OTAN en emporte le gaullisme
19 juin 2008
Nicolas Sarkozy a donc confirmé, cette semaine, que la France allait réintégrer le commandement intégré de l'OTAN (Comité des Plans de défense).
Deux remarques :
- la France a déjà réintégré, en 1995-1996, sous le septennat de Jacques Chirac, "les instances militaires de l'OTAN qui respectent sa souveraineté" (Conseil des ministres de la défense et Comité militaire), selon l'expression du ministre de la Défense de l'époque, Charles Millon (Revue de l'OTAN, mai 1996).
- l'argumentaire de Nicolas Sarkozy n'est pas convainquant. Qu'a, en effet, plaidé le président de la République dans son discours sur la défense et la sécurité nationale (17 juin 2008) ?
"La guerre froide est terminée. En Europe, nos partenaires sont presque tous membres de l'Alliance. Ils ne comprennent pas pourquoi nous persistons à nous tenir à part. On continue à se demander, en Europe, si la France veut opposer l'Europe de défense et l'OTAN. Moyennant quoi, on européanise pas assez l'OTAN, et on ne fait pas avancer l'Europe de la défense. Observons ce qu'il s'est passé, très intéressant, très intéressant. Une alliance qui n'est pas assez européanisée, une Europe de la défense qui n'avance pas. Beau résultat. Notre position, hors du commandement militaire, entretient une méfiance sur l'objet de notre ambition européenne."
Deux commentaires, maintenant :
- "La guerre froide est terminée". Justement, répondrait un gaulliste ! Tout en manifestant, lorsque nécessaire, la solidarité atlantique de la France face au bloc soviétique (crise de Cuba en 1962), Charles de Gaulle a retiré entre 1959 et 1966 la France des instances militaires de l'OTAN malgré le contexte de la guerre froide. Dans la logique gaulliste, la guerre froide étant finie, la France aurait donc encore moins de raison de participer, aujourd'hui, à ses instances militaires (voire même à ses instances politiques ?). Charles de Gaulle avait d'ailleurs envisagé de quitter l'OTAN en tant que telle, dans la perspective de remplacer cette organisation permanente "par une série d'accords bilatéraux" (l'ouverture des archives depuis 1996, selon la loi des trente ans, permet désormais d'approfondir les recherches sur cet épisode historique; lire en particulier l'étude réalisée par Alessandra Giglioli, lauréat de la bourse de recherche de l'OTAN et du Conseil de Partenariat Euro-Atlantique).
- La raisonnement de Nicolas Sarkozy est à l'opposé de la pensée gaulliste (mais peut-être la conception gaulliste de l'indépendance vis-à-vis des États-Unis est-elle dépassée ?). Il s'agit en effet d'une constante de la politique étrangère gaulliste : si Charles de Gaulle s'est opposé à la CED en 1954, si le plan Fouchet d'union politique européenne a échoué en 1961-1962, si le traité franco-allemand de l'Élysée (1963) n'a pas eu la portée politique que voulait lui donner Charles de Gaulle, c'est à chaque fois parce que - et uniquement parce que - les partenaires européens de la France ont refusé de construire une Europe politique en dehors de la relation atlantique. C'est la fameuse "Europe européenne" théorisée par De Gaulle (et détournée par les souverainistes hostiles à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, alors que cette expression gaulliste concerne l'indépendance vis-à-vis des États-Unis et non les frontières géographiques de la construction européenne). Mais, n'étant pas suivie par ses partenaires européens potentiels, et "en attendant que le ciel se découvre, la France poursuit par ses propres moyens ce que peut et doit être une politique européenne et indépendante" (23 juillet 1964). Avec pour conséquence logique la sortie des instances militaires de l'OTAN, en 1966 (mais préparée, en fait, depuis 1959).
C'est cette indépendance vis-à-vis des États-Unis (indépendance ne voulant pas dire opposition systématique) que Nicolas Sarkozy sacrifie aujourd'hui. Pour, si on suit son discours, faire plaisir à nos partenaires européens ("en Europe, nos partenaires ne comprennent pas pourquoi nous persistons à nous tenir à part"; "notre position, hors du commandement militaire, entretient une méfiance sur l'objet de notre ambition européenne").
Charles de Gaulle préférait une France indépendante et pas d'Europe à une France dans une Europe américaine; Nicolas Sarkozy préfère une France dans une Europe américaine à pas d'Europe.
L'Europe, certes. Mais l'Europe pour quoi faire, si ce n'est pas une Europe européenne ? Faire une Europe américaine, c'est en réalité vouloir faire de l'OTAN une ONU-bis occidentale. Alors que ce dernier concept ne veut strictement plus rien dire depuis la fin de la guerre froide. Sauf, ce dont nous avait préservé Jacques Chirac, à alimenter la théorie du choc des civilisations (le monde blanc et chrétien contre le monde arabo-musulman).
Pour aller plus loin :
Les États européens face à l'invasion américaine de l'Irak (2003)
7 commentaires
D'accord et bien vu. Néanmoins, se passer de l'OTAN implique que les Européens sachent, au sein de leur structure de défense, faire preuve d'autant d'audace que les Américains qui sont quand même ceux qui vont au charbon quand les Européens se perdent en parlottes (je pense particulièrement à l'intervention qui a mis fin à la guerre de Yougoslavie : honte à l'Europe de n'avoir su éteindre toute seule une guerre ethnique "régionale" sur son propre sol).
Par ailleurs, l'OTAN constitue une structure qui dépasse le cadre européen. Se passer de l'OTAN nécessiterait donc tout de même de bâtir une autre structure à l'échelle internationale.
Un bon schéma serait donc :
*Une Communauté européenne de défense totalement européenne, sans aucune subordination ou participation des Etats-Unis.
*Une Alliance internationale des démocraties qui puisse prendre des initiatives au niveau international avec les pays qui partagent les mêmes valeurs que nous (Europe,Etats-Unis, Canada, Australie-NZ, Japon, les démocratis du monde en général, l'Inde très probablement). C'est nécessaire puisque l'ONU, accueillant tous les pays même les pires dictatures (Corée du Nord, Chine, Iran, Soudan, etc.), est paralysée.
* "Une Communauté européenne de défense totalement européenne, sans aucune subordination ou participation des Etats-Unis" : le seul problème, c'est que je suis bien incapable de citer un seul État européen (sauf peut-être Malte) souhaitant construire une défense européenne hors de l'OTAN.
* "Une Alliance internationale des démocraties qui puisse prendre des initiatives au niveau international avec les pays qui partagent les mêmes valeurs que nous" : théorie du choc des civilisations dans laquelle les organisations terroristes internationales veulent nous conduire (et est-il nécessaire de souligner que la France n'a pas la même conception des relations internationales que les États-Unis !). Ce qu'il faut, au contraire, c'est, par exemple, une véritable Union Méditerranéenne pour couper l'herbe sous le pied du discours busho-benladeniste du choc des civilisations.
*Pour l'Europe de la défense, on est d'accord, même si je ne désespère pas.
*Pour l'Alliance des démocraties: je vais être aussi rigoureux dans mes termes qu'on l'est sur ce blog en général : la notion de démocratie n'implique pas de différence de race, de religion ou de civilisation. Les pays démocratiques (en gros : pluralisme politique, élections, pluralisme de la presse, des associations et des syndicats, justice indépendantes du pouvoir politique, ..) se comptent dans toutes les régions du monde : du Japon au Liban, de l'Afrique du sud à la Finlande, de l'Inde au Sénégal, de la Nouvelle-Zélande à Israël. Les dictatures dures, elles, sont aussi diversifiées (Cuba, Iran, Soudan, Corée du Nord, Biélorussie, Birmanie, Zimbabwe, Guinée, Chine, etc.). Honnêtement, entre ces deux blocs là, je ne vois pas où est le "choc des civilisations" ?
J'avais bien compris ! Mais :
1. une telle "Alliance des démocraties" serait perçue comme un élément probant de la théorie du choc des civilisations, car elle serait DE FAIT à domination américaine (ou, pour te faire plaisir : américano-européenne).
2. l'ONU doit conserver seule le monopole de la violence légitime en droit international; sinon c'est ouvrir davantage encore la boîte de Pandore (comme le font déjà malheureusement les États-Unis et l'OTAN sous couvert de "guerre préventive" ou de "droit d'ingérence humanitaire").
3. nos intérêts nationaux (géopolitique, commerce, etc.) peuvent commander d'avoir davantage de liens avec une dictature qu'avec une démocratie. Les ONG font un travail formidable, mais un État n'est pas une ONG.
Bonjour,
Pardonnez-moi d'être beaucoup plus terre-à-terre, tout en partageant totalement vos points de vue : n'y a-t-il pas tout simplement dans la décision de Sarkozy le désir de partager les coûts de notre défense ? Souvenez-vous lors de la campagne présidentielle lorsque la candidate socialiste dont je préfère ne pas avoir à écrire le nom avait promis d'abandonner le chantier du prochain porte-avions sous prétexte qu'il s'agissait typiquement d'un coût à faire porter sur l'ensemble des partenaires européens ... Elle l'avait promis et pour finir c'est Sarkozy qui le décide. Les finances de l'Etat ne sont certainement pas aussi florissantes que sous de Gaulle; tout au moins les priorités sont-elles différentes.
Bonjour,
Oui, c'est évidemment un des objectifs recherchés. Mais il y a plusieurs façons de partager les coûts de la défense.
La bonne, selon moi, consiste à partager les compétences et les coûts en créant des partenariats industriels - militaires ou civils d'ailleurs - du type Eurocopter ou Eurofighter Typhoon.
La mauvaise, en revanche, consiste à partager les moyens en les fusionnant (porte-avion franco-britannique, parapluie nucléaire européen, etc.). Car la défense n'est pas une fin en soi. C'est un outil de politique étrangère. Or les États européens n'ont ni les mêmes intérêts dans le monde ni la même conception des relations internationales (on peut le regretter, mais c'est ainsi). Bref, la France doit-elle sacrifier son indépendance, son identité pour des raisons budgétaires ?
la première boulette du futur président de l'EURO FOR...
20 ans de retard
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