Nicolas Sarkozy, du discours à l'action ?
22 juin 2009
Quelques éléments que j'ai retenus du discours de Nicolas Sarkozy :
- Il y a à peine quelques semaines, le promoteur de la "laïcité positive" soutenait les propos de son homologue américain, Barack Obama, critiquant toute législation sur le port du voile, simple ou intégral. Aujourd'hui, il affirme avec justesse que :
"Le problème de la burka n'est pas un problème religieux. C'est un problème de liberté et de dignité de la femme. Ce n'est pas un signe religieux, c'est un signe d'asservissement, c'est un signe d'abaissement.
Je veux le dire solennellement, la burka n'est pas la bienvenue en France. Nous ne pouvons pas accepter dans notre pays des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n'est pas l'idée que nous nous faisons de la dignité de la femme."
- Nicolas Sarkozy voulait rompre avec le modèle républicain et social français. Aujourd'hui, il en vante les vertus (merci Henri Guaino !) :
"Le modèle républicain reste notre référence commune. Et nous rêvons tous de faire coïncider la logique économique avec cette exigence républicaine. Ce rêve nous vient, pourquoi ne pas le dire, du Conseil National de la Résistance qui, dans les heures les plus sombres de notre histoire, a su rassembler toutes les forces politiques pour forger le pacte social qui allait permettre la renaissance française. Cet héritage est notre héritage commun. (...)
... La crise mondiale crée de nouveau des circonstances favorables à cette aspiration française à mettre l'économie au service de l'Homme, et non l'inverse (...)
Au moment même où il redevient évident pour tout le monde que le développement économique ne peut être durable que s'il respecte l'Homme et s'il respecte la nature; au moment même où le monde redécouvre les limites d'une logique exclusivement marchande; au moment même où s'impose à tous la nécessité de réguler la mondialisation et les marchés; le modèle français a de nouveau sa chance. La crise a remis le modèle français à la mode. Hier décrié (par Nicolas Sarkozy !, ndlr), il se trouve aujourd'hui reconnu pour son rôle d'amortisseur social."
Question : Nicolas Sarkozy va-t-il, afin de mettre sa politique en cohérence avec son discours, exiger de l'Union européenne l'abrogation des directives de libéralisation, préalable à toute refondation des services publics (il a insisté deux fois dans son discours sur ces derniers) ?
- Nicolas Sarkozy a séparé le "mauvais déficit" (grosso modo les dépenses de fonctionnement) du "bon déficit" (les dépenses d'investissement, qu'"il n'est pas anormal de financer par l'emprunt"), auxquels il ajoute un déficit "imputable à la crise", annonçant - au-delà du Plan de relance en réponse à la crise - une politique keynésienne d'investissements publics (depuis longtemps réclamée par les tenants d'une "autre politique" : merci encore Henri Guaino !) :
"Cette crise doit être pour nous l'opportunité de rattraper nos retards d'investissements et de prendre de l'avance. Il est beaucoup de domaines très importants pour notre avenir comme l'aménagement du territoire, l'éducation, la formation professionnelle, la recherche, l'innovation... qui demanderont des moyens considérables. Nous ne pourrons pas les satisfaire dans le strict cadre budgétaire annuel. Si nous ne changeons pas nos pratiques, nous continuerons à scander des priorités sans pouvoir les réaliser. Mercredi, avec le Premier ministre nous procéderons à un remaniement du gouvernement. Son premier travail sera de réfléchir à nos priorités nationales et à la mise en place d'un emprunt pour les financer.
Ces priorités nationales je ne les fixerai pas seul. Elles doivent nous permettre de préparer au mieux l'avenir de la France. Elles concernent le pays tout entier. Le Parlement sera associé à leur définition. Les partenaires sociaux y seront associés. J'en parlerai avec eux dès le premier juillet. Les responsables économiques, les acteurs du monde de la culture, de la recherche, de l'éducation seront consultés. Pendant trois mois nous en discuterons tous ensemble. Les décisions ne seront prises qu'au terme de ce débat."
Question : Nicolas Sarkozy va-t-il, afin de mettre sa politique en cohérence avec son discours, dénoncer le traité de Maastricht (1) et le Pacte européen de stabilité et de croissance ?
(1) tout au moins en partie, le problème étant que l'Allemagne n'a accepté l'euro qu'en échange d'une gestion monétariste de le monnaie unique et néolibérale des finances publiques nationales
Bref, si Nicolas Sarkozy a séparé l'Union européenne de la politique intérieure française ("J'ai déjà eu l'occasion de parler de la politique européenne de la France et de ce qu'elle souhaitait pour réguler la mondialisation. Aujourd'hui c'est de notre pays, de l'avenir qu'il peut se construire dont je suis venu vous parler"), le seul moyen de passer du discours à l'action, c'est de lier les deux. Faute de quoi, il "continuera à scander des priorités sans pouvoir les réaliser". Sans préjuger de la pertinence de ces choix, au moins que Nicolas Sarkozy soit cohérent !
6 commentaires
*Sarkozy -t-il changé profondémment (avec la crise, par l'exercice du pouvoir républicain) ?
*Sont-ce de simples effets de manche adaptés aux besoins du jour (un jour je cite Jaurès, un jour je suis libéral, un jour je suis keynésien...), sans signification de fond, et donc sans conséquence ?
*Sarkozy, s'il croit ce qu'il dit et se contredit, n'est-il qu'une simple girouette sans idées propres (voire la volte-face très rapide sur l'islam et la République) ?
Au total, à la lecture des contradictions pointées par Laurent, je ne sais plus trop quoi penser.
Je pense que :
- Sarkozy n'est pas un dogmatico-libéral mais un pragmatico-libéral, donc il s'adapte au lieu de rester enfermé dans un dogme, quitte à picorer des idées qui ne sont au fond pas les siennes (Henri Guaino).
- Sarkozy a compris que les conséquences politiques de sa philosophie essentialiste ne passent définitivement pas en France (communautarisme, discrimination positive); idem pour d'autres convictions comme la "laïcité" positive. Donc il y renonce... pour l'instant tout au moins.
Je partage votre avis et celui de Henri Guaino.
Le pragmatisme dont fait preuve sarko est une vraie chance pour nous.
Ce n'est clairement pas un économiste, je dirais meme qu'il n'est pas bon dans ce domaine.
mais il est bien conseillé et sait d'adapter en fonction des circonstances. Voilà qui nous change des jacobins psycho rigides....
En tout cas, encore un très bon discours de Guaino, quoique un poil en dessous de celui de la semaine dernière au sommet de l'Organisation internationale du travail, vraiment excellent et malheureusement passé sous silence dans la presse.
Entièrement d'accord : à Versailles ce n'était pas le meilleur discours, à Genève c'était vraiment un excellent discours (il y a tout de même eu quelques articles dans la presse...).
(par ailleurs, je ne connais pas véritablement dans le paysage politique français de jacobins psycho-rigides mais, depuis 1983, surtout beaucoup de néolibéraux psycho-rigides...)
Après travailler plus pour gagner plus c'est travailler plus pour mourir plus vite.
Le discours de Sarkozy était surtout un exercice du style "les promesses n'engagent que ceux qui y croient", de belles déclarations d'intentions en totale contradiction avec les actes.
On parle de "donner plus à ceux qui ont moins", et on se lance dans la traque aux "niches sociales"
On critique les "politiques sacrificielles" tandis qu'un ministre annonce 16 000 suppressions de postes dans l'éducation nationale et que la loi patient et territoire met en avant la rentabilité de l'hopital sur la qualité des soins,
Sarkozy vante sa "révolution verte", tandis que le plan de relance mis en oeuvre créée des autoroutes en contradiction avec un grenelle fort peu appliqué...
On pourrait continuer longtemps ainsi.
(Je le fais d'ailleurs sur mon blog, pour ceux que ça interressent)
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