Jean Charbonnel: le "gaullisme de progrès"
11 novembre 2010
J'ai rédigé cette semaine, dans La Croix, deux portraits (pour la rubrique "Que sont-ils-devenus?") d'anciens ministres du général de Gaulle. Après Philippe Dechartre, voici celui de Jean Charbonnel, publié mercredi.
Le 8 janvier 1966, De Gaulle le nomme au gouvernement
Au mois de décembre 1965, le chef de l'État demande à voir en tête-à-tête Jean Charbonnel, élu trois ans plus tôt député de la circonscription de Brive. "Sous prétexte de mieux me connaître, il me faisait, en fait, passer un examen de passage, se souvient le futur ministre. D'abord paralysé par la timidité, j'ai vu devant moi le président de la République, mais j'ai aussi vu l'homme, qui s'est enquis, en me mettant à l'aise, de mon parcours personnel et politique. Il manifesta pour moi une bienveillance grand-paternelle, et j'éprouvai vite un grand honneur et une grande joie à travailler près de lui." Un mois plus tard, Jean Charbonnel devient en effet secrétaire d'État chargé de la Coopération.
Ancien secrétaire d'État chargé de la Coopération sous De Gaulle (1966-1967) puis ministre du Développement industriel et scientifique sous Pompidou (1972-1974), Jean Charbonnel déborde encore d'activités. Agrégé – et passionné – d'histoire, il court de colloques en colloques: "De Gaulle et Paris", animé par son ami Gilles Le Béguec les 24 et 25 novembre, puis "De Gaulle et l'Afrique", organisé les 2 et 3 décembre par la Fondation Charles-de-Gaulle.
Surtout, militant fidèle du gaullisme, Jean Charbonnel préside toujours, à 83 ans, un mouvement politique: la Convention des gaullistes sociaux pour la Ve République, qui possède une poignée d'élus municipaux. "Tant que Dieu me prête vie, j'ai bien l'intention de continuer à m'occuper de la cité, et donc à garder une activité politique", explique-t-il.
De cette double casquette, de militant et d'historien (1), Jean Charbonnel tire une fidélité indéfectible à une certaine idée du gaullisme, loin de ceux qui n'y voient qu'une "attitude" ou un "pragmatisme" sans contenu doctrinal. Ce souci fut l'objet, dès avril 1970, premier anniversaire du départ du Général, d'une tribune intitulée "La légende et l'héritage", publiée dans la presse puis diffusée par l'UDR, dont il était l'un des dirigeants. "J'étais et je reste absolument convaincu que le gaullisme n'est pas mort avec De Gaulle", martèle-t-il encore aujourd'hui. Gaulliste social, il travaille justement à un nouveau livre afin de "ne pas laisser enfermer Charles de Gaulle dans des commémorations ou dans des musées" et de "rétablir la vérité sur le gaullisme".
Même si Jean Charbonnel fut l'initiateur de l'opération des "jeunes loups" aux élections législatives de 1967, point de départ de l'émergence politique de Jacques Chirac, sa fidélité à une certaine idée du gaullisme entraîna une rupture entre les deux hommes: le "gaulliste de progrès" fut écarté en 1975 d'une UDR prise en main par son "compatriote corrézien". Jean Charbonnel reproche toujours à l'ancien premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing sa "trahison" envers Jacques Chaban-Delmas, à l'élection présidentielle de 1974. De fait, il n'a jamais voté en faveur de Jacques Chirac, soutenant Michel Debré en 1981, Raymond Barre en 1988 (avant de participer à l'ouverture de François Mitterrand et Michel Rocard), Édouard Balladur en 1995, puis Jean-Pierre Chevènement en 2002.
C'est d'ailleurs un chiraquien, Bernard Murat, qui l'a successivement battu aux élections législatives de 1993 puis aux municipales de 1995. Depuis, le socialiste Philippe Nauche a remplacé Bernard Murat en s'alliant avec le gaulliste "charbonnelliste" Étienne Patier (petit-fils d'Edmond Michelet), devenu maire-adjoint.
En 2007, enfin, l'ancien maire de Brive a soutenu Nicolas Sarkozy. "C'est le premier gouvernement qui renoue avec la politique industrielle", se félicite celui qui a été reçu en mai dernier à Bercy par Christian Estrosi, l'actuel ministre de l'Industrie. L'occasion pour ce dernier de dévoiler son "admiration" pour Georges Pompidou et Jean Charbonnel, "le tandem qui, en deux ans, a lancé le programme électronucléaire, le projet spatial (Ariane) et les lignes à grande vitesse (TGV)".
Ce soutien n'empêche pas Jean Charbonnel d'émettre aujourd'hui de "fortes réserves" sur la "pratique présidentialiste" des institutions par Nicolas Sarkozy et sur le retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan. L'ancien ministre se remémore des mots prononcés lors du conseil des ministres "historique" du 9 mars 1966, dont il est l'un des rares survivants. "La décision que je vous demande est importante, avait solennellement exposé le général de Gaulle. Si vous la prenez, vous conforterez notre force de dissuasion et pourrez ainsi avoir la certitude de léguer la paix à vos enfants. Je vous demande une adhésion personnelle. Ceux qui ne seraient pas d'accord peuvent le signaler tout de suite, mais ils quitteront le gouvernement."
Laurent de Boissieu
La Croix, 10 novembre 2010
(1) Dernier ouvrage publié: Les légitimistes, de Chateaubriand à De Gaulle, La Table Ronde, 2006.
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