque Sarkozy parle d'identité nationale, ou de l'utilité des frontières, ou même lorsque Guéant parle (devant l'UNI) de la défense d'un mode de vie, dans des termes peut-être maladroits, des polémistes utilisent le terme d'extrême droite, et sont pris au sérieux par une frange non négligeable de l'électorat.
Inversement, les discours violemment hostiles au monde économique, la couverture de la presse peut-être trop conciliante avec les émeutiers de 2005 (ce que la presse anglaise a beaucoup moins fait en 2011, lors des émeutes de Londres) sont-ils moins nuisibles pour la paix sociale que les discours du FN ?
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Bref, que mettez-vous exactement derrière le terme extrême-droite, et en quoi le FN est-il plus dangereux pour la démocratie que le Front de gauche ?
Pourquoi peut-on avoir une telle hostilité sur le débat sur l'identité nationale, ou la création d'un musée de l'histoire de France, ou la reconnaissance des quelques aspects positifs de la colonisation (architecture d'Alger, valorisation de la Mitidja, systèmes scolaires et juridiques encore en vigueur, aspects sanitaires...) et accepter comme naturels les mouvements qui se déclarent Indigènes de la République ou descendants d'esclaves ?
Car c'est bien là que sont les questions, pas dans des querelles de terminologie.
Le leader du Front de Gauche, Mélenchon, a dit que Cuba n'était pas une dictature et a quitté le Parlement européen pour protester lorsque ce dernier a remis un prix à un dissident cubain.
Alors oui, quand on soutient une dictature d'extrême-gauche, on est d'extrême-gauche. Point final.
Il était temps qu'un journaliste pas vraiment à gauche le dise, parce que oui on apprend ça en première année de science po ! MERCI !
@Sébastien Nantz
Jean-Luc Mélenchon n'est ni pour remplacer la démocratie libérale par la dictature du prolétariat (première phase dite "socialiste" du marxisme) ni pour la socialisation de l'ensemble des moyens de production.
Bref, il n'est pas marxiste mais, en analysant son programme pour l'élection présidentielle ("L'humain d'abord"), simplement social-démocrate et keynésien.
Le problème étant qu'en France le mot libéral est tellement connoté péjorativement – ce qui n'est pas le cas dans d'autres États européens – que l'étiquette "sociale-démocrate" est déjà utilisée, de façon erronée, pour qualifier les sociaux-libéraux, c'est-à-dire la majorité du PS, qui, dans les faits (le discours étant plus critique), ne remet pas en cause l'orientation néolibérale et monétariste de l'Union européenne.
@pb: je me suis déjà exprimé sur ce blog à propos de plusieurs questions que vous soulevez, et m'excuse de ne pas avoir le temps de tout reprendre maintenant.
@Benax: et quand la droite soutenait des dictatures d'extrême droite dans le contexte de la guerre froide, elle était d'extrême droite?...
Par ailleurs, demandez-vous pourquoi avant ces derniers mois l'UMP ne trouvait rien à redire à l'alliance entre le PS et le PCF.
@camille: ce n'est en effet pas une question d'opinion politique mais simplement d'honnêteté intellectuelle.
Soit Laurent mais dans ce cas la et pour être intellectuellement honnête, il est totalement faux de classer le FN comme étant un parti "fasciste" ! Le fascisme est une idéologie née à gauche fondée par le socialiste italien Mussolini et développée en France notamment par le socialiste Marcel Déat et le communiste Jacques Doriot. Le FN est héritier de la droite ultra-conservatrice des années 30. Et pourtant qui s'offusque d'entendre le FN comme étant défini de "fasciste" ? Personne c'est même de bon ton et si jamais vous dites "non ce n'est pas un parti fasciste" c'est que forcément vous êtes pro-FN. Ce qui n'est pas mon cas mais je n'aime pas que les vérités historiques soient déformées ! Tout comme placer un mouvement gaulliste systématiquement à droite, je ne pense pas que les Malraux, Chaban, Vallon, Capitant auraient accepté cela, tout comme moi je ne suis pas de droite et me voir classer à droite ça m'hérisse les cheveux de la tête lol
M. de Boissieu n'a jamais, il me semble, qualifié le FN de parti "fasciste". Qu'il ai existé et existe encore des éléments "fascisants" au FN (et je ne pense pas que M. de Boissieu se soit intéressé à ce phénomène dans ses publications sur ce blog) ne permet pas non plus de qualifier ce parti de "fasciste".
En revanche, suivant les critères objectifs utilisés par M. de Boissieu, qui reposent sur les classifications des politistes depuis plusieurs décennies et sur l'examen des jeux d'alliance, le FN est bel et bien un parti d'extrême-droite.
Mais où ai-je mis que je parlais directement à Laurent concernant le FN ? Je parle de la classification faite par beaucoup de monde, je ne visais pas Laurent en particulier dont ses analyses politiques sont une référence pour moi.
Pour le FN j'ai bien parlé du terme "fasciste" pas de celui d'"extrême droite" que je ne remets nullement en cause au contraire, je démontre que le fascisme et l'extrême droite ne sont pas historiquement issus de la même famille.
Le fascisme est né de trois théoriciens dont le plus charismatique était un cadre local (avec une envergure nationale en devenir) du PSI, mais les deux autres étaient Giovanni Gentile, qui était à l'origine un libéral conservateur classique, et Gabriele d'Annunzio, un poète nationaliste "esthétique" fréquentant dès avant 1914 l'extrême-droite italienne de l'époque (et s'est éloigné du fascisme au moment où la conception de l'avant-garde élitiste voire aristocratique a été abandonnée au profit de l'état-parti organique populaire de masse). Dire que le fascisme "vient de la gauche" n'a de sens que si on se réfère au seul Mussolini.
En fait, dans les trois cas, c'est la première guerre mondiale qui a été déterminante. Et dans l'étude d'Emillio Gentile (historien, à ne pas confondre à Giovanni Gentile) sur le mouvement armé des Faisceaux de Guerre, qui donna son nom au fascisme et en fut l'un des premiers mouvements organisés, il apparaît très clairement que les premiers fascistes sont de tous les horizons, depuis l'extrême-gauche révolutionnaire jusqu'à l'extrême-droite antiparlementaire en passant par les socialistes, libéraux et conservateurs partisans du régime parlementaire. La convergence de ces militants issus de tradition différentes est largement due à la première guerre mondiale, véritable traumatisme de la jeunesse italienne, qui a l'impression d'avoir été flouée de l'honneur du combat par la pusillanimité de dirigeants peureux et opportunistes, et de s'être gravement sacrifiée sans jamais avoir obtenu de récompense en retour.
Toujours est-il que lorsque le Parti National-Fasciste s'est lancé dans la politique, ça a été d'abord au travers d'actions de violence contre la gauche, et ensuite dans les assemblées comme force (marginale) d'extrême-droite, ce dès 1919. Le fascisme est donc bien un courant qui se situe à l'extrême-droite, sans pour autant que tous les courants d'extrême-droite soient fascistes.
Paradoxalement, tout comme le gaullisme, je ne pense pas qu'on puisse identifier le fascisme sur l'échiquier politique. D'ailleurs dans le nom des partis fascistes ont y retrouvait souvent les mots "socialiste", "ouvrier" ou "populaire".
Le fascisme n'est pas une idéologie d'extrême droite, c'est une idéologie particulière qui est inclassable.
Avec ce type de raisonnement, aucune idéologie n'est jamais classifiable sur un éventail géographique. J'observe empiriquement que tous les partis qui se réclamaient et se réclament aujourd'hui du fascisme étaient et sont d'extrême-droite, j'en déduis donc que le fascisme est une idéologie qui se place à l'extrême-droite, sans porter plus de jugement quant aux discours, références, programmes, etc. des partis fascistes et fascisants.
Le fascisme et la gauche. Vaste sujet sur lequel j'ai réfléchi pendant des années (sans rire).
Tout dépend, à la limite de la définition du fascisme.
* Dans une définition large, il y existe des fascismes sans filiation ou élément de gauche (Franco, Salazar, Pinochet...).
* Dans une définition plus stricte (le fascisme italien et un certain nombre de ses modèles), la composante de gauche est essentielle même si elle n'est pas la seule. On le retrouve bien sûr dans le fascisme italien (Brathz l'a rappelé), mais aussi chez les fascistes français déjà cités (Déat, Doriot, mais aussi le grand ancêtre Georges Valois, cf. Sternhell sur ce sujet même si on peut être en désaccord avec sa thèse globale sur le fascisme français), même dans certains composante minoritaires de la Phalange en Espagne, dans le péronisme en Argentine, dans le fascisme de Mosley en Grande-Bretagne, etc.
Et la composante de gauche du fascisme n'est pas accessoire - elle est pafois prédominante -, ni accidentelle - c'est bien un raisonnement concernant la possibilité d'avènement d'une forme de socialisme qui a mené avant la 2nde guerre mondiale nombre de socialistes vers les formes de fascisme (Sorel, Valois, une partie des néo-socialistes français et Déat en France ; Henri de Man, le leader de Parti socialiste belge POB) ; le grand supporter du New Deal américain, le père Charles Coughlin, etc.).
Le glissement de la gauche au fascisme a de surcroît été facilité par le fait que les notions d'autorité, de nationalisme, ainsi que l'antisémitisme, étaient présents chez nombre de grands socialistes du XIXe siècle.
Mais il y aurait tant à dire sur le sujet...
Vos commentaires historiques sur fascisme de gauche et de droite sont passionnants, mais ce qui m'intéresse, c'est de connaître ce que sont aujourd'hui lesidées force des héritiers de ces mouvements : leurs 'pères' les reconnaîtraient ils ?
Comment définir par exemple, en 2012, le Front de Gauche et le Front National au plan idéologique, et que signifierait un changement de nom pour ce dernier : tactique ou évolution ? Il y aurait certainement une frange résistante au changement et peut être une scission.
Pour le FN :
* Il n'a aujourd'hui, dans son idéologie officielle comme dans celle de la plupart de ses cadres, aucun lien avec le fascisme historique. Même dans sa version "Marine", le FN est essentiellement un mélange de national-conservatisme (bourgeoisie réac anti-68, poujadisme du petit propriétaire...) et de national-populisme (le "petit blanc", un Etat fort pour protéger les faibles contre la finance et le capitalisme cosmopolite...). En particulier, il ne prône pas de bouleversement institutionnel, pouvant parfaitement se couler dans le cadre républicain et démocratique, ce qui le distingue des fascismes historiques (totalitarisme, homme nouveau, etc.).
* Celà dit, l'ostracisme face au FN se justfie cependant en raison 1) De son historique (fondation par une poignée d'ancien collabos et nostalgiques de l'OAS). 2) De ses liens passés voire présents avec des groupuscules violents. 3) Du racisme latent d'un certain nombre de cadres. 4) De ses gènes idéologiques qui peuvent toujours conduire à des dérives graves, etc. Il n'y a qu'a lire le blog françoisdesouche, qui est un peu le blog officieux du FN pour constater la rapidité à laquelle peuvent aller les dérives racistes et violentes.
Pour le Front de gauche, ou au moins pour sa composante Parti communiste français, le constat est un peu parallèle :
* Son idéologie est aujourd'hui celle d'un socialisme réformiste plus à gauche que le PS, mais bien éloigné du marxisme et de la Révolution.
* Cependant, l'ostracisme face au PCF (et donc au Front de gauche dont il constitue la colonne vertébrale) se justifie en raison de son attitude historique : stalinisme, défense du totalitarisme soviétique et de toutes les dictatures pro-soviétiques, politique de "casse" 'injures, calomnie, destruction de la vie privée des dissidents du PCF, etc.
Il est aberrant qu'il existe encore aujourd'hui un "Parti communiste français" héritier du PCF historique. C'est comme s'il y avait aujourd'hui un Parti fasciste français héritier direct du RNP de Déat ou du PPF de Doriot !
le FN mariniste est moins éloigné du fascisme originel que le fn jean-marinien puisque le programme libéral a été remplacé par un programme étatiste,, en somme social-nationaliste, au sens strict du terme (d'ailleurs le nazisme était social lui aussi mais certainement pas nationaliste mais chauviniste-impérialiste, puisque, contrairement à la définition de de gaulle, il ne respectait pas l'indépendance de TOUTES les nations, selon la théorie du principe des nationalités en vogue sous napoléon III)
Sur "l'attitude historique" du PCF :
- staliniste : oui, jusqu'à la déstalinisation
- défense du totalitarisme soviétique : le "modèle soviétique" n'a jamais été défendu par le PCF après la Libération (avant, c'est un peu plus compliqué)
- défense de toutes les dictatures pro-soviétiques : oui et non. Oui : dans la mesure où le PCF défendait géopolitiquement les états du "monde communiste". Non : dans la mesure où le PCF était très explicitement défavorable à la politique menée dans les pays communistes (soutien systématique à tous les mouvements réformistes, ligne "eurocommuniste" conjointement avec les PCI et PCE contre Moscou, appel officiel à instaurer le respect des droits individuels et le pluralisme politique en URSS et dans les pays d'Europe de l'est, opposition au principe de "souveraineté limitée" de Brejnev, etc., autant d'initiatives et de positions bien réelles mais peu connues car occultées par les déclarations de Marchais sur la réussite soviétique dans la course à l'espace en 1974, sur l'invasion de l'Afghanistan en 1981, sur le bilan des pays socialistes en 1989, notamment)
- politique de "casse" des dissidents : une politique regrettable, mais qui concerne presque toutes les formations politiques des années 1960, 1970 et même 1980...
"staliniste jusqu'à la déstalinisation" : la belle excuse!
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