clivage droite gauche
03 avril 2007
"Deux grands axes idéologiques permettent aujourd'hui de définir les notions de droite et de gauche", explique Étienne Schweisguth dans l'Atlas électoral 2007 que viennent de publier les Presses de Sciences-Po (1). "Celui des problèmes économiques et sociaux et celui des questions de société. Sur chacun de ces grands axes, on a assisté à un important mouvement de convergence idéologique entre les grands partis de gauche et de droite."
En matière économique, le PS prônait, avant l'alternance de mai 1981, une "rupture avec le capitalisme". Mais, depuis le "tournant de la rigueur" (mars 1983), la gauche de gouvernement s'est ralliée à l'économie de marché. Selon une étude de la Sofres pour la Fondation Jean-Jaurès et Le Nouvel Observateur (2), cette réorientation idéologique a contribué à brouiller le clivage droite-gauche. En 1981, 57% des personnes interrogées et ayant une opinion estiment que "les notions de droite et de gauche sont toujours valables pour comprendre les prises de position des partis et des hommes politiques". En 1984, 57% d'entre eux répondent, à l'inverse, que "les notions de droite et de gauche sont dépassées". Ce chiffre culmine à 65% en 2002, après la troisième cohabitation. Aujourd'hui, 56% des personnes interrogées affirment toujours que "les notions de droite et de gauche sont dépassées".
Le ralliement, dans la pratique, de la gauche de gouvernement à l'économie de marché ne s'est toutefois pas complètement traduit dans le discours des dirigeants du PS, dont certains, comme l'a montré le débat référendaire sur la Constitution européenne, se disent toujours antilibéraux. Paradoxalement, la droite n'hésite pas non plus, par éclipse, à tenir un discours antilibéral. En 1995, ce fut le cas de Jacques Chirac avec la thématique de la "fracture sociale". Aujourd'hui, c'est le cas de Nicolas Sarkozy lorsqu'il vante les "droits opposables".
"La gauche accepte le capitalisme, mais l'économie reste un clivage entre la gauche et la droite", nuance Xavier Jardin, chargé d'enseignement en science politique à l'IEP de Paris et à l'Université catholique de l'Ouest (Angers). L'enquête de la Sofres montre ainsi des écarts importants entre sympathisants de droite et de gauche dans ce domaine. La généralisation des 35 heures aux petites entreprises est ainsi approuvée par 55% des sympathisants de gauche et seulement 25% de ceux de droite. A contrario, l'assouplissement du code du travail est voulu par 58% des sympathisants de droite, mais par seulement 35% de ceux de gauche. Tandis que l'instauration d'un service minimum garanti lors des grèves est davantage soutenue à droite (93%) qu'à gauche (67%).
Le même phénomène se retrouve en matière de libéralisme culturel. Mais, cette fois, "c'est la droite, hier garante de la tradition, qui s'est rapprochée de la gauche, s'adaptant en cela au changement des valeurs qu'a connu la société française depuis 1968", analyse Étienne Schweisguth. Entre 1981 et 1999 (3), le pourcentage de sympathisants de droite jugeant que "le divorce est justifiable" est ainsi passé de 36% à 53% (56% à 62% chez les sympathisants de gauche).
Rapprochement ne signifie toutefois pas, là non plus, alignement. Selon le sondage de la Sofres, les sympathisants de gauche approuvent aujourd'hui majoritairement le mariage entre homosexuels (55%), contrairement à leurs compatriotes de droite (35%). Et l'adoption des enfants par les couples homosexuels recueille moins d'opinions favorables à droite (26%) qu'à gauche (44%).
Sur d'autres questions de société, en revanche, c'est la gauche qui semble s'être rapprochée de la droite. Entre 1981 et 1999, le pourcentage de sympathisants de gauche estimant qu'"il faudrait respecter davantage l'autorité" est passé de 38% à 57% (72% à 81% chez les sympathisants de droite). Une remise en cause de l'héritage libertaire de Mai 68 amorcée à gauche par Jean-Pierre Chevènement et poursuivie par Ségolène Royal.
Ce qui fait dire à Xavier Jardin que, dans cette campagne présidentielle, "le discours politique est saturé de thématiques droitières comme l'autorité ou l'identité nationale". L'universitaire refuse toutefois de parler de "droitisation", affirmant plutôt que "Ségolène Royal copie la triangulation politique opérée par Bill Clinton et Tony Blair, qui consiste à s'approprier des thématiques de droite mais en y mettant un sens de gauche".
Une telle stratégie peut toutefois s'avérer électoralement périlleuse en France, où les extrêmes sont forts. "Peut-on, lorsqu'on est de gauche, se saisir de thématiques de droite sans faire fuir les électeurs de gauche vers l'extrême gauche ?", s'interroge Xavier Jardin. Quoi qu'il en soit, le sondage de la Sofres révèle que la création de centres éducatifs renforcés pour les mineurs délinquants, "si besoin avec un encadrement militaire", est soutenue à gauche (67% d'opinions favorables) comme à droite (80%).
Nicolas Sarkozy ne reçoit en revanche pas le même soutien de son électorat sur sa proposition (qu'il n'a finalement pas retenue dans son projet présidentiel) d'accorder le droit de vote aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne pour les élections locales, idée reprise de la gauche : 44% seulement des sympathisants de droite y sont favorables, contre 68% de ceux de gauche...
Laurent de Boissieu
© La Croix, 02/04/2007
(1) Atlas électoral 2007, Presses de Sciences-Po, 140 pages, 19 euros
(2) Sondage réalisé du 7 au 8 mars 2007 auprès d'un échantillon représentatif de 1 000 personnes
(3) Source : Atlas électoral 2007
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