Philippe Dechartre: le "gaullisme de gauche"
10 novembre 2010
J'ai rédigé cette semaine dans La Croix deux portraits (pour la rubrique "Que sont-ils-devenus?") d'anciens ministres du général de Gaulle. Voici celui de Philippe Dechartre, publié mardi (dans La Croix de ce mercredi: Jean Charbonnel)
Le 30 mai 1944, De Gaulle lui ouvre les bras
Chef de la zone nord d'un mouvement de Résistance, Philippe Dechartre, pseudonyme de Jean Duprat-Geneau, est convoqué en 1944 à Alger par le général de Gaulle. Moment d'émotion pour le jeune homme de 25 ans lorsque s'ouvre la porte du bureau du Général, à la villa des Oliviers: "Je suis un peu interloqué. Je me dis: est-ce que c'est lui, est-ce que c'est moi, est-ce que je rêve, est-ce que nous sommes vraiment là tous les deux?" Finalement, d'un geste qui lui est familier, de Gaulle ouvre les bras et dit: "Alors, Dechartre, vivant?" Celui qui avait été peu de temps auparavant exfiltré du siège parisien de la Gestapo répond: "Oui, mon général, et grâce à vous."
"Vous me cueillez dans ma première semaine de retraite!", lance Philippe Dechartre, 91 ans, en recevant dans son chaleureux domicile parisien. Ancien ministre des gouvernements Pompidou, Couve de Murville puis Chaban-Delmas entre 1968 et 1972, Dechartre siégeait en effet depuis 1994 au Conseil économique et social, qui venait le jour même de renouveler ses membres. "Actuellement, je suis en train de ranger ces seize ans d'archives, soupire-t-il. C'est un travail lourd et fastidieux."Mais c'est surtout à la publication de ses mémoires que ses amis le pressent de s'atteler. "J'aime écrire, mais je le garde pour moi", explique-t-il. Avant de finalement concéder: "Si on me laissait en paix, je crois que je finirais par écrire un bouquin…"
Philippe Dechartre poursuit son "itinéraire d'un gaulliste de gauche", puisqu'il participe toujours aux travaux du Club Nouveau Siècle, mouvement associé à l'UMP qu'il a fondé en 2001 et dont il assure maintenant la présidence d'honneur. Un itinéraire qui l'a amené à côtoyer la quasi-totalité des présidents de la Ve République. Charles de Gaulle, bien entendu, qu'il a suivi du gaullisme de la Résistance au gaullisme politique, avec un passage par le mendésisme durant la "traversée du désert" du Général. Georges Pompidou, avec lequel il était "très lié" malgré la méfiance du successeur de De Gaulle envers les gaullistes sociaux. François Mitterrand, rencontré dès 1943 dans les mouvements de Résistance de prisonniers de guerre et déportés. Sans être exclu du RPR, Philippe Dechartre appela d'ailleurs au second tour de la présidentielle de 1981 à voter en faveur du candidat socialiste, qui lui proposa alors d'entrer au gouvernement. Ce qu'il refusa. "On aurait pensé que j'allais à la soupe, que j'avais la récompense de ma prise de position. Ça aurait été mauvais pour lui comme pour moi" commente-t-il. Jacques Chirac, ensuite, qu'il a soutenu à toutes les élections présidentielles, et dont il demeure un proche.
Nicolas Sarkozy, enfin. Au milieu des années 1970, ce dernier était même venu frapper à la porte du Mouvement pour le socialisme par la participation, dont Philippe Dechartre était alors le secrétaire général. Le jeune Nicolas Sarkozy lui exposa qu'il en avait "marre des hiérarques de l'UDR". Mais l'ancien ministre l'en dissuada: "Si tu adhères aux gaullistes de gauche, tu seras content de faire bouger beaucoup d'idées, mais ce n'est pas ça qui te mettra en faveur dans la course au pouvoir. Tu as de l'ambition: retourne à l'UDR, avale les couleuvres qu'on te fait avaler actuellement avant d'en faire avaler aux autres." Depuis, les deux hommes ont conservé des "relations cordiales mais sans plus", car le gaulliste de gauche "ne partage pas toutes les options politiques" de l'ancien porte-parole d'Édouard Balladur.
Ils se sont vus pour la dernière fois en juillet, notamment pour parler du renouvellement du Conseil économique, social et environnemental. "Il consulte, mais il ne suit pas les consultations", lâche le doyen sortant, regrettant qu'aucun de ses amis n'ait été nommé (contre huit sortants). Philippe Dechartre en a profité pour "lui dire ce qu'un gaulliste de gauche peut dire: sauver les banques, c'est bien, mais il faut aussi penser à ceux qui n'ont pas de pognon". Une thématique que cet humaniste a développée avec Bernard Reygrobellet, son successeur à la présidence du Club Nouveau Siècle, dans une "contribution au projet 2012 de la majorité présidentielle" (PDF).
"Dechartre, n'oubliez jamais que la seule finalité du progrès économique, c'est le progrès social", lui avait glissé à la Libération le général de Gaulle. Des propos que l'ancien Résistant a érigés en philosophie politique: "C'est le fil rouge du gaullisme de gauche auquel je reste aujourd'hui fidèle."
Laurent de Boissieu
La Croix, 09 novembre 2010
3 commentaires
Très beau portrait et très belle rencontre !
Je me pose une question sur le gaullisme de gauche. Ca ne parle plus à grand monde (déjà, même De Gaulle, les jeunes ne savent plus toujours qui c'est : cf. interviews de lycéens sur France Inter hier matin...).
Les plus informés doivent penser que ce sont des personnes de gauches qui ont suivi de Gaulle en 1940 autour de projet de résistance, mais seule une poignée de Français est capable de donner un contenu idéologique à l'expression.
Les gaullistes de gauche n'auraient-ils pas complètement intérêt à repartir de zéro pour reformuler leurs propositions ?
Ce qu'une partie de la population attend, c'est une proposition de nouvelle politique sociale, voire d'un nouveau socialisme qui ait retrouvé une doctrine et un dynamisme (qui a échappé au PS). Il faudait donc mettre en avant le social voire le "socialisme" (et n'expliquer que dans un second temps les racines idéologiques du gaullisme de gauche, du mendésisme, du néo-socialisme, du christianisme social -sujets qui me passionnent mais passent - et de plus en plus - à des années lumières des préoccupations ou de la culture des Français qui pourraient être intéressés par la proposition).
Du style :
1) "Nous proposons une autre forme de socialisme, qui ne fait pas l'impasse sur les thèmes de la nation et de l'ordre public, mais, au contraire, l'intègre dans un tout : il ne peut y avoir de nation à l'aise avec elle-même, capable de réformer et s'adapter au monde, sûre pour tous, que si tous ses membres se sentent attachés au destin commun. Dans cette optique, le social, le partage et la participation, sont des outils de rassemblement national, des préalables de la cohésion nationale."
2) "Nous proposons une forme de socialisme qui ne passe pas seulement par l'effet correcteur de l'Etat, mais aussi par la responsabilisation des acteurs de la société à travers la mise en place d'une démocratie participative à tous niveaux, notamment dans celui pù il est absent : l'entreprise. Un Vrai socialisme qui donne - enfin - du pouvoir aux salariés dans l'entreprise."
etc.
Voilà. Ce n'est peut-être pas le lieu de ce blog, mais c'est dit (à titre perso je jugerais le mot "socialisme" rédhibitoire - c'est mon côté libéral - mais il porte quand même les espoirs - même déraisonnables - d'une partie de la population).
Beau portrait, merci !
un beau moment qui tombe à point pour l'anniversaire du Général!
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