Sarkozy et De Gaulle: deux visions différentes de l'usage du référendum
10 février 2012
Que propose Nicolas Sarkozy?
Dans un entretien au Figaro Magazine, Nicolas Sarkozy envisage, s'il est candidat puis réélu, deux référendums:
- sur le système d'indemnisation du chômage (passé un délai "de quelques mois", formation qualifiante obligatoire puis obligation d'accepter la première offre d'emploi correspondante)
- sur la juridiction compétente s'agissant du droit des étrangers (Nicolas Sarkozy souhaite qu'il s'agisse de la justice administrative et non de la justice judiciaire)
Il ne s'agirait constitutionnellement pas du même type de référendum:
- dans le premier cas, il s'agirait d'un référendum au sens de l'article 11: "Le Président de la République (...) peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ..."
- dans le second cas, qui nécessite une révision de la Constitution, il s'agirait du référendum au sens de l'article 89: "L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement. Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l'article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum ..."
Dans les deux cas, l'usage du référendum n'est toutefois qu'une option:
- La réforme du système d'indemnisation du chômage "est peut-être l'une des réformes qu'il faudra soumettre au jugement direct des Français", affirme Nicolas Sarkozy. "Si un consensus se dégage parmi les partenaires sociaux, cela ne sera pas nécessaire, précise-t-il. Mais si les intérêts particuliers, les obstacles catégoriels, s'avéraient trop puissants, il faudrait sans doute réfléchir à l'opportunité de s'adresser directement aux Français ..."
- "C'est un sujet dont on peut débattre", répond-il au sujet du référendum de révision de la Constitution.
Quelle est la vision de Nicolas Sarkozy du référendum?
À quatre reprises dans cet entretien Nicolas Sarkozy explique pourquoi il envisage ou non d'organiser des référendums:
- Il s'agit d'une réforme "capitale pour l'avenir du pays" et qui "concerne directement les Français".
- "... si les intérêts particuliers, les obstacles catégoriels, s'avéraient trop puissants, il faudrait sans doute réfléchir à l'opportunité de s'adresser directement aux Français pour qu'ils donnent leur opinion sur ce système d'indemnisation du chômage et sur la façon dont on doit considérer le travail et l'assistanat. Je crois que la meilleure façon de surmonter des blocages dans notre société c'est de s'adresser directement au peuple français".
- À la question de sa non-utilisation de l'outil référendaire durant le présent quinquennat, il explique: "C'est vrai parce qu'en cinq ans, malgré toutes les réformes mises en oeuvre, le pays n'a jamais connu de blocage. Sur les retraites par exemple, il y a eu des manifestations, des protestations, mais la réforme, sans drame et surtout sans violence, a pu être adoptée et appliquée".
- À la question d'un référendum sur l'école, il répond: "Paradoxalement, je ne le pense pas. Il serait vu comme un moyen de monter une partie de la société contre le monde éducatif. On ne peut faire une réforme de cette nature sans y associer les enseignants".
Une remarque préliminaire: on se demande bien pourquoi un référendum sur l'éducation nationale "serait vu comme un moyen de monter une partie de la société contre le monde éducatif" alors qu'un référendum sur le système d'indemnisation du chômage ne le serait pas "comme un moyen de monter une partie de la société contre les chômeurs" ou un référendum sur le droit des étrangers "comme un moyen de monter une partie de la société contre les étrangers".
Cette petite incohérence s'explique précisément par la vision du référendum qui ressort clairement des propos de Nicolas Sarkozy: un moyen de passer en force en cas d'oppositions à une de ses réformes.
Référendum sarkozyste vs référendum gaulliste
Il a suffi que Nicolas Sarkozy prononce le mot "référendum" pour que certains commentateurs fassent aussitôt un parallèle avec Charles de Gaulle.
Il existe cependant au moins deux différences entre la vision sarkozyste et la vision gaulliste du référendum:
1) Le "référendum coup de force":
Comme nous l'avons vu, dans la vision sarkozyste le référendum constitue une seconde cartouche pour imposer une réforme en cas d'oppositions.
Or, s'il est certain qu'historiquement le recours au référendum permit accessoirement à Charles de Gaulle de contourner le Parlement (élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962, réforme du Sénat et création des régions en 1969), il s'agissait à chaque fois de sa première cartouche.
Pour résumer:
- Charles de Gaulle se présentait devant le peuple en lui demandant: "Voulez-vous?"
- Nicolas Sarkozy arriverait devant le peuple en lui disant: "Voulez-vous ce que n'ont pas voulu ces conservateurs (et "pauv'cons"?) de partenaires sociaux?"
2) La nature de la question:
Charles de Gaulle s'est exprimés à de nombreuses reprises sur sa vision du référendum. Deux exemples, tirés du tome II de ses Mémoires d'espoir (L'effort, Plon, 1971):
- "C'est un principe de base de la Ve République et de ma propre doctrine que le peuple français doit trancher lui-même dans ce qui est essentiel à son destin."
- "Le référendum, enfin, institué comme le premier et le dernier acte de l'œuvre constitutionnelle m'offrirait la possibilité de saisir le peuple français et procurerait à celui-ci la faculté de me donner raison, ou tort, sur un sujet dont son destin allait dépendre pendant des générations."
Bref, il s'agit pour Charles de Gaulle de s'adresser directement au peuple français sur un enjeu capital (d'où une démission du président de la République en cas d'échec).
La réforme du système d'indemnisation du chômage constitue-t-elle un enjeu qui engage le destin de la France et du peuple français? Nicolas Sarkozy semble le penser; personnellement, j'en doute... En tout cas incontestablement beaucoup moins que, par exemple, les traités européens: hier, le traité de Lisbonne, ratifié par le Parlement alors qu'il reprenait l'essentiel du traité constitutionnel européen auparavant rejeté par le peuple français (tiens, justement un référendum!); aujourd'hui, le Pacte budgétaire européen.
Le choix de la juridiction compétente s'agissant du droit des étrangers constitue-t-il un enjeu qui engage le destin de la France et du peuple français? Sans commentaire!
Après avoir avili la fonction présidentielle telle que la concevait Charles de Gaulle - en se comportant non pas en chef d'État mais en chef de gouvernement -, c'est maintenant le référendum que Nicolas Sarkozy veut galvauder. Vous avez dit "gaulliste"?
5 commentaires
Pour rebondir sur le changement de constitution concernant le droit des étrangers : La suppression du Sénat et la régionalisation constituent-t-elles un enjeu qui engage le destin de la France et du peuple français ?
À mon sens oui, d'autant plus que cela touche l'organisation des pouvoirs publics, donc le pouvoir constituant du peuple souverain.
Très intéressée par votre analyse très convaincante et entièrement d'accord (hélas!) avec votre conclusion.
Mais alors me reste une question: F. Bayrou dans "Abus de pouvoir" n'avait-il pas vu juste en dénonçant, non pas encore ce qui arrive maintenant, mais les multiples dérapages d'un Président qui n'avait pas le sens de sa fonction? Le livre a été très lu, mais a-t-il été reçu? A l'époque, j'avais lu sous certaines plumes des propos peu réceptifs et je ne comprends toujours pas pourquoi!
Je découvre votre blog et cet article très intéressant!
Oui, Sarkozy et gaulliste sont deux mots antinomiques, combien de nains se réclament de ce grand Homme?
Bref, voici un (mon) site qui vous intéressera sûrement car il permet une comparaison aisée des programmes des candidats à la présidentielles de 2012: presidentielles-de-2012.fr
Les conceptions du référendum de Sarkozy et de de Gaulle sont toutes les deux fausses. Le référendum tend à devenir un plébiscite s'il est convoqué par le président. Le référendum doit être obligatoire sur les sujets essentiels. Sur les autres sujets, il doit être organisé si suffisamment de citoyens le demandent.
Les Français ont-ils la pseudo-démocratie qu'ils méritent?
Voir http://www.blogdemocratiedirecte.blogspot.com/2012/02/les-francais-ont-ils-la-pseudo.html
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