Hervé Morin veut incarner un centre de droite
21 septembre 2010
Les "journées parlementaires du centre" se sont ouvertes lundi soir, à Nice, autour des députés du Nouveau centre et des sénateurs de l'Union centriste. L'enjeu est double : peser davantage au sein de la majorité et préparer la prochaine élection présidentielle. "Il y aura un candidat centriste en 2012", affirme à ce sujet Hervé Morin, ministre de la défense et président du Nouveau centre.
Reste à savoir si Hervé Morin est susceptible ou non d'être ce candidat. "Je suis étonné qu'il se soit cru obligé de mettre le mot centre dans le nom de son parti, comme si c'était une caution", raille avec scepticisme Marc Fesneau, secrétaire général du MoDem de François Bayrou. Alors, Hervé Morin, centriste ou pas centriste ? Enquête à partir des deux définitions du centre.
La première définition du centre est géométrique : c'est l'existence d'une troisième voie à équidistance de la droite et de la gauche. "Si le candidat du centre n'est pas qualifié au second tour de la présidentielle, il doit chercher à conclure une alliance de gouvernement aussi bien avec le candidat de la droite qu'avec celui de la gauche", avance Jean Arthuis, président de l'Alliance centriste.
"Quand on est un parti du centre, on est associé à un parti de droite", tranche au contraire Hervé Morin. Ce que ce denier rejette, ce n'est donc pas la bipolarisation droite-gauche, mais c'est au sein de cette bipolarisation le "parti unique à droite". Ce qui revient implicitement à reconnaître son appartenance à la droite et …non au centre ! À l'exemple de sa profession de foi pour la présidence de son parti, en juin dernier, où il écrivait que "la famille centriste n'est pas située nulle part, elle n'est pas à géométrie variable, elle est à droite". L'intéressé emploie en outre indifféremment les termes de "centre" et de "centre droit", quand il ne déclare pas simplement que "le centre, c'est le centre droit".
La seconde définition du centre est idéologique et renvoie aux grandes familles politiques. Issu du Parti républicain (ancienne composante de l'UDF (1)), Hervé Morin se rattache au courant libéral ou modéré (2). Or, cette famille est à droite depuis le milieu du XXe siècle. Lors d'un rare colloque universitaire consacré à cette famille, l'historien René Rémond expliquait en 1998 que "si les modérés sont indubitablement à droite, ils ne renient pas leur identité propre : ils se définissent toujours par le rejet des extrêmes". Conformément à la doctrine du "juste milieu", développée au milieu du XIXe siècle par l'orléaniste libéral Guizot.
"Je n'aime pas les excès", répond précisément Hervé Morin, interrogé dans le cadre de cette enquête sur ce qui fonde sa revendication de l'étiquette centriste. Une analyse de ses discours montre bien cette récurrence des valeurs appartenant au champ lexical de la famille libérale ou modérée : "équilibre" de la société et des pouvoirs (cher à Tocqueville), "responsabilité individuelle", "liberté d'entreprise", "société apaisée", "modération", "tempérance" ou encore "bonne gouvernance".
Le libéralisme d'Hervé Morin n'est toutefois pas seulement économique et politique, il est également sociétal. Cet ancien proche de François Léotard évoque en effet dans ses discours un "humanisme moderne" en se référant au septennat de Valéry Giscard d'Estaing (droit de vote à 18 ans, légalisation de l'avortement, divorce par consentement mutuel, etc.). À titre personnel, le ministre de la défense s'est du reste déjà déclaré favorable à l'adoption par les couples homosexuels.
Finalement, ce qu'Hervé Morin défend, ce n'est pas une troisième voie centriste, c'est un second choix à droite, en concurrence avec Nicolas Sarkozy. "Il y a toujours eu deux droites en France", argumente le maire d'Épaignes (Haute-Normandie) en opposant "les bonapartistes et les orléanistes", "le RPR et l'UDF" puis "l'UMP et le Nouveau centre".
Un raccourci historique qui fait l'impasse sur l'éclatement des familles politiques à l'origine de l'UDF giscardienne (3). Les libéraux sont ainsi actuellement autant représentés à l'UMP (Hervé Novelli, Gérard Longuet) qu'au Nouveau centre (Hervé Morin, François Sauvadet). Tandis que Pierre Méhaignerie, démocrate chrétien de l'UMP, constate que jusqu'à présent ses amendements budgétaires visant davantage de justice fiscale étaient "soutenus par des gaullistes sociaux de l'UMP mais par seulement un tiers des députés du Nouveau centre". Aujourd'hui, ces journées parlementaires sont d'ailleurs prudemment consacrées à un thème de travail consensuel entre libéraux et démocrates-chrétiens : l'Europe fédérale.
Laurent de Boissieu
La Croix, 21 septembre 2010
(1) Dans son discours de clôture des universités d'été des jeunes du Nouveau centre, le 29 août dernier, Hervé Morin évoquait ainsi ses propres souvenirs d'universités d'été en citant les nom de Gérard Longuet, Philippe de Villiers, Alain Madelin, Gilles de Robien et François Léotard; autant de noms qu'il n'est pas forcément évident de rattacher au centre.
(2) Le 14 septembre dernier, Hervé Morin a visité la fédération Nouveau centre des Bouches-du-Rhône; en réunion publique à Cabriès-Calas, son président, Bruno Genzana, s'est ainsi réclamé du "courant que représentait l'UDF, celui de la droite modérée".
(3) Principalement les libéraux et les démocrates-chrétiens, ainsi que ceux des radicaux et des sociaux-démocrates qui avaient refusé au début des années soixante-dix de signer le programme commun avec le PCF.
6 commentaires
Rappelez-vous la phrase d'Edgar Faure sur le centre : un mille pattes qui n'arrête pas de se faire des croche-pieds.
Vous faites bien d'honneur à un personnage falot mis en avant par le président à défaut d'une personnalité de plus grande envergure comme François Bayrou.
S'il se présente en 2012 il fera un bien médiocre score. Il a tout entériné et surtout l'engagement douteux en Afghanistan dans une guerre perdue d'avance à la suite de NS du temps où il fut un petit "télégraphiste" de Bush!
Bon alors, il se positionne ou sur l'europe, la souveraineté, la fiscalité, etc...
Sur l'Europe, pas de surprise: l'Europe fédérale ...presqu'assumée (presque, car reprise par Hervé Morin de l'expression "fédération d'États nations" de Jacques Delors, qui ne veut strictement rien dire).
Sur la fiscalité, pour paraphraser un parlementaires UMP ex-UDF "on ne sait pas ce qui relève des convictions et ce qui relève de la posture politique"; j'attends donc de voir si les parlementaires du Nouveau centre iront en effet jusqu'au bout des convictions affichées dans les amendements aux budgets (PLF: ISF/bouclier fiscal/tranche supérieure IR à 45%; PLFSS: TVA sociale).
Le centre de M. Morin, c'est le centre préféré de feu François Mitterrand : une "variété molle de la droite". C'est assez étonnant de voir une telle convergence de conception entre ces deux personnages aux sensibilités et convictions pourtant très éloignées.
Par contre, j'ai une simple question : y a-t-il une véritable différence de ligne politique entre le NC et le MoDem ou bien ne diffèrent-ils que par leurs conceptions stratégiques ?
@ Laurent de Boissieu : je n'ai RIEN à critiquer dans cet article !
(Tout de même, "l'Europe fédérale" est certainement un thème consensuel non seulement entre les libéraux et les démocrates-chrétiens, mais aussi entre les radicaux et les sociaux-démocrates ; ce n'est pas pour autant un projet politique. Si cela devait signifier - ce qui est le sens habituel du mot "fédéral" - la suppression de la souveraineté nationale, il n'y aurait pas beaucoup d'électeurs, ni de militants, ni d'élus d'aucun de nos partis, qui accepterait de l'envisager ! Soit dit avec toute la sympathie que j'ai pour le Mouvement Européen).
@ Brath-z : votre question m'étonne car l'article explique la différence mieux qu'aucun autre papier sur le sujet depuis 3 ans. Le NC est l'incarnation actuelle de la famille dite libérale en France (qui se différencie des libéraux idéologiques façon AL ; par rapport à d'autres pays, ce serait un mixte de libéraux et de conservateurs), et le MoDem est le parti démocrate.
Si votre question est : libéralisme et démocratie sont-ils compatibles ? je pense non seulement que oui, mais que ce sont même les deux courants les plus compatibles, "ouverts" de par leur idéologie même, avec d'autres courants politiques. C'est aussi ce qui fait leur faiblesse, leur manque de cuirasse, le fait qu'on y entre et qu'on en sort comme de moulins.
L'exemple des LibDems britanniques démontre cette compatibilité et les résultats auxquels cela conduit (par exemple la suppression de fichages massifs de la population, alors même que la France étend constamment ses propres fichiers...) - mais aussi la tension constante, comme à l'UDF de jadis, entre ces deux pôles, ce qui s'interprète souvent dans la grande presse comme une tension "entre l'économique et le social".
De toute façon, pour sortir de 30 ou 31 années de surendettement, il faudra arriver à un consensus de bien plus de deux familles politiques.
FrédéricLN > Ma mémoire me joue peut-être des tours, mais il me semble que l'auteur du présent blog a à plusieurs reprises regretté de ne pouvoir classer idéologiquement le MoDem de manière précise. Je le cite de mémoire : "à ma connaissance, il n'y a pas de définition au "démocratisme" du MoDem". Et il se trouve que sur ce point précis, je suis en parfait accord avec lui.
Et puis j'ai toujours du mal avec des appellations telles que "républicain" ou "démocrate", non seulement parce qu'il serait idiot de prétendre qu'elles sont réservées uniquement à certains mouvements et familles politiques mais aussi parce qu'elles sont excessivement équivoques. Elles peuvent s'expliquer aux États-Unis par l'existence historique du vénérable parti démocrate-républicain opposé au parti fédéraliste qui s'est scindé suite à la défection des libéraux fondateurs du Whig (grosso-modo ancêtre du parti républicain, même si la filiation politique est bien plus complexe), mais dans le contexte politique et idéologique français, elles n'ont guère de sens si on les sépare l'une de l'autre.
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