Marine Le Pen et Bruno Gollnisch, deux conceptions différentes du Front National
01 juillet 2010
C'est hier qu'a été publiée la liste des candidats à l'élection du président du Front National. Un tournant dans l'histoire du parti d'extrême droite, puisque Jean-Marie Le Pen, qui le préside depuis sa création en 1972, a décidé de passer la main à l'occasion du prochain congrès, les 15 et 16 janvier 2011 à Tours. Comme prévu, deux personnalités ont dépassé la barre des vingt parrainages de secrétaires départementaux nécessaires pour briguer les suffrages des adhérents : Marine Le Pen (68 parrainages), 42 ans, et Bruno Gollnisch (30 parrainages), 60 ans.
Interrogés sur ce qui les différencie l'un de l'autre, les deux vice-présidents exécutifs du FN commencent par botter en touche. "Ce n'est pas à moi de répondre à cette question, puisque l'apparition de Marine sur la scène politique est postérieure à la mienne", tranche Bruno Gollnisch. "Bruno n'a jamais contesté mes prises de position, rétorque Marine Le Pen. C'est donc a priori qu'il les approuve. Sinon, il est temps aujourd'hui qu'il le dise !" Il n'empêche, des différences existent bien entre les deux protagonistes.
"Il y a deux analyses qui s'affrontent au sein du FN, reconnaissait ainsi au début de l'année Marine Le Pen dans La Croix. Certains pensent que le FN monte grâce à sa diabolisation. D'autres que le FN monte malgré sa diabolisation. Je fais partie de la seconde catégorie." De fait, celle qui entend "dédiaboliser" le parti s'est toujours démarquée des petites phrases sur la Seconde Guerre mondiale qui valurent à son père et à Bruno Gollnisch des poursuites judiciaires et la levée de leur immunité de parlementaires européens. "Il existe à l'égard du FN une suspicion d'antisémitisme, martèle Marine Le Pen. Tout propos contribuant à nourrir cette suspicion est malvenu."
"Marine Le Pen n'oublie pas les fondamentaux frontistes – refus de l'immigration, préférence nationale, souverainisme, rejet des élites – mais elle est moins racialiste et oublie ce que les plus radicaux des militants considèrent comme faisant partie de ces fondamentaux", décrypte Jean-Yves Camus, chercheur spécialiste de l'extrême droite. Afin de se démarquer de sa concurrente, Bruno Gollnisch aime d'ailleurs rappeler une phrase de Marine Le Pen lors de la dernière campagne présidentielle : "La candidature de rassemblement du peuple français débarrassée des spécificités religieuses, ethniques ou même politiques, c'est la candidature de Jean-Marie Le Pen." "C'est une déclaration malheureuse, explique le conseiller régional de Rhône-Alpes. Une candidature de rassemblement du peuple français doit au contraire intégrer et revendiquer hautement ces spécificités. La France n'est pas réductible aux valeurs républicaines, c'est une réalité charnelle et spirituelle : la vision que développe Marine de la Nation est abstraite et idéologique."
Contre le communautarisme islamique, la conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais brandit, il est vrai, l'étendard d'une "laïcité sans concession". Tandis que Bruno Gollnisch participera, mi-juillet, à l'université d'été de Renaissance catholique, un groupe traditionaliste qui dénonce "le piège de la laïcité" en général et "l'imposture qui consiste à faire accroire qu'elle pourrait être une réponse aux problèmes posés par l'immigration musulmane" en particulier.
"Bruno Gollnisch n'a jamais varié, il assume ses amitiés et ses idées radicales", poursuit Jean-Yves Camus. En novembre 2009, le dirigeant du FN a été l'invité d'honneur d'un "colloque nationaliste" à Lyon aux côtés de Pierre Sidos, fondateur en 1968 de l'Œuvre française. Proche des deux hommes, Yvan Benedetti, conseiller municipal de Vénissieux et secrétaire départemental du FN dans le Rhône, a lancé en mars dernier le mensuel Droite ligne (lire ci-dessous), qui fait le lien entre le parti lepéniste et ces milieux radicaux. Bruno Gollnisch n'a toutefois pas le monopole des liens avec l'extrême droite radicale : Marine Le Pen y possède également ses contacts, par l'intermédiaire notamment d'anciens du Groupe Union Défense (GUD) d'Assas, comme son ami Frédéric Chatillon, dont l'épouse travaille au siège du FN.
"Ma stratégie, c'est de rassembler tous les Français, qu'ils viennent de la droite ou de la gauche, avance Marine Le Pen. La stratégie de Bruno, c'est de rassembler toute l'extrême droite, avec des gens qui n'ont jamais été au FN ou qui l'ont quitté." Ce que confirme Carl Lang, ancien secrétaire général de la formation lepéniste et actuel président du Parti de la France, dissident du FN : "Bruno Gollnisch veut tendre la main à toutes les composantes de la résistance nationale, c'est donc lui qui s'inscrit dans la ligne du FN de Jean-Marie Le Pen."
Reste à savoir si l'appareil du parti restera neutre dans cette élection interne. Dans un entretien à France Soir, Jean-Marie Le Pen a ainsi affirmé hier, à propos de sa fille : "Elle a les qualités nécessaires et j'espère suffisantes pour assumer demain les fonctions auxquelles elle aspire, d'abord la présidence du FN, ensuite une candidature à l'Élysée." Autre handicap pour Bruno Gollnisch : la dissidence de nombreux cadres historiques. "Les départs de mes amis ne me renforcent pas, philosophe l'intéressé. Il me reste donc à convaincre les amis de Marine ! Mais ce n'est pas une question de génération : je suis ouvert à la modernité, je sais me servir d'un iPhone et même d'un iPad…"
Laurent de Boissieu
La Croix, 01 juillet 2010
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Extrême droite ligne
À la confluence de l'Œuvre française et du FN, Yvan Benedetti ne fait pas dans la dentelle dans le dernier éditorial du mensuel Droite ligne (juin 2010) en exhumant des poubelles de l'histoire le Protocoles des Sages de Sion, faux antisémite publié au début du XXe siècle. "Tout comme la suppression des frontières et des monnaies nationales, l'immigration massive et le métissage ont été annoncés dans un livre prémonitoire publié en 1905 : les Protocoles de sages de Sion", écrit-il.
Le FN n'a pas encore réagi sur ces propos tenus par un de ses cadre départemental et élu.
9 commentaires
Marine Le Pen ou Bruno Gollnisch, quelles que soient les différences d'approche, véhiculent les mêmes idées, celles d'une extrême-droite "classique", nationaliste, ultralibérale, ségrégationniste.
Les accointances de Marine Le Pen avec le GUD démontrent que sa posture plus modérée est plus stratégique qu'idéologique : une main de fer dans dans un gant de velour.
C'est en cela qu'elle est dangereuse. Elle s'appuie sur la crise et pratique un discours social pour attirer un petit peuple désespéré par la situation économique et les résultats désastreux des politiques libérales des grands partis classiques (du PS à l'UMP). Cela n'est pas sans rappeler la tactique des partis fascistes dans l'Europe des années 30. On sait ce qu'il est advenu du discours social.
Le souci, c'est que la politique du gouvernement Sarkozy (où siègent de nombreux anciens du groupuscule Occident) a tendance à légitimer le discours sécuritaire et raciste du FN.
Plus besoin d'être diabolisé pour monter ! Le FN n'a qu'à tenir un discours social tout en maintenant un discours antisystème de bon aloi par les temps qui courent.
En clair, pour moi, Marine Le Pen ne diffère pas sur le fonds idéologique de Gollnisch ou de son père. Son "recentrage" est purement tactique. Ne nous trompons pas !
Bonjour. Le clivage entre les 2 candidats FN est intéressant. Je suis aussi assez d'accord avec Solidaire27 : il est possible que le recentrage de la ligne Marine soit surtout tactique/stratégique.
J'ai qques question après la lecture de l'article de Laurent : dans quelle ligne du FN se situe Gollnisch ? Qui suivent les néo-païens (résurgence néo-nazie) ? Existent-ils d'ailleurs encore ?
Bonjour Solidaire27 et Libéral européen,
Il n'est jamais simple pour un journaliste, sans faire de procès d'intention, d'écrire dans un article (ce qui n'est pas la même chose qu'un édito) que telle ou telle personnalité n'est pas sincère et adopte une position purement stratégique/tactique. Je me permets de le faire uniquement lorsque, par exemple, la personnalité en question se met à défendre une ligne aux antipodes de ce qu'elle avait jusque-là toujours défendue, sans reconnaître ce changement. La difficulté avec Marine Le Pen, c'est que ces références historiques qui permettent de jauger de la sincérité d'un positionnement n'existent pas.
Cela dit, comme je l'ai déjà écrit dans une précédente note, Marine Le Pen n'est pas crédible dans sa défense des valeurs républicaines puisque le FN, elle comprise, ne cesse de rompre l'égalité entre les citoyens Français en ne retenant parmi ceux-ci que les "Français d'origine française" ou les "Français de souche".
http://www.ipolitique.fr/archive/2010/01/14/marine-le-pen-republicaine.html
@Libéral européen : Bruno Gollnisch peut être étiqueté national-catholique ou réactionnaire ("La Réaction, c'est la vie !", Godefroy de Bouillon, 2003); il est en revanche plus difficile de rattacher Marine Le Pen à un courant identifié de l'extrême droite, mais on peut par défaut l'étiqueter national-populiste.
Les néo-païens semblent assez présents au sein du parti Nouvelle Droite Populaire de Robert Spieler (Pierre Vial notamment appartient à sa direction collégiale). Mais ce courant a été dépassé par le pôle identitaire.
Pour faire simple, l'extrême droite est actuellement divisée en trois pôles :
1) Le pôle FN.
2) Le pôle Parti de la France (Carl Lang)/Nouvelle Droite Populaire (Robert Spieler)/MNR (Annick Martin), qui va annoncer lundi la création d'un "Comitié de liaison de la résistance nationale". Si Marine Le Pen prend la tête du FN, ce pôle espère en récupérer la tendance Gollnisch.
3) Le pôle identitaire autour du Bloc Identitaire (Fabrice Robert).
Je comprend parfaitement vos arguments.
En tant que "commentateur", il s'agit forcément d'une approche plus personnelle du sujet.
Sincèrement,
Dans le premier commentaire de solidaire27, il est écrit que les idées classiques de l'extrême droite serait l'ultralibéralisme, le ségrégationnisme et le nationalisme. Pour ce qui concerne le nationalisme, je trouve réducteur de le limiter à l'extrême droite.
En effet, je considère que le gaullisme est une forme de nationalisme (même si le général refusé ce terme, il préférait patriotisme). Le nationalisme est une idéologie et le patriotisme un sentiment.
Car qu'est-ce que la politique menée par le général si ce n'est un pragmatisme de moyens fondait sur un même objectif, une même idée : la grandeur de la Nation ?
Serait-il bon de rappeler que nationalisme n'est pas toujours synonyme de xénophobie, ni de racisme ?
Je précise cela car en tant que gaulliste, je ne voudrais pas que l'on m'interdise de penser la Nation ou la Patrie en me faisant traiter de fasciste, raciste ou je ne sais trop quoi d'autres.
Et n'en déplaise, si Marine Le Pen reprend à son compte des thèmes républicains comme la laïcité ou l'anticommunautarisme, ce n'est pas tant que la laïcité et l'anticommunautarisme seraient d'extrême droite mais que Marine Le Pen n'est pas d'extrême droite (dans le discours bien sûr, je ne me prononce pas sur le fond).
L'extrême droite est en effet très diverse (elle n'est pas forcément ségrégationniste et ultralibérale !).
Sur le nationalisme : encore faut-il le définir.
Qu'est-ce qu'une nation ? L'extrême droite est elle-même divisée sur ce sujet : pour certains c'est la France, pour d'autres c'est l'"ethnie" (Bretons, Basques, Occitans, Corses, etc.), pour d'autres encore c'est la "race" - à ce sujet, un raciste ne peut pas être un nationaliste français puisque les Français ne forment pas une race.
Qu'est-ce que le nationalisme ? En théorie, c'est de considérer que la nation (sa grandeur, son indépendance, etc.) constitue la finalité de l'action politique.
Or, si le gaullisme englobe bien ces principes, De Gaulle a lui-même donné une autre finalité à l'action politique (c'est son côté chrétien social) en déclarant que "la seule querelle qui vaille est celle de l’homme" (il n'a pas dit "la seule querelle qui vaille est celle de la nation"). Bref, on peut dire que le gaullisme est nationaliste* (au sens du "nationalisme ouvert" de la Révolution française et non du "nationalisme fermé", xénophobe, de l'extrême droite) mais n'est pas du nationalisme.
* grosso modo, on pourrait dire, aujourd'hui, "souverainiste"
Cela revient à peu près à ce que je pensais.
Évidemment, quand je parlait de nationalisme gaullien, c'était un nationalisme ouvert, républicain.
En revanche, je ne suis pas sûr que le général mettait la Nation en-dessous des valeurs humaines. Je ne suis pas sûr que si la France avait était envahie en 1940 non pas par un régime nazi mais par un régime démocratique et très ouvert il aurait collaboré. Il aurait aussi résisté.
En vérité, la Nation n'était pas seulement un moyen de servir l'homme mais aussi un but en soi. Je dirai même, comme vous parlez de christianisme social, que la Nation, dans la pensée gaullienne, est d'essence métaphysique, une croyance mystique ou comme disait Renan un "principe spirituel".
D'ailleurs, c'est la phrase du général en parlant de l'idée qu'il se fait de la France : "le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison". Car la France du général ne commence pas en 1789 avec les Droits de l'Homme mais en 496 avec le sacre de Reims. La condition humaine ou la grandeur de la Nation étaient pour lui des idées chrétiennes.
Le général c'était ouvert aux idées, aux hommes de gauche et même aux juifs tant qu'ils étaient patriotes. La seule ligne de démarcation pour lui n'était pas la race, la religion, l'idéologie politique et philosophique mais le patriotisme.
Alors, on comprends que de Gaulle, l'homme de tradition ait pu fonder la France libre entouré de juifs républicains et d'anciens cagoulards.
Concernant le nationalisme, il y aurait beaucoup à en dire, mais il est en effet si peu réductible à l'extrême-droite que l'une de ses premières expressions en France, le mouvement boulangiste, était très clairement d'extrême-gauche (à l'époque).
Pour ce qui est du FN, j'avoue n'avoir pas de certitude quant à ses positionnements : tour-à-tour racialiste, nationaliste, ultralibéral, étatiste, ouvriériste, poujadiste... Je trouve qu'il est parfois bien difficile de le classifier idéologiquement, surtout depuis 1989, lorsque J.-M. Lepen a cessé de se référer à Pétain et Reaggan (deux références qui étaient pourtant déjà inconciliables sur bien des sujets).
Quant à savoir quelle(s) voie(s) interne(s) incarnent respectivement Bruno Gollnish et Marine Lepen, je n'ai pas de religion définitive à ce sujet. J'ai parfois l'impression que la différence se réduit à une différence de stratégie politico-médiatique.
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