Contre la proportionnelle!
20 février 2012
Avec le ralliement, dimanche 19 février, de Nicolas Sarkozy, les six candidats à l'élection présidentielle qui se détachent dans les sondages d'intentions de vote sont désormais tous favorables pour les élections législatives à une dose (plus ou moins forte) de proportionnelle, voire à la proportionnelle intégrale (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly).
À titre personnel, j'y demeure opposé.
Un mode de scrutin doit répondre à deux exigences:
- permettre de dégager d'emblée une majorité parlementaire
- permettre l'expression du pluralisme des opinions politiques
La solution résulterait donc dans un mode de scrutin qui mixte les deux. C'est ce que proposent Nicolas Sarkozy (10% des députés élus à la proportionnelle), François Hollande (sans autre précision dans ses engagements, mais d'après Martine Aubry "entre 15 et 20% des députés avec au moins 100 sièges à la proportionnelle") et François Bayrou (50% des députés).
[Ajout 21/02: François Bayrou s'est finalement déclaré dans l'émission "Parole de candidat", lundi soir, sur TF1, pour un quart des députés élu à la proportionnelle: "Je suis pour une réduction drastique du nombre de députés: 400" avec "300 au mode de scrutin classique et 100 à la proportionnelle"; "Je suis pour qu’il y ait 25% de sièges à la proportionnelle" mais "qu'une majorité soit garantie: si la coalition en tête n'a pas la majorité, on lui donne, sur les 100 sièges, les sièges nécessaires pour avoir la majorité")]
Or, je n'y suis pas favorable, car tous les députés ne seraient plus élus de la même façon.
En 2007, François Bayrou avait d'ailleurs théorisé cette différence: "Je propose d’attribuer 50% des sièges par circonscription – des députés qui représentent les territoires; et 50% des sièges à la proportionnelle par liste nationale, comme en Allemagne (1). Ainsi, la réalité territoriale de la nation et sa réalité politique, sont-elles représentées à égalité."
François Bayrou est un girondin, il est donc cohérent. Mais si, dans la tradition républicaine jacobine française, on considère comme moi que les députés représentent chacun la nation tout entière (quel que soit son territoire technique d'élection (2)), on ne peut l'accepter.
Dès lors, quelle solution?
Je ne suis pas loin de penser, comme en son temps Lionel Jospin, que le Sénat est "une anomalie parmi les démocraties". Il n'assure d'ailleurs que fictivement la représentation des collectivités territoriales de la République.
Je verrais donc bien une nouvelle répartition des rôles entre les deux assemblées:
- L'Assemblée nationale, au sein de laquelle doit émerger une majorité stable et cohérente, élue au scrutin uninominal majoritaire à deux tours voire plutôt à un seul tour. L'Assemblée nationale conserverait le dernier mot en cas de désaccord avec le Sénat.
- Le Sénat, au sein duquel seraient représentés tous les courants significatifs de notre vie politique (seuil de 5% voire plutôt de 3% des suffrages exprimés), élu à la proportionnelle sur une liste nationale à partir des résultats nationaux du premier tour (ou du tour unique) de l'élection des députés.
(ce que cela aurait donné depuis 1988: https://www.france-politique.fr/assemblee-nationale-propo...)
Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental serait transformé en Conseil territorial, économique, social et environnemental. Lui serait obligatoirement soumis pour avis tout texte inscrit à l'ordre du jour des assemblées parlementaires ayant soit pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales soit un caractère économique, social ou environnemental.
Enfin, un autre argument s'oppose selon moi à la proportionnelle intégrale.
Dans son discours, Nicolas Sarkozy a affirmé que l'actuel mode de scrutin, non seulement "tient à l’écart du Parlement de grands courants de notre vie politique", mais aussi "pousse en définitive aux manœuvres d'appareils": "Ce qui s'est passé avec le nucléaire, c'est tout simple: un courant politique, pour avoir des sièges, négocie avec un autre courant politique sur le tapis vert. Parce que ce courant politique devient prisonnier de la formation la plus grande au seul prétexte que ce courant politique, seul, ne peut avoir un seul siège."
Certes, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours pousse à la bipolarisation, écartant les troisièmes forces, notamment le centre et l'extrême droite (l'exemple d'Europe Écologie - Les Verts est en revanche très mal choisi, puisque ce parti a volontairement opté en 1993 pour l'alliance à gauche).
Mais, en tant que citoyen, je préfère, moi, que ces tractations s'effectuent a posteriori, avant le vote,. Ce qui permet aux Français de voter en connaissance de cause. Sinon, ces tractations se déroulent après l'élection, dans le dos des électeurs, afin de trouver a posteriori une majorité. Ce qui est davantage démocratiquement discutable et conduirait à un retour du régime des partis, potentiellement instable en contexte pluraliste français (puisque la majorité dépend d'une coalition non électorale).
(1) Ce qui est faux. En Allemagne, chaque électeur dispose bien de deux voix: une pour un mandat uninominal (majoritaire) et l'autre pour un mandat de liste (proportionnel). Mais c'est la voix proportionnelle qui détermine la répartition des sièges entre les partis politiques, ce qui équivaut donc en réalité à de la proportionnelle intégrale.
(2) Seule exception: les futurs députés des Français de l'étranger, puisque la Constitution dispose que "les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale". Je ne m'explique toujours pas que le Conseil constitutionnel n'ait pas censuré cette disposition inique.
18 commentaires
bonjour,
nous sommes bien d'accord, on ne peut pas assurer la représentation exacte de l'opinion publique, mais peut-on parler de représentation démocratiquement indiscutable quand un parti (le Front National) qui pèse entre 15 et 20 % n'a aucun représentant au parlement, et que parallèlement, un parti (le Parti Communiste) qui ne rassemble que de 2 à 5% des voix possède un groupe parlementaire à l'Assemblée Nationale ?
Tant qu'on feindra d'ignorer cette iniquité, la légitimité des élus sera de moins en moins indiscutable...
En 2007, avec la proportionnelle intégrale le FN aurait eu entre 5 (listes départementales) ou zéro (liste nationale avec seuil de 5% des suffrages exprimés) député(s) - juxtapositions effectuées à l'époque par Le Monde. Bref, ce n'est pas une garantie pour lui d'être représenté au Parlement!
Quoi qu'il en soit, dans mon système il devrait pouvoir l'être au nouveau Sénat...
Quant au parallèle entre le FN d'une part, le PCF (ou EELV ou le PRG) d'autre part, c'est juste une question d'alliance politique (en l'occurrence avec le PS)!
de toutes facons, "un peu" de proportionnel, ca ne veut rien dire, dans le contexte français. Bien d'accord avec vous.
Je ne suis pas d'accord sur ce principe de "majorité claire" qui est contraire à la constitution qui stipule que "tout mandat impératif est nul".
Et si les députés n'existent que pour obéir, autant les supprimer.
Je crois qu'en définitive, il faut faire preuve de pragmatisme et combiner la justice et un parlementarisme minimal en distribuant 100 sièges de députés à la proport. De cette façon, tout parti dépassant 5% pourrait avoir un groupe. Ce serait de meilleure démocratie, Bayrou a raison.
En ce qui concerne F. Bayrou, le fait qu'il demande qu'une minorité seulement des députés soit élue à la proportionnelle n'est pas nouveau. Pour ma part, je ne l'avais jamais entendu parler de 50%.
il faut reduire le nombre de deputes a 400
cordialement
@ Thizy : pourquoi 400 ? Et pourquoi pas 300, 500 ou 512,23 ?...
@ Yech'Mad : la différence entre le PCF et le FN (en dehors de l'idéologie diamétralement opposée), c'est que dans un second tour, le PCF rallie à lui des électeurs de la gauche non communiste (socialistes, verts, radicaux) tandis que le FN ne rallie quasiment personne (et c'est tant mieux !).
L'existence d'un groupe PCF à l'Assemblée est donc loin d'être usurpée comme vous le laissez entendre ! Et, pour info, les candidats communistes et Front de Gauche ont rassemblé 6,3 % des voix aux Européennes et plus de 10 % aux cantonales donc plus que les 2 à 5 % que vous leur attribuez.
@ Laurent de Boissieu : ce n'est pas la prise de position de Sarkozy sur la proportionnelle qui a fait évoluer les positions des autres forces en présence ! Le PCF et le Front de gauche sont favorables à la Proportionnelle depuis toujours.
@Hervé Torchet: outre le fait que cela ne répond pas à mon objection des députés qui ne seront plus tous élus de la même façon, il y a une différence énorme entre mandat impératif et blanc-seing: je veux au moins savoir avec qui va gouverner (ou pas, s'il est dans l'opposition) le parti pour lequel je vote! Le petit parti marginal mais charnière qui fait la pluie et le beau temps, non merci, on a déjà donné...
@thizy: je n'ai rien contre réduire le nombre de députés. Il faut juste avoir en tête que cela augmente la taille des circos, mais pourquoi pas, ça ne me choquerait pas!
@Solidaire 27: je sous-entendais nullement une évolution des autres partis après la déclaration de Nicolas Sarkozy! D'autant plus que seul François Bayrou a évolué sur ce sujet.
@ Laurent : j'avais bien compris qu'il s'agissait là d'une tournure de phrase ambigüe plus qu'un avis.
J'ai sauté sur l'occasion pour rappeler que le débat ne date pas d'hier.
Là-dessus, je pourrais suivre vos prémisses mais pas vos conclusions. Ce que vous critiquez me semble être une conséquence directe du système partisan.
Non pas le "régime des partis" fustigé par de Gaulle, mais l'organisation, au sein du système parlementaire, de factions, qui n'ont été que relativement récemment (les années 1890 pour la gauche, les années 1920 pour la droite) reliés aux partis politiques.
Or, sur ce point-là, force est de constater que la Constitution de 1958, loin de contrer cette tendance des petits arrangements de groupes, l'a renforcée en instaurant un "parlementarisme rationalisé", certes pratique pour définir un cadre relativement strict des protocoles en vigueur dans les assemblées, mais qui n'a fait que sanctuariser le fonctionnement des assemblées en factions, avec la "discipline" que cela impose, et qui s'impose souvent aux députés eux-mêmes, qui deviennent, tout autant que représentants de la Nation, représentants de leur faction.
Un régime d'assemblée sans groupes parlementaires ni distinction nette "majorité"/"opposition" permettrait certes moins de marges de manœuvre à l'exécutif, qui ne serait pas assuré de pouvoir s'appuyer sur une majorité des députés pour 90% de ses décisions, mais contribuerait à empêcher les manœuvres d'appareils.
Reste à savoir si cela pourrait être compatible avec un scrutin à la proportionnelle.
Je reste pour ma part convaincu qu'il faut que les institutions rendent compte de trois phénomènes :
- les impacts nationaux de mouvements politiques
- les implantations locales de mouvements politiques
- les orientations générales des "forces vives de la Nation"
Cela impliquerait trois chambres :
- une élue à la proportionnelle par listes, pas nécessairement sur une circonscription unique nationale
- une élue par circonscriptions uninominales
- une élue par un collège à déterminer, par exemple en fusionnant en un collège unique ceux du Sénat et du Conseil Économique, Social et Environnemental
Il faut reprendre la réforme du Sénat ce qui fût la cause du départ du Général par sa transformation en chambre élue à la proportionnelle intégrale au niveau national pour que toutes les sensibilités politiques de notre pays soient, enfin, représentées. Telle est la position de la Nouvelle action royaliste que j'ai exposé aussi sur le blog de Laurent Pinsolle qui a recueilli son consentement.
@cording: j'ignorais qu'il s'agissait (également) de la position de la NAR, mais c'est exactement ce que je préconise dans ma note...
Je comprends votre réticence envers la proportionnelle. Étant Belge, je vis dans un État qui pratique ce type de système.
En effet, la majoritaire permet de dégager une majorité claire, sans équivoque et dans un temps relativement court (je vous rappelle qu'il a fallu plus d'un an et demi pour la Belgique même si cela ne tient pas uniquement au système électif).
J'opterais davantage pour un système mixte: le premier parti aurait 50% des sièges et le reste des sièges seraient distribués à la proportionnelles entre tous les partis qui auraient atteint la barre des 5%.
Cela permettrait de dégager une majorité claire et en même temps de donner une représentation réelle du climat partisan
Qu'en pensez-vous?
C'est le système que nous avons en France pour les élections municipales (communes de plus de 3 500 habitants). Pourquoi pas, mais est-ce applicable sur une circonscription nationale (donc avec listes nationales)?
Avec des nuances, mais je note qu'il y a un certain nombre de candidats pour:
François Bayrou
- Un scrutin qui combine vote uninominal majoritaire et scrutin proportionnel de liste
François Hollande
- Une part de proportionnelle à l’Assemblée nationale
Eva Joly
- Généralisation de la proportionnelle à tous les scrutins
Marine Le Pen
- Voter une loi organique pour instaurer le scrutin proportionnel à toutes les élections, nationales ou locales, directes ou indirectes
Patrick Lozes
- Instillation d’une dose de proportionnelle aux élections législatives et locales
Jean-Luc Melenchon
- Rétablissement de la proportionnelle à toutes les élections
Source: http://bensoire.free.fr/2012/comparatif.php?mt=institutions&st=reforme%20de%20l'etat
Ne pensez vous pas, que de nos jours, l'éparpillement des idées politique, à travers divers courant, soit un danger pour notre pays ?
Je pense que la bipolarité a du bon : Les 2 partis proposants les 2 meilleurs alternatives, ou en tout cas les plus semblables, doivent réunir la majorité de la nation autour d'eux.
Cela n'empêche pas l'existence d'autres partis, qui peuvent apporter des idées importantes
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