De la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature
02 juin 2008
Actuellement, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) comprend deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats du parquet. Examinons leur composition actuelle.
Formation compétente à l'égard des magistrats du siège :
- président : président de la République
- vice-président : ministre de la Justice (peut suppléer le président de la République)
- cinq magistrats du siège
- un magistrat du parquet
- un conseiller d'État, désigné par le Conseil d'État
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le Président de la République
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le président de l'Assemblée nationale
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le président du Sénat
Formation compétente à l'égard des magistrats du parquet :
- président : président de la République
- vice-président : ministre de la Justice (peut suppléer le président de la République)
- cinq magistrats du parquet
- un magistrat du siège
- un conseiller d'État, désigné par le Conseil d'État
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le Président de la République
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le président de l'Assemblée nationale
- une personnalité n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire désignée par le président du Sénat
Examinons, maintenant, ce que prévoit le projet de loi constitutionnelle (telle qu'amendé en première lecture par les députés) :
Formation compétente à l'égard des magistrats du siège :
- président : premier président de la Cour de cassation
- cinq magistrats du siège
- un magistrat du parquet
- un conseiller d'État, désigné par le Conseil d'État
- un avocat
- un professeur des universités
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président de la République
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président de l'Assemblée nationale
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président du Sénat
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le Défenseur des droits des citoyens
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président du Conseil économique, social et environnemental
Formation compétente à l'égard des magistrats du parquet :
- président : procureur général près la Cour de cassation
- cinq magistrats du parquet
- un magistrat du siège
- un conseiller d'État, désigné par le Conseil d'État
- un avocat
- un professeur des universités
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président de la République
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président de l'Assemblée nationale
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président du Sénat
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le Défenseur des droits des citoyens
- une personnalité ni membre du Parlement ni magistrat de l'ordre judiciaire désignée par le président du Conseil économique, social et environnemental
Que penser de ces changements ?
La plupart des commentaires sur cette réforme concerne le nombre de magistrats et de non-magistrats qui siègent au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) : il me semble ainsi tout à fait anormal que les magistrats soient minoritaires au sein du CSM. Un autre point me semble toutefois plus important.
Le problème de fond vient de la non-séparation des magistrats du siège et du parquet, qui, historiquement, appartiennent en France à un corps unique. Le rôle des uns et des autres est pourtant fondamentalement différent : les magistrats du siège jugent; les magistrats du parquet représentent le ministère public, c'est-à-dire l'État. Quelle conséquence ?
Tout d'abord, les magistrats du siège doivent - indépendance des pouvoirs oblige - être indépendants des pouvoirs politiques, exécutif et législatif. Or, tout pouvoir procédant en démocratie du peuple, les magistrats du siège (= les juges) doivent en outre être élus. Sinon, nous ne sommes plus dans une logique démocratique mais dans une logique corporatiste. Nous pouvons faire ce dernier choix, mais alors assumons-le. Notons d'ailleurs que la Constitution de 1958 botte en touche en ne parlant pas de "pouvoir judiciaire" mais seulement d'"autorité judiciaire".
Ensuite, les magistrats du parquet, porte-parole de la politique judiciaire du gouvernement (= les accusateurs), doivent, à l'inverse, être logiquement placés sous l'autorité hiérarchique du ministre de la Justice.
Reste à savoir qui doit être le garant de l'indépendance des magistrats du siège. L'article 64 de la Constitution dispose que "le président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire (...) assisté par le Conseil Supérieur de la Magistrature". Tant que cette mention n'est pas supprimée (ce que ne prévoit pas - contre toute logique - la révision constitutionnelle), c'est donc bien au président de la République de présider le CSM (en revanche, le ministre de la Justice n'a en effet surtout pas à le suppléer dans la formation compétente à l'égard des magistrats du siège)*.
En résumé, pour instituer en France un véritable pouvoir judiciaire (mais le faut-il vraiment ?), il faudrait :
- élire les magistrats du siège c'est-à-dire les juges (démocratie oblige)
- rayer la mention faisant du président de la République le garant de l'indépendance de la justice (séparation des pouvoirs oblige)
- bouter hors du "CSM-siège" - qui pourrait prendre le nom de Conseil Supérieur de la Justice - le président de la République et le ministre de la Justice** (indépendance du pouvoir judiciaire oblige)
* le président de la République "garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire" s'inscrit dans la vision (fiction ?) gaullienne de l'Homme de la Nation au-dessus des partis (contrairement aux membres du gouvernement) et ne cadre pas avec celle de Nicolas Sarkozy, d'un président partisan qui conduit de fait la politique de la Nation
** alors que le projet de loi constitutionnelle indique que "sauf en matière disciplinaire, le ministre de la Justice peut assister aux séances des formations du Conseil Supérieur de la Magistrature"
3 commentaires
Très bien documenté, clair et précis, comme d'habitude sur ce blog. Mais, en la matière, on aimerait avoir un (bref) aperçu de ce qui se fait à l'étranger pour savoir quelles solutions sont éprouvées pour garantir l'indépendance du siège.
*Le CSJ doit-il (peut-il) être élu par les citoyens ? Si oui, comment éviter une très dangereuse politisation, avec des listes et des programmes (Votez pour moi, les jeunes iront en prison ; votez plutôt pour moi, et les patrons vont payer, etc.) ?
*Elu par la profession ? On encourage certes un corporatisme, mais cette corporation aura au moins l'avantage d'être autonome, conformément à la séparation des pouvoirs. En revanche, quid de la légitimité ?
*Toute élection par un corps intermédiaire serait très dangereuse (principe du renvoi d'ascenseur des notables : je t'élis, tu me blanchis...).
Sujet majeur mais très très délicat.
Quelques éléments en commentaire sur ce billet très intéressant :
1/ Sur la composition du CSM :
Rappelons d’abord que le CSM a deux missions distinctes : en matière de nomination des juges (il rend un avis conforme pour les juges, un avis simple pour les magistrats du parquet) et de contrôle disciplinaire (pouvoir de sanction à l’égard des juges, simple avis au ministre qui sanctionne seul les magistrats du parquet). Encore convient-il de souligner d’emblée le rôle réduit du Conseil dans ces deux domaines.
* en matière de nomination :
Pour les juges, le CSM n’a un pouvoir de proposition que pour les plus hauts postes (présidents de tribunaux ou de cours d’appel, magistrats à la cour de cassation) ; mais pour près de 95% des postes de juges, ce sont les services du ministre de la Justice qui préparent les nominations, affectent les magistrats en fonction de critères dont l’objectivité n’est pas toujours évidente (critères familiaux, fonctionnels, compétences particulières, ou parfois le simple piston). Le CSM n’agit donc pas, pour l’immense majorité des juges, comme un organe sans contrôle, mais comme un simple contrepouvoir, pouvant éventuellement s’opposer aux nominations les plus contestables.
Pour les magistrats du parquet, le CSM ne rend qu’un simple avis, qui peut être outrepassé par le ministre de la Justice. Aucun véritable pouvoir en ce qui concerne les parquetiers donc.
* en matière disciplinaire :
Pour tous les magistrats, les poursuites disciplinaires sont engagées par le ministre de la Justice, ou le magistrat le plus élevé de la cour d’appel (premier président pour les juges, procureur général pour les parquetiers). C’est donc bien en premier lieu le pouvoir politique qui prend l’initiative des poursuites, ou la responsabilité de ne pas le faire.
Une fois les poursuites engagées, les sanctions se révèlent généralement sévères, puisqu’à faute identique, un magistrat a quatre fois plus de chances d’être révoqué qu’un fonctionnaire « lambda ». C’est normal.
Pour l’ensemble de ces raisons, qui démontrent que le CSM ne dispose finalement que de pouvoirs réduits, il me paraît préférable de ne pas l’affaiblir encore en introduisant une majorité de personnes désignées par le pouvoir politique dans sa composition. Les mécanismes de nomination des juges en France laissent déjà une très (trop ?) grande part au politique.
2/ Sur l’élection des juges :
Ce mode de désignation des juges est minoritaire : inexistant au Royaume-Uni (où personne ne conteste l’existence d’un pouvoir judiciaire) ainsi qu’au niveau fédéral aux USA, où les juges de la Cour suprême sont pourtant d’une légitimité incontestée et disposent d’un pouvoir inconnu dans les autres pays.
3/ Sur la séparation du siège et du parquet :
D’accord avec Laurent, avec cette réserve importante : il est capital que les personnes qui portent l’accusation bénéficient d’un statut leur garantissant une certaine indépendance. Car de nos jours, le procureur dispose de pouvoirs très larges, qui en font un quasi-juge : avec le plaider-coupable, la composition pénale, l’orientation de la procédure vers les différents modes de jugement, le procureur dispose aujourd’hui de pouvoirs qui lui permettent de peser très largement sur la nature et le quantum de la sanction.
Il ne peut donc être un préfet judiciaire, ce d’autant plus que certaines de ses missions participent directement de la garantie des libertés individuelles (contrôle des gardes à vue et de l’activité des services de police), conformément à l’article 66 de la Constitution. Le procureur n’est pas qu’un simple accusateur public.
Pourquoi ne pas donc séparer les corps et les carrières, mais à condition de prévoir des garanties d’indépendance pour les parquetiers, dans l’intérêt du citoyen.
Un grand merci à Libéral_européen et à Luc pour ces messages, qui soulèvent de vraies questions, suscitent la réflexion ...et nuancent mes propos !
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